L’hôtel de ville de Vizille.

La légende dit que tout ceux qui ont essayés de suivre la vie politique vizilloise s’y sont perdus en chemin… mais on va tout de même essayer pour vous ! Plongeon dans la vie politique locale du chef-lieu historique du Sud-grenoblois, berceau de la Révolution française.

Le conseil municipal du 11 juillet dernier aura marqué un tournant : la maire (DVG) Catherine Troton, appuyée par une majorité de sa majorité, a procédé au retrait de délégations de deux poids lourds de son équipe issue de 2020 : Lionel Coiffard (EELV) et Philippe Bernard (app. PS). L’un était président du LPV, la société municipale de logement social ; l’autre occupait le poste de 1er adjoint.

Il faut dire que la crise couvait depuis plus d’un an. Élus qui ne se parlent plus, climat de défiance… Deux clans se sont formés dans la majorité municipale issue de la liste « Vizille au Cœur », qui avait emporté l’élection de 2020 avec 44,5% des suffrages et le soutien d’EELV, du PS, de la FI et de Génération-s.

Un état de fait qui pousse aujourd’hui Catherine Troton à clarifier la situation, en se tournant vers les groupes de l’opposition municipale. D’un côté, « En avant Vizille » de l’ancien maire Jean-Claude Bizec (« sans étiquette »), battu avec 31,7% des suffrages au second tour. De l’autre, « Vizille debout, unie et solidaire », groupe présidé par Bernard Ughetto-Monfrin (PCF) – 23,8% des suffrages au second tour.

Attention aux erreurs de lecture…

On pourrait être tenté de transposer à Vizille la grille de lecture des conflits métropolitains entre soutiens de Christophe Ferrari et écologistes ; ce serait une erreur. L’un des protagonistes est certes identique – Lionel Coiffard, par ailleurs co-président du groupe écologiste à la Métropole à qui Christophe Ferrari a tenté sans succès d’ôter son mandat de vice-président lors du conseil du 7 juillet. Mais, à Vizille, Lionel Coiffard est d’abord l’ancien maire. Et il fait équipe avec Philippe Bernard, un élu historiquement proche de Christophe Ferrari, preuve s’il en est que le conflit vizillois n’a que peu à voir avec le climat politique métropolitain…

Une histoire locale mouvementée

Ce n’est pas peu dire que l’histoire politique vizilloise est mouvementée depuis plusieurs décennies.

Il faut remonter aux années 90 pour saisir une partie du paysage local. Car tous les acteurs sont héritiers de près ou de loin de la majorité d’Alfred Gryelec, maire communiste de 1965 à 1998. D’un côté, les successeurs de « Pour et avec les Vizillois » (PAV), association fondée par Georges Claveri, ancien adjoint communiste.

Longtemps dans l’opposition, ils triomphent en 2008 sur l’union PCF-PS-« société civile », et Serge Gros est élu maire. Malheureusement, ce dernier décède brutalement début 2013, et au premier maire « Parti de gauche » succède le premier maire « Écologiste », Lionel Coiffard. Cet ancien dirigeant de l’Union des étudiants communistes passé chez les Verts s’impose aux forceps, face à celle qui était alors légitime pour succéder à Serge Gros, la première adjointe Evelyne Specia.

Cet épisode, couplé avec un style de gouvernance particulièrement autoritaire, laisse des traces profondes. Ainsi, une partie des élus PAV se (re)tournent en 2014 vers le Parti communiste, en pleine restructuration. Mais c’est finalement Jean-Claude Bizec qui est élu face à un Lionel Coiffard ayant refusé l’union de second tour avec les autres listes de gauche.

2014/2020 : Vizille à droite ?

De l’extérieur, il était alors tentant de parler de « victoire de la droite »… mais là encore, la nuance est de rigueur. Jean-Claude Bizec et sa première adjointe d’alors, Françoise Audinos, étaient en réalité… d’anciens adjoints aux maires communistes Alfred Gryelec et Alain Berhault. Pour beaucoup de vizillois, leur liste est perçue en 2014 comme « le retour de l’ancienne équipe », et c’est bien cet élan qui explique leur victoire d’alors. Françoise Audinos ne cache du reste pas sa proximité avec le Parti communiste, dont elle soutiendra la liste en 2020, tout comme… Alfred Gryelec, qui avait soutenu Jean-Claude Bizec en 2014.

2020 : une coalition basée sur un non-dit dès le départ

La majorité municipale élue en juin 2020 est issue d’une coalition entre groupes construite pour gagner, mais basée sur un non-dit : pour beaucoup, Catherine Troton n’aurait été choisie comme tête de liste que pour assurer le consensus au sein de l’équipe et maintenir une unité durant la campagne.

Ces choix – qui fleurent bon une forme de misogynie – sont perceptibles dans les discussions, et c’est un élément qui pousse le PCF à présenter sa propre liste : si de l’aveu de membres de la liste « Vizille debout unie et solidaire », la candidate adoubée par PAV est « la meilleure qu’ils aient pu choisir, une femme sincère et appréciée », personne ne voit comment cette équipe tiendra sur la durée.

Et effectivement, dès le lendemain de l’élection, après avoir poussé Catherine Troton à refuser toute fusion d’entre deux tours, une partie des élus de « Vizille au Cœur » se projettent sur l’après et assument volontiers leurs ambitions d’évincer rapidement celle qui leur a pourtant permis de l’emporter. Tout est bon pour « briller » à la place de madame la maire, et le climat se dégrade rapidement.

Ainsi, le premier à démarcher les groupes d’opposition n’est-il autre que Philippe Bernard, premier adjoint ambitieux qui assume de préparer le renversement de Catherine Troton pour s’installer dans le fauteuil de maire, en revendiquant le soutien de Lionel Coiffard et d’une partie des élus de la majorité.

Bernard Ughetto-Monfrin (PCF) lui oppose une fin de non-recevoir, et son groupe dénonce ces manœuvres dans une tribune du mensuel municipal qui met sur la place publique le conflit, poussant ainsi à son dénouement.

Les enjeux de la recomposition : attention danger !

La majorité devrait donc être remaniée à la rentrée, concluant le dernier épisode de la « recomposition familiale » vizilloise. Mais les protagonistes ne devront pas oublier que le contexte n’est plus celui des années 90, et qu’une nouvelle menace semble poindre… Car un invité surprise pourrait bien pointer le bout de son nez.

L’extrême-droite réalise en effet des scores de plus en plus élevées (32% aux présidentielles & 28% aux législatives de 2022), et certains cherchent déjà à susciter un rejet de « l’histoire communiste » de Vizille pour polariser le débat. Des publications agressives circulent sur les réseaux sociaux, accablant l’ancien maire Alfred Gryelec et « les communistes [comprendre « tous les acteurs qui font la politique vizilloise depuis 30 ans, tous issus de près ou de loin du Parti communiste, ddlr] qui sont responsables de tout ce qui ne va pas à Vizille »…

Bref, la « famille » vizilloise pourrait bien être confrontée à un nouveau défi de taille pour préserver l’identité profondément progressiste du berceau de la Révolution Française.

Robert W. Ewellnes

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