Arkema annonce la suppression de 154 postes à Jarrie, la CGT dénonce un « effet d’aubaine »

Par Manuel Pavard

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Des salariés d'Arkema Jarrie sur le piquet de grève, mercredi 22 janvier, au lendemain de l'annonce de la direction.
Arkema a annoncé ce mardi 21 janvier, en CSE, la suppression de 154 postes sur la plateforme chimique de Jarrie. La conséquence d'un "recentrage" de l'activité sur la partie nord de l'usine, au détriment de la partie sud, vouée à s'arrêter. Sur le piquet de grève, salariés et syndicats ne décolèrent pas. La CGT évoque ainsi un "effet d'aubaine" pour la direction, qui profite des difficultés de Vencorex pour justifier une fermeture.

Sur le piquet de grève en place depuis un mois et demi, à l’en­trée de la pla­te­forme chi­mique de Jar­rie, les mines sont moroses ce mer­cre­di 22 jan­vier. Certes, aucun des sala­riés pré­sents n’a vrai­ment été sur­pris par l’an­nonce, la veille, d’Ar­ke­ma France, lors du CSE au siège du groupe chi­miste. La direc­tion a en effet sur­tout confir­mé les infor­ma­tions inquié­tantes qui avaient déjà fil­tré pro­gres­si­ve­ment au cours des der­nières semaines, tout en appor­tant quelques pré­ci­sions. Mal­gré tout, la sup­pres­sion évo­quée de 154 postes — sur un total de 344 dans l’u­sine isé­roise — a fait l’ef­fet d’un coup de mas­sue.

Ce PSE découle de « l’ar­rêt des acti­vi­tés de pro­duc­tion de chlore, de soude, de chlo­rure de méthyle et de fluides tech­niques » annon­cé par Arke­ma. Soit la par­tie sud du site, dont les sala­riés sont en grève depuis le 5 décembre der­nier. Dans son pro­jet de réor­ga­ni­sa­tion, l’en­tre­prise indique ain­si vou­loir opé­rer « un recen­trage sur les acti­vi­tés eau oxy­gé­née, chlo­rate et per­chlo­rate », à savoir la par­tie nord de l’u­sine.

Des sala­riés inquiets se sont réunis sur le piquet de grève, ce mer­cre­di, devant la pla­te­forme chi­mique de Jar­rie.

Prin­ci­pal argu­ment invo­qué par Arke­ma, « l’arrêt bru­tal de son appro­vi­sion­ne­ment en sel par son four­nis­seur his­to­rique Ven­co­rex, mis en redres­se­ment judi­ciaire par son action­naire thaï­lan­dais PTT GC ». Une situa­tion qui a conduit le groupe à mettre sur pause l’élec­tro­lyse sud de Jar­rie depuis plu­sieurs mois. Mais pour la CGT, c’est une fausse excuse. D’une part car Arke­ma « ne veut pas ache­ter le sel dis­po­nible », selon le syn­di­cat, qui pré­cise que Ven­co­rex est de nou­veau « en capa­ci­té de leur livrer du sel ». D’autre part car les ate­liers concer­nés (au Sud) ne sont tout sim­ple­ment « pas consom­ma­teurs de sel comme matière pre­mière, mais de chlore liquide ».

« On a l’impression que tout est calculé »

Ain­si, la théo­rie de « l’ef­fet domi­no » — par­fois employée éga­le­ment par la CGT Ven­co­rex — serait sur­tout uti­li­sée « dans la com­mu­ni­ca­tion d’Ar­ke­ma pour se dédoua­ner », estime Alexandre Fiat, secré­taire du syn­di­cat CGT Arke­ma Jar­rie. Lequel pré­fère par­ler d’un « effet d’au­baine ». En réa­li­té, « depuis des années, Arke­ma ne veut plus de la chi­mie du chlore, donc veut fer­mer tout le Sud, sans jus­ti­fi­ca­tifs », affirme-t-il.

Alexandre Fiat, secré­taire du syn­di­cat CGT Arke­ma Jar­rie et tech­ni­cien dans la par­tie sud.

« Arke­ma nous a inter­dit de démar­rer nos uni­tés à par­tir de sep­tembre, dès l’an­nonce de Ven­co­rex, pour les fer­mer », déplore le tech­ni­cien poly­va­lent en déri­vés chlo­rés. Et ce, « mal­gré le fait que ça gagne de l’argent, mal­gré les gros contrats pas­sés avec des grosses boîtes ». Quant à l’élec­tro­lyse fabri­quant du chlore liquide, celle-ci est bien à l’ar­rêt par manque de sel. Mais ici aus­si, Alexandre Fiat pointe du doigt Arke­ma, qui « ne veut pas faire venir des wagons de chlore liquide pour livrer Fra­ma­tome et nos ate­liers de déri­vés chlo­rés ».

Faute de pou­voir faire tour­ner leurs ate­liers, les sala­riés du Sud se sont mis en grève le 5 décembre — avant l’ex­ten­sion au Nord le 13 jan­vier — « pour arrê­ter la livrai­son à Fra­ma­tome », pour­suit le sala­rié. Depuis décembre, Fra­ma­tome n’a donc plus de chlore et « achète en Chine ses éponges de zir­ko­nium pour les cen­trales nucléaires ». Pour Alexandre Fiat, « Fra­ma­tome joue un rôle ambi­gu » depuis le début : « Je pense qu’ils vont faire au mieux les requins, c’est-à-dire attendre que ce soit ter­mi­né ici pour reprendre l’ou­til indus­triel… Et on n’est pas à l’a­bri que Fra­ma­tome uti­lise ça pour jus­ti­fier une fer­me­ture de son site. » Là encore, le fameux « effet domi­no, à cause de Ven­co­rex ou Arke­ma ».

La CGT accuse la direc­tion d’Ar­ke­ma et son PDG Thier­ry Le Hénaff de sacri­fier leurs emplois au pro­fit des action­naires.

Les sala­riés tenant le piquet de grève sont d’ailleurs qua­si una­nimes à ce sujet. Une sorte de « coup mon­té de la part des indus­triels de la chi­mie », décrit l’un d’entre eux, ajou­tant qu’il n’y a « rien de com­plo­tiste dans cette théo­rie ». « On a l’im­pres­sion que tout est cal­cu­lé », abonde Alexandre Fiat, qui fus­tige une « stra­té­gie finan­cière uni­que­ment à court terme », sans aucune vision d’a­ve­nir pour l’in­dus­trie. « Les argu­ments d’a­ve­nir pour le Nord, ce n’est que de l’à peu près », regrette-t-il. « Pas un docu­ment, pas d’é­tudes scien­ti­fiques » pour appuyer ces pré­vi­sions.

« On se demande si l’É­tat fran­çais ne va pas se désen­ga­ger des acti­vi­tés, sous pré­texte que ces pro­duits-là peuvent être faits ailleurs dans l’O­tan, en Tur­quie, en Pologne… Après, il s’a­gi­ra de ne pas se faire enva­hir (…). Sinon il nous res­te­ra des baïon­nettes. »

Alexandre Fiat, CGT Arke­ma Jar­rie

Le repré­sen­tant CGT sou­lève les nom­breuses inter­ro­ga­tions entou­rant l’a­ve­nir du site. Y com­pris pour le Nord qui néces­si­te­ra « un autre sel », compte tenu des doutes pla­nant sur l’ex­ploi­ta­tion de la mine d’Hau­te­rives (Drôme). Des essais, avec du sel en pro­ve­nance d’Al­le­magne, ont été effec­tués pour le chlo­rate, mais pas encore pour le per­chlo­rate. Or, l’en­jeu est cru­cial pour la France.

Le per­chlo­rate pro­duit par Arke­ma, dans sa par­tie nord, est en effet indis­pen­sable à la fabri­ca­tion du car­bu­rant des fusées Ariane et des mis­siles stra­té­giques M51. Pour­tant, « silence radio du minis­tère de la Défense », constate Alexandre Fiat. Et celui-ci de s’in­ter­ro­ger : « On se demande si l’É­tat fran­çais ne va pas se désen­ga­ger des acti­vi­tés, sous pré­texte que ces pro­duits-là peuvent être faits ailleurs en Europe ou dans l’O­tan, en Tur­quie, en Pologne… Après, il s’a­gi­ra de ne pas se faire enva­hir par les Russes ou un autre dingue. Sinon il nous res­te­ra des baïon­nettes, comme en 1914. »

Dis­cus­sions intenses entre sala­riés, à la veille de rece­voir les diri­geants d’Ar­ke­ma sur le site.

Le mili­tant syn­di­cal sou­ligne en outre l’im­puis­sance d’Ar­ke­ma ou Ven­co­rex, qui « ne pro­tègent pas leurs bre­vets », face à la concur­rence chi­noise. « Ils nous plombent et ils font ça bien », assène-t-il. « Pas de taxes doua­nières, pas de taxes sur les trans­ports mari­times… Ils sont pro­prié­taires de leurs bateaux : quand l’ar­ma­teur est chi­nois, il prend des pro­duits chi­nois. » A contra­rio, Arke­ma recourt à des arma­teurs de divers pays euro­péens et « il n’est pas rare que les pro­duits res­tent à quai », déplore le sala­rié.

La direction d’Arkema vient présenter le PSE jeudi 23 janvier

Dans ce contexte peu ras­su­rant, l’in­ter­syn­di­cale (CGT, CFDT, CFE-CGC) entend impo­ser un rap­port de force pour ten­ter, au mini­mum, de sau­ver les meubles. De leur côté, les sala­riés attendent de pied ferme la direc­tion d’Ar­ke­ma qui vien­dra leur pré­sen­ter le PSE, ce jeu­di 23 jan­vier, à Jar­rie. Le len­de­main, ven­dre­di 24 jan­vier, une nou­velle assem­blée géné­rale est pré­vue devant la pla­te­forme chi­mique pour déci­der des suites du mou­ve­ment.

Mais la vraie réunion lan­çant offi­ciel­le­ment le PSE aura lieu la semaine pro­chaine. « C’est celle qui va faire démar­rer le timing. À par­tir de cette date, on aura trois mois », explique Alexandre Fiat. Vien­dront ensuite les pre­miers licen­cie­ments éco­no­miques. Et si Arke­ma pro­met un sou­tien via « une cel­lule d’accompagnement et d’aide au repo­si­tion­ne­ment pro­fes­sion­nel », les sala­riés, eux, ne cachent pas leur amer­tume.

Les sala­riés du Sud se sont mis en grève dès le 5 décembre, mobi­li­sa­tion qui tient tou­jours depuis.

Pour Alexandre Fiat, Arke­ma aurait dû dire « ok on ferme, on ne cherche pas d’ex­cuses, on veut vous déga­ger mais on vous fait un gros chèque ». Mais, accuse-t-il, « même ça, ils ne sont pas capables de le faire ». Selon lui, il s’a­gi­rait presque d’une ques­tion de juris­pru­dence : « Vu qu’on est un peu le pre­mier site, dans la nou­velle vague de gros sites indus­triels, à démar­rer le PSE, on va être réfé­rence dans les négo­cia­tions. La direc­tion n’a donc pas inté­rêt à ce que ce soit trop haut »… Sous peine d’ins­pi­rer les syn­di­cats des autres usines mena­cées.

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