Comment faire reculer les déserts médicaux

Par Luc Renaud

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Dans le quartier Renaudie, à Saint-Martin-d’Hères, le centre de santé l’Etoile facilite l’accès aux soins pour la population de ce quartier « politique de la ville ». Mais c’est loin d’être son seul rôle. Un centre dont tous les personnels sont salariés et qui représente un outil pour lutter contre la désertification médicale et permettre l’accès à un médecin traitant.

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Odile et Paul Saou, médecins à l'origine de la création du centre de santé l'Etoile, à Saint-Martin-d'Hères.

« C’était dif­fi­cile de coor­don­ner les méde­cins, de par­ve­nir à un tra­vail d’équipe, que tous sortent de leur cabi­net ». Odile et Paul Saou ont donc déci­dé d’évoluer : ain­si est né, le 1er juin 2021, le centre de san­té de l’Etoile, à Saint-Martin‑d’Hères, qui suc­cé­dait à la mai­son de san­té créée en 2017. Centre géré par une asso­cia­tion dont Odile Saou est la pré­si­dente.

La dif­fé­rence ? Le sala­riat. Les méde­cins, soi­gnants et assis­tantes médi­cales sont sala­riés – avec tou­te­fois un méca­nisme qui asso­cie les méde­cins au niveau d’activité du centre. Les résul­tats ne se font pas attendre. De quatre à sa créa­tion, le centre est pas­sé à douze pra­ti­ciens. Douze mille patients y sont sui­vis. Pen­dant la crise sani­taire, un centre de vac­ci­na­tion a été ouvert, avec le ren­fort de méde­cins mili­taires. Les méde­cins suivent des for­ma­tions de spé­cia­li­sa­tions : cha­cun peut comp­ter sur les com­pé­tences spé­ci­fiques de ses col­lègues. Le centre col­la­bore avec le « 15 » et reçoit des patients, dans le cadre d’un pro­to­cole défi­ni, limi­tant ain­si par­tiel­le­ment la pres­sion sur les urgences du CHU.

Le tout en offrant aux jeunes méde­cins ce qu’ils recherchent : for­ma­tion, horaires maî­tri­sés, pos­si­bi­li­té de congés voire d’interruption momen­ta­née de leur car­rière. « Et puis, à la sor­tie des études médi­cales qui les for­matent, retrou­ver le contact avec les patients, les fon­de­ments de la méde­cine, ce n’est pas inutile pour les jeunes », com­mente Paul Saou dans un sou­rire.

Le centre de san­té de l’Étoile, c’est aus­si un apport majeur pour les habi­tants du quar­tier de Renau­die ; un quar­tier à la répu­ta­tion dif­fi­cile dans lequel il s’est implan­té avec le sou­tien de la muni­ci­pa­li­té. « Il a fal­lu recon­qué­rir l’espace public face aux dea­lers : ils s’étaient appro­priés la place Etienne Grappe », se sou­vient Odile Saou. Avec un concours de la police natio­nale que les méde­cins tiennent à sou­li­gner, l’aide de la muni­ci­pa­li­té et de ses inter­ven­tions dans ce quar­tier poli­tique de la ville, l’accès au centre n’a plus rien de pro­blé­ma­tique – même si le tra­fic s’est dépla­cé sans avoir dis­pa­ru. La dyna­mique de cette fré­quen­ta­tion nou­velle a ouvert le champ des pos­sibles : une rési­dence étu­diante de qua­rante loge­ments va être réa­li­sée dans les bâti­ments qui donnent sur la place, entre autres pers­pec­tives d’activités nou­velles à Renau­die.

Des projets dans la foulée de la dynamique de la fréquentation du centre

Un long che­min tran­quille et bor­dé de roses ? Pas tout à fait. Avec une pre­mière dif­fi­cul­té, la déma­té­ria­li­sa­tion. Ici comme ailleurs. Dans le cas du centre de san­té l’Etoile, elle prend la forme… d’une année de retard des rem­bour­se­ments de la Sécu­ri­té sociale. A L’Etoile, les méde­cins pra­tiquent le tiers payant sans dépas­se­ments d’honoraires. La règle, pour tous. La sécu paie les consul­ta­tions à l’association ges­tion­naire qui verse les salaires. Avec la carte vitale, ça se passe nor­ma­le­ment – nor­ma­le­ment ne veut par dire sans accrocs. Là où ça se com­plique, c’est pour les patients qui n’ont pas de carte vitale. Ceux qui béné­fi­cient de l’Aide médi­cale d’État, par exemple. Dans ce cas, c’est une feuille de papier qui est trans­mise à la CPAM… laquelle a lar­ge­ment taillé dans les effec­tifs char­gés de leur trai­te­ment. Or, ce sont près d’un tiers des patients soi­gnés à l’Etoile qui ne dis­posent pas de carte vitale. « Les salaires sont payés avec des recettes qui res­tent coin­cées quelque part », com­mente Paul Saou avec un – gros – brin d’amertume. « De toute façon, dans tout le pays, aucun centre de san­té dans un quar­tier “poli­tique de la ville” n’est à l’équilibre », rap­pelle Odile Saou.

Pour béné­fi­cier de l’agrément de l’Association natio­nale des centres de san­té et des finan­ce­ments qui lui sont asso­ciés, un centre doit assu­mer de nom­breuses mis­sions. L’obligation d’accueillir des nou­veaux patients, le tra­vail en équipe, la par­ti­ci­pa­tion aux gardes, la coor­di­na­tion avec l’hôpital, les éta­blis­se­ments de san­té et le tis­su asso­cia­tif.… Des mis­sions qui pèsent lourd dans un quar­tier défa­vo­ri­sé. Et n’en sont pas moins indis­pen­sables pour tendre vers une éga­li­té d’accès aux soins.

Une dimen­sion que la muni­ci­pa­li­té a prise en compte en déci­dant, mi-décembre 2022, de ver­ser à l’association une sub­ven­tion de cent mille euros, tout en regret­tant les insuf­fi­sances de l’Etat en la matière. « Favo­ri­ser l’accès aux soins pour des popu­la­tions qui en sont loin, c’est un choix poli­tique », note Paul Saou. Sub­ven­tion accom­pa­gnée d’une conven­tion signée avec la ville pour for­ma­li­ser les enga­ge­ments du centre.

Début 2024, un centre de san­té du même type devrait ouvrir à Grand place, dans les anciens locaux de la Grande récré.

A la fête du TA, le same­di 17 juin à 13h45, espla­nade de Gre­noble, débat sur le thème « Garan­tir le droit à la san­té pour tous, un enjeu du XXIe siècle ».

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Davy Ben­ha­mou, Gau­tier Cour­tois et Nico­las D’Ornellas, les trois méde­cins che­villes ouvrières du pro­jet.

Vif. Maison de santé, le chemin est escarpé

Dans le sud-grenoblois touché par la désertification médicale, trois jeunes médecins, soudés par l’amitié durant leurs études, travaillent sur un projet de maison et services de santé.

Après huit années de pra­tiques entre ser­vices d’urgences et méde­cine de ville, ils mesurent l’importance de l’accès à la san­té. Et ils pro­jettent la créa­tion d’une mai­son de san­té.

Une mai­son de san­té, c’est un bâti­ment au sein duquel des pra­ti­ciens qui exercent en libé­ral louent un local et béné­fi­cient de ser­vices mutua­li­sés – à la dif­fé­rence d’un centre de san­té où tous les per­son­nels sont sala­riés. Ce sys­tème, qui auto­rise les dépas­se­ments d’honoraires, réduit les coûts d’installation et de fonc­tion­ne­ment des cabi­nets avec l’ambition de faire recu­ler les déserts médi­caux par son attrac­ti­vi­té finan­cière.

Les trois méde­cins ont réus­si à réunir une équipe d’une tren­taine de pro­fes­sion­nels, prête à jouer le jeu. Une ving­taine d’entre eux vien­drait s’installer dans le bâti­ment à construire.

Le budget n’est pas bouclé

Né il y a deux ans, le dos­sier se heurte à la finance. Les mai­sons de san­té sont des struc­tures juri­diques recon­nues par l’agence régio­nale de san­té, éli­gibles aux sub­ven­tions moyen­nant l’engagement d’un tra­vail coor­don­né. Ce volet du dos­sier est bou­clé depuis 2021. Un fonds de 50 000 € est ver­sé en deux fois sur deux ans pour mon­ter la struc­ture juri­dique, effec­tuer les embauches néces­saires à la coor­di­na­tion et ache­ter le logi­ciel com­mun pour tous les pro­fes­sion­nels.

Pour voir naître cette mai­son, la ville de Vif est dis­po­sée à vendre un ter­rain à un prix « défiant toute concur­rence ». D’autres col­lec­ti­vi­tés, com­pé­tentes en matière de san­té, ont été inter­pel­lées : conseil dépar­te­men­tal, conseil régio­nal et sur­tout l’État qui pré­co­nise ces regrou­pe­ments libé­raux pour faire face à la pénu­rie de pro­fes­sion­nels dans cer­tains sec­teurs. Mais les moyens sont insuf­fi­sants : les loyers ne seraient pas assez attrac­tifs pour les pra­ti­ciens.
Les trois méde­cins ont remis l’ouvrage sur le métier. Un pro­jet peut-être limi­té à neuf pro­fes­sion­nels. Ils font appel à un pro­mo­teur pour la construc­tion du bâti­ment. Une évo­lu­tion de la struc­ture juri­dique est à l’étude. La conjonc­ture s’en mêle : avec l’inflation et l’envolée du coût des maté­riaux, le bud­get a grim­pé de 30 % en deux ans.

Même lorsqu’un pro­jet cor­res­pond aux pré­co­ni­sa­tions affi­chées par les pou­voirs publics et mal­gré l’engagement de la com­mune, rien n’est simple, déci­dé­ment.

Mar­tine Briot

3,5 millions hors emprunt

Les trois méde­cins vifois vont reprendre leur bâton de pèle­rin et démar­cher phy­si­que­ment les col­lec­ti­vi­tés com­pé­tentes. « Nous pen­sons que le seul pro­jet valable pour répondre aux enjeux actuels doit inté­grer les vingt pro­fes­sion­nels acteurs de départ. 5 mil­lions d’euros sont néces­saires, soit 3,5 mil­lions sans les inté­rêts. » La balle est dans le camp des diri­geants de ce pays qui ont entre leur main la res­pon­sa­bi­li­té de la san­té de nos conci­toyens et du dis­po­si­tif glo­bal de prise en charge néces­saire. Quoi de mieux que de mutua­li­ser des moyens et d’apporter une réponse urgente et la mieux coor­don­née pos­sible pour per­mettre l’accès aux soins et dimi­nuer le recours aux urgences hos­pi­ta­lières ?

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La situa­tion aux urgences du CHU de Gre­noble, le 11 avril 2023.

L’hôpital toujours malade de ses sous-effectifs chroniques

Malgré l’obligation de passer par le « 15 », le nombre de patients accueillis aux urgences ne diminue pas. Sara Fernandez, secrétaire générale de la CGT du CHU, et Élisabeth Guillemin, secrétaire générale adjointe, nous expliquent.

Une capa­ci­té d’accueil de cin­quante-cinq patients. Et une moyenne de quatre-vingt, avec des pics de 100 à 110. La réa­li­té actuelle des urgences de l’hôpital Nord à Gre­noble. Ajou­tons que la moyenne de durée de séjour est nor­ma­le­ment de 12 h. Elle a atteint jusqu’à 18 jours début avril. « Une mise en dan­ger tant pour les patients que pour le per­son­nel », constate Sara Fer­nan­dez.

Les causes sont connues. La fer­me­ture des urgences de la cli­nique mutua­liste tous les soirs à par­tir de 20h depuis plus d’un an, à laquelle s’ajoute celle des urgences de Voi­ron, par manque d’effectifs. Celles des Cèdres ne peuvent accueillir les cas les plus lourds. Par ailleurs, l’augmentation des urgences psy­chia­triques est signi­fi­ca­tive, tan­dis que l’hiver pro­duit son lot d’accidents de ski – les poly­trau­ma­ti­sés sont trai­tés à l’hôpital Nord. « Comme tout le monde le sait, nous man­quons de per­son­nel pour faire face », rap­pelle Eli­sa­beth Guille­min.

Durant les neuf pre­miers mois de 2022, 221 infir­mières ont été embau­chées. En sep­tembre 2022, 219 d’entre elles ont quit­té le CHU. De moins en moins d’élèves rentrent à l’école d’infirmière. Cer­tains quittent l’école avant la fin. D’autres sortent avec le diplôme, mais se dirigent vers une autre voie.

Déficit budgétaire… par manque de personnels

Pour­quoi une telle éro­sion ? « Cela tient essen­tiel­le­ment aux condi­tions de tra­vail », relèvent les syn­di­ca­listes. Et de citer les rap­pels pen­dant les jours de récu­pé­ra­tion, les bles­sures par manque de temps pour uti­li­ser le maté­riel adap­té et une ges­tion du per­son­nel délé­tère : « la mal­trai­tance ins­ti­tu­tion­nel se res­sent à tous les niveaux et se réper­cute jusqu’à en bas de la pyra­mide ».

Pour en sor­tir, la CGT avance une série de mesures concrètes : davan­tage de soi­gnants par patient – un binôme infir­mier aide-soi­gnant pour huit patients –, l’embauche de per­son­nels – des kinés notam­ment – pour accom­pa­gner les patients « sto­ckés » aux urgences, des édu­ca­teurs spé­cia­li­sés pour les cas psy­chia­triques… Mais aus­si la réou­ver­ture de lits ce qui implique les embauches néces­saires, l’augmentation des salaires – la majo­ra­tion des heures de nuit est de 2,04 € net de l’heure ! –, retrou­ver une acti­vi­té nor­male, ce qui implique là encore de pou­voir comp­ter sur un nombre de soi­gnants suf­fi­sant – les blocs opé­ra­toires fonc­tion­ne­ment à 70 % de leur capa­ci­té, d’où une perte pré­vi­sible de 30 mil­lions d’euros pour 2023, les bud­gets étant cal­cu­lés sur l’activité.

La situa­tion est telle que les syn­di­cats CGT, Sud et FO ont effec­tué le 5 avril un signa­le­ment au pro­cu­reur de la Répu­blique pour « mise en dan­ger de la san­té d’autrui par défaut de moyens ». Clas­sé sans suite par la jus­tice qui n’a pas rele­vé d’infraction dans le dos­sier. Le 12 avril, un homme est décé­dé aux urgences alors que son pro­nos­tic vital ne sem­blait pas enga­gé lors de son admis­sion.

Mar­tine Briot

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