Arkema Jarrie. Les salariés et leurs soutiens réunis sur le piquet de grève

Par Manuel Pavard

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La journée s'est conclue par une manifestation des salariés, portant des croix en bois, sur la N85.
Plus de 500 personnes se sont rassemblées ce mercredi 5 février devant l'usine Arkema, sur la plateforme chimique de Jarrie, à l'appel de la FNIC-CGT et de la coordination CGT Arkema. Une journée de soutien aux salariés, en grève depuis le 5 décembre contre la fermeture annoncée de la partie sud, corrélée à la suppression de 154 emplois. Après une succession de prises de parole, les manifestants ont défilé sur la N85, réclamant notamment la nationalisation temporaire de l'entreprise.

Pour sau­ver Arke­ma et la filière chi­mie, « un seul moyen : la grève et la lutte », lance Serge Allègre. Les pro­pos du secré­taire géné­ral de la Fédé­ra­tion natio­nale des indus­tries chi­miques CGT, juché sur des palettes fai­sant office d’es­trade, sont accla­més par la foule. Sala­riés d’Ar­ke­ma, Ven­co­rex, Fra­ma­tome, Syens­qo (ex-Sol­vay), Air Liquide… Ils sont plus de 500 réunis ce mer­cre­di 5 février, sur le piquet de grève, devant l’en­trée de la pla­te­forme chi­mique de Jar­rie. « C’est la classe ouvrière qui résiste et refuse de mou­rir », résume fiè­re­ment un sala­rié d’Ar­ke­ma Pierre-Bénite (Rhône), venu sou­te­nir ses cama­rades isé­rois.

Le ras­sem­ble­ment a débu­té dès 10h le matin, sur le piquet de grève d’Ar­ke­ma Jar­rie.

Tous ont répon­du à l’ap­pel de la FNIC-CGT et de la coor­di­na­tion CGT Arke­ma, à l’i­ni­tia­tive de cette grande jour­née de mobi­li­sa­tion. Un évè­ne­ment des­ti­né à sou­te­nir les sala­riés d’Ar­ke­ma Jar­rie, en grève depuis deux mois contre la fer­me­ture de la par­tie sud de l’u­sine, annon­cée par la direc­tion. Mais aus­si à s’op­po­ser aux liqui­da­tions, pla­ce­ments en redres­se­ment, fer­me­tures de site, plans de licen­cie­ments et de sup­pres­sion d’emplois, qui se suc­cèdent sans dis­con­ti­nuer depuis des semaines, par­tout en France.

Des salariés de toute l’industrie de la chimie

Ras­sem­blés sur le site depuis 10h, ce mer­cre­di matin, les ouvriers, tech­ni­ciens, ingé­nieurs pré­sents ont tous, quelle que soit leur entre­prise, des rai­sons de s’in­quié­ter. On croise notam­ment des sala­riés de Fra­ma­tome, eux aus­si par­ti­cu­liè­re­ment tou­chés par les dif­fi­cul­tés de leur voi­sin Arke­ma. Des Ven­co­rex, les pre­miers à avoir lan­cé le mou­ve­ment, avec deux mois de grève, d’oc­tobre à décembre, sur la pla­te­forme de Pont-de-Claix. Pour ces der­niers, « les pre­miers licen­cie­ments auront lieu dans quinze jours. Les sala­riés ont per­du espoir après les 68 jours de grève », avoue Sévé­rine Dejoux, élue CGT au CSE.

Séve­rine Dejoux, élue CGT au CSE de Ven­co­rex, au micro.

À un mois de la déci­sion du tri­bu­nal de com­merce, la pro­duc­tion est à l’ar­rêt et aucune annonce de reprise autre que celle du groupe chi­nois Wan­hua ne se pro­file. Mar­di 4 février, Fran­çois Bay­rou a reçu les par­le­men­taires isé­rois au sujet de l’a­ve­nir de Ven­co­rex. « Le Pre­mier ministre récu­père le dos­sier déte­nu par Marc Fer­rac­ci, ministre de l’Économie », observe Séve­rine Dejoux, qui attend main­te­nant des actes, tout en espé­rant une bonne sur­prise avant la fin de la période d’ob­ser­va­tion, le 6 mars. D’i­ci là, la CGT entend bien contes­ter la pre­mière vague de licen­cie­ments.

Les mani­fes­tants ont défi­lé en por­tant des croix en bois réa­li­sées à par­tir de palettes.

Autres sala­riés, ceux de Syens­qo, arri­vés en car de la pla­te­forme chi­mique de Saint-Fons, près de Lyon. L’en­tre­prise est issue de la scis­sion de Sol­vay en deux groupes, en décembre 2023. Ses élus CGT évoquent « un bel exemple de déman­tè­le­ment et de délo­ca­li­sa­tion mon­diale : l’a­rôme vanille », pro­duit par Syens­qo grâce à un pro­cé­dé de fabri­ca­tion unique en Europe. Ceci avec une matière pre­mière venant à la fois d’Ar­ke­ma Jar­rie (la soude et le chlo­rure de méthyl), de Kem One Saint-Fons (l’a­cide) ou de la pla­te­forme de Rous­sillon (le phé­nol).

Les prises de parole se sont suc­cé­dé lors du ras­sem­ble­ment.

Pro­blème : Syens­qo a été vic­time de la concur­rence des Chi­nois, qui « arrivent à vendre l’arôme vanille moins cher que la matière pre­mière grâce à la sub­ven­tion de l’État chi­nois », explique la CGT. Résul­tat des courses, la pro­duc­tion a dû stop­per en jan­vier 2024 avec une cin­quan­taine de postes sup­pri­més à la clé, dans l’a­te­lier de Saint-Fons.

« Association de malfaiteurs »

Ces sup­pres­sions d’emplois, c’est ce que Serge Allègre nomme fort jus­te­ment des « plans anti­so­ciaux ». Mais, assure-t-il, « on va lut­ter et on fera plier cette asso­cia­tion de mal­fai­teurs, c’est-à-dire le gou­ver­ne­ment et le patro­nat ». Le secré­taire géné­ral de la FNIC-CGT ouvre une suc­ces­sion de prises de parole de repré­sen­tants syn­di­caux et poli­tiques.

Serge Allègre, secré­taire géné­ral de la FNIC-CGT.

Par­mi eux, Alexandre Fiat, secré­taire du syn­di­cat CGT Arke­ma Jar­rie, affiche son incom­pré­hen­sion face à la stra­té­gie du groupe : « Nos filières sont stra­té­giques, on fabrique nos pro­duits depuis la nuit des temps, on sait les tra­vailler, les fabri­quer en sécu­ri­té, et aujourd’­hui, la direc­tion pré­texte une pro­blé­ma­tique à Ven­co­rex. Le seul lien qu’on a, sur le sel, on peut le résoudre faci­le­ment. Mais ils ne veulent pas et n’ont jamais vou­lu le faire », s’in­surge-t-il.

Plu­sieurs cen­taines de per­sonnes ont défié de la pla­te­forme chi­mique à la N85.

Alexandre Fiat pro­met néan­moins de lut­ter jus­qu’au bout avec ses cama­rades, tout en inter­pel­lant direc­te­ment l’É­tat. « Si on veut conti­nuer à avoir nos mis­siles, nos fusées, notre pro­duc­tion de nucléaires, les conden­sa­teurs, la filière élec­trique, c’est ici que ça se fait », sou­ligne l’é­lu CGT. Avant d’i­ro­ni­ser, dépi­té : « Sinon ils n’ont qu’à dire qu’ils vendent tout aux Chi­nois et c’est ter­mi­né… » « Ils ont du pognon à perdre, nous, on a de la patience », enchaîne Régis Aymes, délé­gué syn­di­cal cen­tral d’Ar­ke­ma Saint-Auban (Alpes-Mari­times) et repré­sen­tant de la coor­di­na­tion CGT Arke­ma.

Alexandre Fiat, secré­taire du syn­di­cat CGT Arke­ma Jar­rie.

« C’est grâce à la lutte qu’on arri­ve­ra à gar­der les emplois et le main­tien de l’ou­til indus­triel sur Jar­rie », pour­suit-il. « Com­ment ne pas par­ler de cette asso­cia­tion de mal­fai­teurs avec un gou­ver­ne­ment qui refuse la natio­na­li­sa­tion de Ven­co­rex et Arke­ma Jar­rie, esti­mée par le cabi­net Alix­Part­ners entre 250 et 300 mil­lions d’eu­ros ? Qu’est-ce que ça repré­sente par rap­port aux 2 mil­liards d’eu­ros que l’É­tat va devoir mettre pour tes­ter le per­chlo­rate avec du sel alle­mand ? » La somme qu’im­plique une natio­na­li­sa­tion équi­vaut ain­si à « une goutte d’eau » au regard de la « perte de sou­ve­rai­ne­té » induite, note Régis Aymes.

« Si ce n’est pas la nationalisation, ça peut être la réquisition »

Nico­las Benoit, secré­taire géné­ral de l’UD CGT Isère, va même plus loin, esti­mant — à pro­pos de Ven­co­rex — que « la boîte ne vaut plus rien. (…) Ce qui va coû­ter, c’est le pro­jet et là, il va fal­loir faire payer les action­naires et les patrons. » Rap­pe­lant les pro­po­si­tions, pré­sen­tées par la CGT lors du ras­sem­ble­ment de décembre der­nier place de Ver­dun, d’or­ga­ni­ser « des assises de l’in­dus­trie et un mora­toire sur les licen­cie­ments », il déplore éga­le­ment l’ab­sence de réponse de Cathe­rine Séguin.

La FNIC-CGT était à l’i­ni­tia­tive de cette jour­née, aux côtés de la coor­di­na­tion CGT Arke­ma.

« La pré­fète est plus occu­pée à faire la chasse aux migrants ou à reve­nir sur le congé mens­truel alloué par cer­taines col­lec­ti­vi­tés », accuse Nico­las Benoit, cin­glant. Quant à Arke­ma, « si ce n’est pas la natio­na­li­sa­tion, ça peut être la réqui­si­tion », clame le syn­di­ca­liste.

Nico­las Benoit, secré­taire géné­ral de l’u­nion dépar­te­men­tale CGT Isère.

Si le terme d’ef­fet domi­no fait débat au sein de la CGT, cer­tains, comme Alexandre Fiat, pré­fé­rant par­ler d’un « effet d’au­baine », l’in­ter­dé­pen­dance des acti­vi­tés des dif­fé­rentes entre­prises de la filière est incon­tes­table. Illus­tra­tion avec Fra­ma­tome, qui subit les consé­quences directes de l’ar­rêt de la pro­duc­tion dans la par­tie sud d’Ar­ke­ma. « Actuel­le­ment, on se retrouve sans chlore », pré­cise Meh­di Des­cha­net, délé­gué syn­di­cal cen­tral CGT de Fra­ma­tome Jar­rie. « Et demain (jeu­di), on a un CSE, on va pas­ser en chô­mage par­tiel pour 140 per­sonnes à par­tir du 1er avril. »

Meh­di Des­cha­net, délé­gué syn­di­cal cen­tral CGT de Fra­ma­tome Jar­rie.

Soup­çon­né de vou­loir pro­fi­ter de la situa­tion, le PDG de Fra­ma­tome avait en outre annon­cé ini­tia­le­ment « la reprise de 50 sala­riés d’Ar­ke­ma », spé­cia­li­sés dans le dépo­tage du chlore. « Ensuite, c’est pas­sé à 35, puis ça a fini à 30… On voit qu’ils des­cendent de plus en plus », constate Meh­di Des­cha­net qui, lui, n’hé­site pas à men­tion­ner « l’ef­fet domi­no qui se fait res­sen­tir ». D’où l’ap­pel à la grève lan­cé éga­le­ment à Fra­ma­tome par l’in­ter­syn­di­cale de la pla­te­forme (CGT, CFDT, CFE-CGC).

Les propositions des communistes

Du côté des res­pon­sables poli­tiques, Fré­dé­ric Boc­ca­ra, membre du conseil natio­nal du PCF, salue la « lutte exem­plaire » des gré­vistes de Ven­co­rex, puis d’Ar­ke­ma. « Car elle montre que des contre-pro­po­si­tions sont pos­sibles », affirme l’é­co­no­miste et sta­tis­ti­cien com­mu­niste. C’est cela qui per­met de mobi­li­ser plus lar­ge­ment. « Il faut mon­trer à quel point c’est les mil­liards de l’argent public qu’on va cacher si on veut gaver les action­naires », ajoute-t-il.

La ban­de­role de tête reliant la lutte pour l’in­dus­trie à la défense des ser­vices publics.

Fré­dé­ric Boc­ca­ra com­pare lui aus­si le coût de la natio­na­li­sa­tion aux 2 mil­liards pré­ci­tés, aux­quels s’a­joutent « 3 mil­liards pour dépol­luer » le site. Soit « 5 mil­liards en tout, plus de dix fois ce qu’il fau­drait pour natio­na­li­ser et déve­lop­per le pro­jet ». Le diri­geant com­mu­niste inter­pelle aus­si la Banque publique d’in­ves­tis­se­ment et la Caisse des dépôts : « Le pôle public ban­caire doit finan­cer, comme il l’a fait pen­dant la pan­dé­mie, à 0 % votre pro­jet. »

Fré­dé­ric Boc­ca­ra, membre de la direc­tion natio­nale du PCF.

À l’ins­tar de la CGT, le PCF appelle éga­le­ment à « réunir par­tout des cel­lules d’ur­gence, autour des pré­fets », indique Fré­dé­ric Boc­ca­ra. « Ces plans doivent entendre les alter­na­tives des tra­vailleurs et mobi­li­ser les banques. » Autant de pro­po­si­tions aujourd’­hui por­tées par le Nou­veau Front popu­laire et inté­grées à son pro­gramme, se féli­cite-t-il.

Les gré­vistes rap­pellent qu’Ar­ke­ma vit de l’argent public, comme les autres grosses entre­prises de l’in­dus­trie.

Dans un tel contexte, de quels leviers dis­posent les élus locaux ? « On apporte notre exper­tise », explique le conseiller régio­nal com­mu­niste Éric Hours. « L’en­tre­prise est située dans un ter­ri­toire », tous deux dépen­dant mutuel­le­ment l’un de l’autre. « La chi­mie dans le Sud gre­no­blois, c’est vital, puisque les villes sont construites autour de la chi­mie », sou­ligne-t-il. « Ici, si on a des ser­vices publics, des écoles, etc, c’est grâce à l’in­dus­trie chi­mique, qui date d’a­vant la guerre 14–18. » L’é­lu entend bien inter­ro­ger la majo­ri­té régio­nale de droite pour connaître sa « réelle posi­tion » sur ce dos­sier, rap­pe­lant le vœu com­mun dépo­sé par les groupes de gauche il y a quelques mois, qui appe­lait à « sau­ver l’in­dus­trie ».

Des croix plantées le long de la N85

Par­ti­cu­liè­re­ment déter­mi­nés, les sala­riés pré­sents ont défi­lé l’a­près-midi — après avoir ava­lé une bonne « mer­guez révo­lu­tion­naire » — pre­nant la direc­tion de la N85. Des mani­fes­tants bran­dis­sant, pour une bonne par­tie d’entre eux, des croix en bois confec­tion­nées à par­tir de palettes. Por­ter sa croix, ne pas faire de croix sur leur com­bat, ou tout sim­ple­ment l’en­ter­re­ment, déci­dé par le patro­nat, de leur filière… Cha­cun pou­vait mettre la sym­bo­lique de son choix der­rière cet objet.

Les mani­fes­tants ont plan­té des croix en bor­dure de la N85.

Après une longue marche le long de la natio­nale, le cor­tège a fait halte au pre­mier feu pré­cé­dant le rond-point de Cham­pa­gnier, pour un nou­veau dis­cours de Serge Allègre. Avant de plan­ter une série de croix sur les talus, en bord de route, pour atti­ser la curio­si­té des auto­mo­bi­listes.

Un amas de croix en bois le long de la route.

Blo­qués un bon moment dans leur voi­ture, par la mani­fes­ta­tion, ces der­niers n’ont d’ailleurs, une fois n’est pas cou­tume, fait état d’au­cun signe mani­feste d’a­ga­ce­ment. Pas de klaxon, pas de cris de pro­tes­ta­tion… Comme si la por­tée uni­ver­selle de ce com­bat ne pou­vait que sus­ci­ter l’adhé­sion.

Avec Mar­tine Briot

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