Anastasia Moshak, née en Ukraine, vit à Échirolles depuis l’âge de trois ans.

Sidération. C’est un peu le sentiment partagé par Anastasia Moshak et sa famille après l’agression russe de l’Ukraine. Une guerre qu’elle suit au jour le jour avec ses grands-parents ukrainiens aujourd’hui réfugiés à Échirolles. Sans préjuger de l’avenir, elle souligne que les peuples russes et ukrainiens ne sont pas ennemis.

« Je ne pensais pas que voir des bombes dévaster des endroits que je connais, où je suis allée, à Kiev ou ailleurs…, ça m’atteindrait autant. » Anastasia Moshak avait trois ans quand elle est arrivée en France, avec sa maman. Elle en a vingt-trois aujourd’hui. Elle est née à Vinnitsa, à deux cent cinquante kilomètres au sud de Kiev, dans le centre Ouest de l’Ukraine. Un pays dans lequel elle a passé ses deux mois de vacances d’été, quand elle était enfant puis adolescente. Vinnitsa, dont l’aéroport a été bombardé quelques jours avant que, début mars, les grands-parents maternels d’Anastasia ne quittent la ville pour rejoindre leur fille, à Échirolles.

Car ils ont quitté l’Ukraine, à la demande insistante d’Anastasia et de sa mère, deux semaines après le début de l’invasion russe. Quinze jours d’angoisse, de sirènes. Quinze jours d’incompréhension, aussi. « Ils ne voulaient pas forcément partir ; la guerre, c’était dans l’Est de l’Ukraine, depuis 2014, dans ma famille comme je crois pour tous les Ukrainiens, ce qui s’est passé n’était pas envisageable. » Ils sont montés dans un bus, rejoint la Moldavie, puis la Roumanie, avec la tante d’Anastasia. « Ma mère a réussi à leur trouver un vol pour l’Italie où nous sommes allés les chercher. »

Lorsqu’ils sont arrivés chez leur fille, en France, « ils pensaient qu’ils étaient là pour quelques semaines, que c’était provisoire ; moi, je ne sais vraiment pas ce qui va se passer maintenant, ce qu’ils pourraient retrouver ».

Pour Anastasia, cette incompréhension partagée par sa famille ukrainienne – cette sidération, presque – s’explique peut-être par la nature des rapports entre les peuples russes et ukrainiens. « C’est difficile, vu d’ici, de comprendre la proximité des relations entre Russes et Ukrainiens. » La grand-mère d’Anastasia est née dans l’Est du pays, sa langue maternelle est le russe. « Les Ukrainiens considèrent que c’est le régime de Poutine qui est responsable, pas le peuple russe ; c’est en tout cas ce qui sort aujourd’hui de nos discussions, à la maison. » Anastasia évoque ici un sentiment partagé début mars, sans préjuger de ce qui pourra advenir. « A mon avis, ajoute-t-elle, les Russes dans les villes moyennes et les villages ne comprennent pas ce qui se passe ; ils n’ont que la propagande pour toute information. Et puis la Russie est un pays très inégalitaire, une petite caste de milliardaires s’est formée lorsque le pays est passé au capitalisme, et ce sont ces milliardaires qui soutiennent Poutine ».

« La Russie est un pays très inégalitaire »

Anastasia et sa famille récusent les affirmations de la propagande poutinienne. « Non, l’Ukraine n’est pas un nid de nazis ; des photos avec des membres de groupuscules néonazis qui saluent, on peut en faire dans de nombreux pays ; il en existe en Ukraine, on a pu en voir en Grèce, par exemple. » Et la guerre, toujours et partout, exacerbe le nationalisme.

Dans la famille, les échanges portent naturellement aussi sur l’avenir et les origines de l’horreur de la guerre. « Ma famille ukrainienne voit les événements – c’est parfaitement logique – comme une guerre qu’il faut gagner ; l’agresseur, c’est évidemment l’armée russe qui bombarde et qui tue ; mes grands-parents espèrent que les Ukrainiens vont réussir à repousser l’ennemi », note Anastasia. « Et personne ne sait ce qui va se passer, combien de temps ça va durer. » Anastasia ajoute : « moi qui vit en France, je vois peut-être cette guerre sous un angle un peu plus large, avec une dimension plus mondiale ». Elle explique : « Poutine est l’agresseur, son régime est responsable, entièrement, des horreurs ; ça ne m’empêche pas d’en vouloir à l’Europe et aux Etats-Unis : les pays de l’Ouest et la Russie se sont disputés l’Ukraine comme un paillasson que l’on tire chacun d’un bout ». Non sans arrière-pensées économiques : le gaz et le pétrole russes ou américains, les matières premières, les céréales comme arme alimentaire… Le résultat, ce sont des Ukrainiens « livrés à eux-mêmes, aujourd’hui sous les bombes ».

Comment agir pour la paix, aujourd’hui ? « Toutes les initiatives de solidarité sont nécessaires, appréciables ; et il faut accueillir tous les Ukrainiens qui n’ont pas de famille ici, ce sont des réfugiés de guerre », souligne Anastasia. Elle en profite pour souligner qu’il n’y a pas de bons et de mauvais réfugiés : « j’ai entendu des gens que je connais refuser l’accueil de Syriens ou d’Afghans et aujourd’hui dire vouloir en faire des tonnes pour les Ukrainiens ; ce tri entre réfugiés, ça me révolte ».

Appel aux dons

Les dons financiers peuvent être envoyés au Secours populaire français, 9/11, rue Froissart BP 3303 75 123 Paris Cedex 03. Sur internet : don.secourspopulaire.fr/ukraine/

Collecte étudiante

Avec le bureau des élèves de l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine, une collecte de dons a été réalisée auprès des étudiants. Solidarité concrète qui se conjugue avec le développement de l’activité du Secours au sein d’une jeunesse elle-même touchée par la précarité.

Mobilisation des comités

Depuis le début de la guerre provoquée par l’invasion russe, les dons affluent dans les comités locaux du Secours populaire. Au niveau national, la collecte dépassait les deux millions d’euros à la fin du mois de mars.

En France et dans le monde

Depuis sa création en 1945, le Secours populaire vient en aide aux populations victimes de la précarité, de la pauvreté, des catastrophes naturelles et des conflits en France et sur tous les continents. Alors que les besoins sont criants en France, le SPF n’oublie pas les populations confrontées à des situations dramatiques sur d’autres continents. C’est pourquoi, depuis 1945, le SPF s’efforce de « mondialiser la solidarité » en répondant aux situations d’urgence et en réalisant des programmes de développement en lien avec son réseau de partenaires locaux.

Le 11 mars dernier, le Secours populaire a organisé à Échirolles une grande braderie au bénéfice des réfugiés ukrainiens.

La mobilisation du Secours populaire

Dès le début du conflit, les bénévoles du Secours populaire ont développé les initiatives de solidarité.

Une grande braderie solidaire était organisée samedi 11 mars par le comité du Secours populaire français d’Échirolles pour venir en aide aux Ukrainiens. Une vingtaine de bénévoles se sont relayés toute la journée pour assurer le succès de cette braderie au profit de l’Ukraine. Tous les bénéfices de cette journée seront envoyés au niveau national qui reversera intégralement les fonds recueillis à des associations sur place.

Privilégier les dons en argent

« Notre association est en lien avec des partenaires dans quarante-cinq pays dont la Moldavie et la Pologne », indique Sylvie Loyau, bénévole départementale. « En cas de conflits le Secours populaire travaille avec des organisations fiables sur place car ils connaissent les besoins », ajoute-t-elle.

Il est plus approprié d’envoyer de l’argent car acheminer des produits par convois est très coûteux et difficile à organiser par temps de guerre. D’autres initiatives vont avoir lieu dans le département et partout en France pour recueillir des fonds.

Toutes les fédérations cotisent à un fond d’urgence ce qui a permis au national de débloquer 50 000 euros dès le début du conflit sans attendre les recettes obtenues par les différents comités. « La solidarité n’a pas de frontières », déclare Yves Cournarie trésorier du comité d’Échirolles. « Nous avons beaucoup de soutien de la mairie qui met des locaux à notre disposition. » « Les gens viennent pour la solidarité avec l’Ukraine. Ils sont informés par voie de presse, par des flyers et par le bouche à oreille », indique-t-il.

« Venir en aide aux personnes victimes de conflits armés est inscrit dans l’article premier des statuts du SPF. Cela fait partie de nos valeurs », déclare Sylvie Loyau.

Maryvonne Mathéoud

Pierre Labriet, adjoint au maire d’Echirolles et conseiller de Grenoble Alpes métropole.

Un accueil digne de tous les réfugiés impose de changer de politique

La solidarité, l’accueil… pour Pierre Labriet, c’est l’urgence face à l’invasion de l’Ukraine. Qui souligne la nécessité d’une autre politique d’accueil de tous les réfugiés.

« L’urgence, c’est la paix ». Au moment où ces lignes sont écrites, c’est la première exigence que Pierre Labriet souhaite partager. Il en propose immédiatement une seconde : la solidarité face à l’agression russe. Avec la participation aux rassemblements, mais aussi l’aide aux réfugiés. « Beaucoup de choses sont entreprises par les collectivités, les associations et les familles, cela témoigne de la vivacité des valeurs de solidarité dans notre pays », se réjouit-il.

Un élu qui a été très directement impliqué dans des initiatives pour secourir des familles en détresse. « Quand on ne parle pas français ni anglais et qu’on se retrouve exténué dans une voiture en arrivant du Nord de l’Europe, qu’on n’ose pas dire qu’on a faim… », se souvient-il. « Le moins que notre pays puisse faire, c’est de faciliter les démarches administratives », ajoute-t-il aussitôt.

Dans l’urgence, des dispositions ont été prises par la préfecture de l’Isère. Pour appliquer un statut européen particulier, qui concerne les ressortissants ukrainiens entrés dans un pays de l’Union européenne : celui de la protection temporaire ouvrant droit à une autorisation provisoire de séjour d’une durée de six mois. Cette disposition ouvre droit à travailler mais n’est pas cumulable avec le statut de demandeur d’asile. La prise de rendez-vous en préfecture s’effectue par courriel à pref-ukrainiens@isere.gouv.fr

Simplifier les démarches administratives

« S’il faut saluer les efforts des fonctionnaires, il faut constater que la tendance est à l’augmentation des difficultés administratives depuis des années pour l’accueil des réfugiés ». Pour les réfugiés ukrainiens – « d’autres réfugiés fuient des guerre et n’en bénéficient pas », constate Pierre Labriet –, ce système de protection temporaire a sans doute permis de régler des situations plus rapidement, tout en restant tributaire des limites de l’accueil en préfecture.

Reste qu’il faudra ensuite transformer ce statut temporaire en asile, pour ceux qui le souhaitent. Et là, on retombe sur… les réformes Sarkozy, jamais remises en cause. Auparavant, les demandes d’asile pouvaient être recueillies dans n’importe quelle sous préfecture. Depuis, de la Haute-Savoie jusqu’à la Drôme, seule la préfecture de l’Isère peut enregistrer les demandes. Histoire de compliquer la vie de ceux qui souffrent.

L’urgence, c’est la paix. Ce qui n’empêche par Pierre Labriet de se souvenir de Zbigniew Brzezinski, proche conseiller de Reagan puis Bush et partisan de l’hégémonie des Etats-Unis sur le monde, qui dans les années 90 avait théorisé l’utilisation de l’Ukraine dans la stratégie dite du « roll back », celle du refoulement de la Russie vers l’Asie.

Pin It on Pinterest