Industrie. La faillite des gestions patronales
Par Luc Renaud
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Une coopérative d’intérêt collectif dans laquelle on retrouve au rang de sociétaires le groupe multinational Thales et l’union départementale CGT de l’Isère, le tout avec pour mission de développer une filière industrielle autour de l’imagerie médicale, c’est l’un des fruits de luttes pour l’industrie dans le pays.
Cette originalité faisait l’objet de l’une des tables rondes organisées ce 17 mai par la fédération communiste pour débattre certes de la situation, mais aussi de la nécessaire contestation des stratégies mises en œuvre par les grands groupes industriels et l’État.
Douze ans de lutte pour la création d’Axel, effective depuis le 12 juillet 2024
Si les salariés et leurs syndicats CGT de Thales et de sa filiale Trixell implantée à Moirans ont pu imposer la création de l’accélérateur industriel Axel – le nom de la coopérative – c’est au prix de douze années de luttes pour le développement de la branche médicale de ce mastodonte de l’armement. Les syndicalistes l’ont fait par la grève et les manifestations en 2012, puis par l’intervention auprès de chercheurs, médecins, ministères et naturellement des salariés concernés pour que s’impose, à tous les niveaux, la nécessité d’avancer vers la création d’une filière industrielle. Création mobilisant les savoir-faire et technologies disponibles au sein de Thales comme dans les PME innovantes issues du CEA ou d’autres laboratoires de recherche.

Cette intervention pour modifier les choix industriels patronaux, c’est aussi ce que tentent de mettre en œuvre les syndicats CGT d’Atos, dans l’informatique, comme ceux de la chimie.
Dans les deux cas, ils sont directement confrontés à la stratégie patronale et gouvernementale de la vente à la découpe pour satisfaire des actionnaires soucieux de profit immédiat. Avant, une fois l’entreprise épuisée, d’aller « investir » ailleurs – si tant est que ce mot ait un sens en l’occurrence.

La situation des plateformes chimiques de Pont-de-Claix et Jarrie faisait elle aussi l’objet d’une table ronde, ce 17 mai, avec un exposé très complet de Denis Carré, secrétaire du syndicat CGT de la plateforme de Pont-de-Claix. D’où il ressort que le dépeçage par des gouvernements de droite de l’entreprise nationalisée Rhône-Poulenc, qui s’est poursuivie pendant des décennies, aboutit aujourd’hui à la liquidation de Vencorex et au rejet par le tribunal de commerce – une instance patronale à réformer si l’on veut laisser une chance à l’industrie et à la production en France – du projet de coopérative présenté par les salariés pour assurer l’avenir de Vencorex. On notera au passage que tout était prêt à la région Auvergne-Rhône-Alpes pour un coup de pouce financier décisif au projet des salariés. Tout, sauf la signature du président : la droite régionale a sciemment fait obstacle au projet de continuation de l’activité de Vencorex, avec les conséquences que cela pourrait avoir aujourd’hui pour toute l’activité industrielle au sud de Grenoble et plus largement la filière chimique au niveau national. Tandis que le gouvernement Bayrou déclarait sans la moindre étude que la viabilité d’une nationalisation n’était pas assurée.
Ce que l’on apprenait aussi des échanges de ce 17 mai, c’est que le dossier n’est pas clos. La CGT travaille à une perspective de reprise de l’activité des ateliers – la majorité – qui ne font pas partie de la reprise chinoise de 54 salariés sur 460. A suivre, par conséquent.

Contester les stratégies patronales au service des actionnaires, c’est aussi ce que fait la CGT dans l’électronique, à STMicroelectronics – société héritière de Thomson nationalisée, tout comme Thales – et à Soitec. Le constat, c’est la perspective de la suppression de 1000 emplois chez STMicro en France à Crolles et Tours – 2800 dans le monde – et le retard technologique pris ces dernières années – une finesse de gravure des semi-conducteurs cinq à dix fois supérieure à celle de Samsung, de TSMC à Formose (Taïwan) et même à celle d’entreprises chinoises. Tandis que Macron est venu annoncer à Crolles une subvention de 2,9 milliards d’euros assorti d’un partenariat avec l’Américain Global foundries depuis aux abonnés absents. Là encore, la CGT avance un projet alternatif avec la création d’un « Airbus européen de l’électronique », permettant de reconquérir à terme une souveraineté industrielle aujourd’hui en voie d’abandon.

Mais, pour les syndicalistes, là n’est pas l’unique question posée en termes de stratégie industrielle. L’électronique pour quels usages, avec quel emploi des ressources naturelles ? Délocaliser les productions pour éloigner les nuisances et accroître les pollutions liées au transport n’est certes pas la solution du point de vue de l’avenir de l’espèce humaine : elle l’est pour accroître le niveau des profits. D’où le débat conduit avec les salariés des entreprises concernées pour imposer une meilleure gestion des ressources – l’eau, entre autres – et employer des technologies améliorées – ce qui implique des investissements dans la recherche – pour répondre à des besoins sociaux : le développement des usages de l’électricité et la croissance de sa production imposent le recours à des semi-conducteurs adaptés à ces destinations.
En débattre dans et hors l’entreprise
Un point commun à tout cela ? L’impératif du débat avec les salariés sur les stratégies industrielles, le sens de leur travail, l’importance de la recherche pour améliorer les procédés et en faire émerger de novateurs. Mais pas seulement. La nature des productions industrielles, leurs modalités, les besoins auxquelles elles correspondent concernent l’ensemble de la société. Que ce soit pour la production d’appareils de diagnostics médicaux adaptés aux pratiques hospitalières – et non uniquement issus du catalogue de General Electric – ou pour une filière chimique qui assure la souveraineté dans le domaine du médicament et de l’industrie spatiale européenne par exemple, ou encore dans l’informatique et l’électronique pour améliorer l’économie des ressources et répondre aux exigences de la transition écologique.
L’attente vis-à-vis du PCF est forte. Le rapport de forces qui peut se construire dans les entreprises pour faire émerger des alternatives aux diktats des actionnaires doit s’accompagner d’un débat citoyen dans et hors l’entreprise sur les technologies, leur destination et leurs usages. Le sens du plan climat 2050 proposé par le PCF et du débat que les communistes souhaitent nourrir avec les ouvriers, ingénieurs, techniciens, chercheurs… et les citoyens.

Essoufflement régional
La communication régionale est riche d’autosatisfecit sur la création d’entreprises et d’emplois dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.
En 2024, elle communiquait ainsi : « la région Auvergne‑Rhône-Alpes agit pour la souveraineté industrielle avec un plan stratégique de relocalisation de 1,2 milliard d’euros. Les résultats sont là : première région de France en matière de relocalisation avec 73 nouvelles usines en 2023 ; création de 12000 emplois. »
En 2025, le slogan a évolué : « la région Auvergne‑Rhône-Alpes agit pour la souveraineté industrielle avec un plan stratégique de relocalisation de 1,2 milliard d’euros. Les résultats sont là : première région de France en matière de relocalisation avec 103 nouvelles usines depuis 2023 ; création de 14000 emplois entre 2021 et 2024. »