Grenoble. Une conférence, Guernica en Arménie
Par Travailleur Alpin
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Me Luc Kirkyacharian, Me Naira Zoroyan et Me Doaa Benjaber ; trois avocats montpelliérains rendent compte de leur séjour en Arménie.
Sur la demande de Claire Kirkyacharian, Emmanuel Carroz, adjoint au maire de de Grenoble, recevait à la Maison de l’international trois avocats de l’institut des droits de l’homme du barreau de Montpellier, Me Naira Zoroyan, Me Doaa Benjaber et Me Luc Kirkyacharian, membre d’honneur du barreau d’Erevan. Ils ont donné une conférence, « Octobre 2022 : nous avons vu Guernica ».
Il s’agit bien d’un témoignage suite à la visite à l’automne dernier du petit village de Sotk où le temps s’est arrêté depuis cette attaque azerie des 12 et 13 septembre 2022 qui a blessé 70 villageois. Les soldats azerbaïdjanais ne sont qu’à cinq km, « l’horreur au milieu d’un paysage magnifique ». Un village au pied des montagnes, au ciel « bleu foncé de l’Oisans » dominé par des plateaux juchés à 2800 mètres d’altitude mais où retentit le bruit des armes automatiques, tirs d’intimidation qui visent la délégation. C’est une odeur de brûlé permanente due aux bombes incendiaires.
Maisons éventrées, 70% de l’habitat endommagé par les obus qui ont un effet de souffle. Nous sommes à la veille de l’hiver, pas de chauffage, plus d’électricité, de l’eau distribuée une demi heure par jour. Les armes libèrent de petits morceaux de ferraille très coupants, qui provoquent des blessures inédites, inguérissables, des destructions de tous les organes internes produites par les bombes à fragmentation. Champs cultivés où l’on peut voir encore les sillons mais pilonnés tous les 15 mètres de trous énormes. Et malgré tout, c’est un village debout.
Les habitants fuient les journalistes, mais ont accepté de donner des informations aux avocats.
De nombreuses maisons détruites dans le village.
La stratégie de guerre de l’Azerbaïdjan est simple : s’installer sur des positions hautes, bombarder les villages en contre-bas et les isoler afin de créer des zones mortes. Le but est d’affaiblir la solidarité internationale, afin de « terminer le travail » (celui du génocide) selon les paroles du président de la République turque Recep Tayip Erdogan. Dans cette stratégie, les bombardements le long d’une route qui traverse le Sud du pays, de la Turquie à l’Azerbaïdjan, visent à détacher cette partie de territoire pour obtenir une jonction avec les peuples turcophones.
Une dame âgée, sa maison éventrée, sans porte fenêtre, sans eau, sans électricité, à 2000 m d’altitude alors que l’hiver arrive.
Entre espoir et combats
C’est sans compter sur ce pays aux racines chrétiennes, dont les habitants ont opté pour la république il y a trente ans, pour une démocratie parlementaire depuis quatre ans et ont mis fin à la corruption. Les hommes défendent leur pays dans des positions montagneuse et redescendent le jour faire leur travail d’instituteur, de cafetier….
A l’université française de Yerevan, la rectrice avait affiché d’immenses portraits de dizaines de ses étudiants volontaires pour aller au combats et morts à 18–19 ans. Dans les rues d’Erevan, la musique, les fleurs sont de véritables défis afin que l’ennemi comprenne qu’il ne peut les anéantir. Pourtant un jeune de la famille est rentré de cette guerre sain et sauf en apparence. En fait il ne parle plus, ne quitte plus son lit, ne veut plus voir sa fiancée et, de surcroît , a abandonné ses études. Le fils de la guide ne veut plus de jouets et un petit lit lui est réservé à la cave au cas où Erevan soit bombardé.
La libre circulation des personnes est mise à mal : des enfants de trois à douze ans, partis de leur région de Haut Karabagh pour participer à un concours « eurovision d’enfants », ne peuvent plus réintégrer leur région, leur famille. Il en est de même pour les femmes de ce territoire qui vont faire certaines courses à Erevan et dont le retour n’est plus possible. L’Azerbaïdjan a déjà fait l’objet de six condamnations par la Cour de justice internationale, condamnations qui ne sont pas actées.
Au pays du berceau de l’humanité, la visite des avocats de Montpellier, suivie d’une délégation de l’ONU ont contribué à mettre fin à la peur et fait renaître l’espoir.
Subsiste un poirier porteur de fruits.
Comment agir pour une solidarité efficace
« Nous ne pouvons pas compter sur la presse : le conflit entre l’Arménie et L’Azerbaïdjan n’est pas vendeur, car pas assez spectaculaire pour la presse occidentale ! », constatent les avocats. Les habitants de ce village et d’autres rencontrés au pieds du mont Ararat où encore dans la capitale Erevan n’ont qu’un seul cri : « Parlez de nous, venez nous voir ».
« Oui, nous pouvons aller en Arménie », lancent les avocats. Un beau pays où, à la bonne saison, les abricotiers parfument l’air et les cours d’eau sillonnent les rues. Grenoble est jumelé avec la ville de Sevan où se déroule un festival de musique. Dans ce cadre naturel, un chemin de randonnée du tour du lac de Sevan a été aménagé. A Erevan, se déroule le festival international du cinéma. Il y a également un très grand patrimoine architectural à visiter : notamment des monastères.
« Nous pouvons également écrire à nos députés et sénateurs, aux députés européens pour leur demander de prendre des mesures afin de stopper cette guerre. Par exemple, nous n’achetons plus de gaz à la Russie, mais nous achetons le gaz à l’Azerbaïdjan qui provient de Russie et plus cher ! » Missionner des observateurs afin de rompre la stratégie d’isolement de l’ennemi serait une bonne initiative.
Une rencontre formidable avec des avocats engagés. Ils souhaitent que leur témoignage serve de rappel aux valeurs fondamentales de l’humanité et qu’il contribue à la recherche de solutions pour mettre fin à ces violences injustifiables.
Le Travailleur alpin s’inscrit dans cette démarche au cours de sa fête annuelle les 16 et 17 juin prochains à l’Esplanade à Grenoble (tram E). Des expositions y seront présentées pour faire connaître une partie de l’histoire et les événements tragiques qui bouleversent ce pays.
Martine Briot