Crolles. Teisseire, ST, Soitec… Des salariés unis contre la casse industrielle

Par Manuel Pavard

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Les salariés de Teisseire, menacés pour 205 d'entre eux de perdre leur emploi au printemps prochain, derrière la banderole de tête.
Les salariés de Teisseire Crolles, en grève depuis le 9 octobre contre la fermeture de leur usine, ont défilé ce mardi 2 décembre, aux côtés de salariés d'autres entreprises locales, contre la casse industrielle et les suppressions d'emplois dans le Grésivaudan. Une manifestation organisée à l'appel de l'UL CGT Grésivaudan et des syndicats CGT de Teisseire, STMicroelectronics, Soitec et Atraltech, dans le cadre de la journée de grève nationale. Parti de l'usine du fabricant de sirops, le cortège a ensuite fait étape devant les sites des entreprises précitées, à Crolles et à Bernin.

Qu’est-ce qui relie des sala­riés de Teis­seire, leurs col­lègues de STMi­croe­lec­tro­nics ou Soi­tec, et des livreurs Uber Eats et Deli­ve­roo, sou­vent auto-entre­pre­neurs ? Leur condi­tion de tra­vailleurs, mal­gré des sta­tuts et natio­na­li­tés — beau­coup de livreurs étant ori­gi­naires de Gui­née, à Gre­noble — dif­fé­rents. Et cette ferme convic­tion d’a­voir des inté­rêts com­muns, autre­ment dit la conscience de classe. Qu’on l’ap­pelle ain­si ou pas, c’est bien ce moteur qui a pous­sé les uns et les autres à défi­ler côte à côte, ce mar­di 2 décembre, dans la zone indus­trielle de Crolles et Ber­nin.

Jacky Coche (UL CGT Gré­si­vau­dan) au micro devant l’u­sine Teis­seire.

L’u­nion locale CGT du Gré­si­vau­dan ain­si que les syn­di­cats CGT de Teis­seire, ST, Soi­tec et Atral­tech avaient appe­lé les sala­riés de ces entre­prises et leurs sou­tiens à mani­fes­ter, à l’oc­ca­sion de la jour­née de grève natio­nale inter­pro­fes­sion­nelle contre l’aus­té­ri­té bud­gé­taire. Un appel auquel s’est donc joint le syn­di­cat CGT des livreurs à vélo, mobi­li­sés à la fois en sou­tien à leurs cama­rades de l’in­dus­trie et pour défendre l’oc­cu­pa­tion du siège de la Métro­pole, à laquelle par­ti­cipent de nom­breuses familles de livreurs.

Venus en sou­tien, les livreurs à vélo CGT ont racon­té leur occu­pa­tion du siège de la Métro­pole.

L’ob­jet de la mani­fes­ta­tion ? Dénon­cer bien sûr la fer­me­ture pro­chaine de l’u­sine Teis­seire de Crolles, mais aus­si, plus lar­ge­ment, « la casse indus­trielle en cours dans le bas­sin d’emploi du Gré­si­vau­dan », peu d’en­tre­prises échap­pant aux sup­pres­sions d’emplois et « réor­ga­ni­sa­tions » diverses. Le par­cours du défi­lé reflé­tait ain­si ces reven­di­ca­tions, avec un coup d’en­voi don­né depuis le piquet de grève de Teis­seire, puis des haltes, avec prises de parole syn­di­cales, devant les sites d’A­tral­tech, STMi­croe­lec­tro­nics et Soi­tec, avant un retour au point de départ.

« Aucun élément économique justifiant la fermeture »

Du côté du fabri­cant de sirops, c’est presque le sta­tu quo en tout cas. Cela fait près de huit semaines que les sala­riés sont en grève, vent debout contre la « mort indus­trielle pro­gram­mée » du site isé­rois, pour reprendre les termes de la CGT. Fer­me­ture pré­vue en avril 2026 et qui doit lais­ser 205 sala­riés sur le car­reau. Un véri­table « pillage » orga­ni­sé de la part du groupe Carls­berg qui, après avoir rache­té Brit­vic en 2024, a visé « l’assèchement de la tré­so­re­rie de l’entreprise crol­loise, s’ajoutant à la baisse des car­nets de com­mande par la sous-trai­tance de l’activité vers Slaur-Sar­det en Nor­man­die », dénoncent la CGT Isère et la Fédé­ra­tion natio­nale agroa­li­men­taire et fores­tière (FNAF CGT) Rhône-Alpes.

Près de 400 per­sonnes ont défi­lé der­rière les sala­riés de Teis­seire.

La pré­sen­ta­tion du PSE n’a ame­né à ce jour « aucun élé­ment éco­no­mique per­met­tant de jus­ti­fier la déci­sion de fer­me­ture por­tée par le groupe », selon les syn­di­cats. Au contraire, « l’entreprise a fait remon­ter au groupe 121,5 mil­lions d’euros en 2024 » tan­dis que « les résul­tats éco­no­miques res­tent posi­tifs en 2024 avec 3,4 mil­lions d’eu­ros de résul­tat d’exploitation ». D’où une déci­sion qui « relève uni­que­ment d’une opé­ra­tion spé­cu­la­tive », d’a­près la CGT.

L’U­nef était éga­le­ment pré­sente dans le cor­tège.

Au sein du cor­tège, plu­sieurs sala­riés insistent ain­si sur ce point, sou­li­gné par la CGT : Teis­seire est bien « une entre­prise solide finan­ciè­re­ment et dis­pose de toutes les com­pé­tences en R&D » pour se posi­tion­ner sur de nou­veaux pro­duits, en com­plé­ment de la pro­duc­tion his­to­rique de sirops.

« La direc­tion affirme qu’on ne peut pas res­ter sur le site car on ne répond pas aux stan­dards Carls­berg : douze lignes de prod’, sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec TRS très éle­vé… Soit. Mais alors pour­quoi envoyer à la Slaur qui ne répond pas elle-même à ces stan­dards ? »

Un sala­rié de Teis­seire

Aujourd’­hui, les négo­cia­tions sur le PSE avec la direc­tion sont au point mort, explique un sala­rié : « On n’a tou­jours pas signé l’ac­cord de méthode et on est en attente de notre rap­port d’ex­per­tise. On n’a tou­jours pas d’in­for­ma­tions de notre direc­tion sur pour­quoi on est en défi­cit, où sont pas­sés les 144 mil­lions d’eu­ros [NDLR : de 120 mil­lions de tré­so­re­rie à moins 24 mil­lions entre 2024 et 2025]… donc on espère que les experts pour­ront nous don­ner des infor­ma­tions com­plé­men­taires à ce sujet. »

Des mani­fes­tants com­ba­tifs.

Les gré­vistes réclament un retour de la pro­duc­tion délo­ca­li­sée vers la Slaur-Sar­det, pour­suit-il, ain­si que « des inves­tis­se­ments sur le site pour pré­ser­ver la marque et nos emplois, à Crolles, à côté de la R&D ». Laquelle doit res­ter à Crolles, à en croire les décla­ra­tions du pré­sident de Teis­seire, Chris­tophe Gar­cia.

Le sala­rié pré­ci­té [qui tient à res­ter ano­nyme] réfute par ailleurs la thèse de la direc­tion affir­mant « qu’on ne peut pas res­ter sur le site car on ne répond pas aux stan­dards Carls­berg : douze lignes de prod’, sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec TRS (taux de ren­de­ment syn­thé­tique) très éle­vé… Soit. Mais alors pour­quoi envoyer à la Slaur qui ne répond pas elle-même à ces stan­dards ? », iro­nise-t-il, citant, entre autres exemples, « l’im­pos­si­bi­li­té de faire du bio » pour le sous-trai­tant havrais, contrai­re­ment à Teis­seire.

« La seule bataille perdue, c’est celle qui n’a pas été menée »

Plus le temps passe, plus la déci­sion de Carls­berg appa­raît donc non seule­ment injus­ti­fiée au niveau éco­no­mique, mais éga­le­ment illo­gique sur le plan indus­triel. Un point com­mun avec la situa­tion des autres grandes entre­prises du Gré­si­vau­dan, qui ont toutes fait l’ob­jet de mesures absurdes, à chaque fois pour le seul pro­fit des diri­geants et action­naires, et au détri­ment de leurs sala­riés.

Alice Pel­le­tier, délé­guée syn­di­cale CGT STMi­croe­lec­tro­nics.

Illus­tra­tion lors des prises de parole orga­ni­sées sur les dif­fé­rentes étapes du par­cours. Kamel Mou­had, secré­taire géné­ral de l’UL CGT du Gré­si­vau­dan (et délé­gué syn­di­cal CGT Soi­tec) pointe ain­si le PSE réa­li­sé par Altral­tech, « qui désor­ga­nise com­plè­te­ment l’en­tre­prise », pous­sant même les sala­riés non ciblés par ce PSE à vou­loir par­tir « par tous les moyens pos­sibles ». Atral­tech (spé­cia­li­sée dans les sys­tèmes de sécu­ri­té et télé­sur­veillance) qui a en outre été « rache­tée par [le mil­liar­daire Pierre-Edouard] Ste­rin, qui finance l’ex­trême droite », ajoute-t-il.

Pierre David (UL CGT Gré­si­vau­dan), devant Atral­tech.

Pierre David, de l’UL CGT, rap­proche le cas de cette entre­prise de celui de Teis­seire : « Les inves­tis­se­ments ne sont pas faits donc à un moment don­né, on nous dit que ce n’est plus ren­table et qu’on n’a pas d’autre solu­tion que de licen­cier des gens et peut-être à terme, de fer­mer la bou­tique. » Là encore, une déci­sion sans aucune jus­ti­fi­ca­tion éco­no­mique. « Depuis qu’A­tral­tech a été reven­due, rien n’a été fait pour que ce soit déve­lop­pé alors qu’il y a les com­pé­tences. Du coup, les sala­riés en ont marre, ils s’en vont et les com­pé­tences avec », déplore-t-il. Pierre David s’ap­puie tou­te­fois sur la lutte vic­to­rieuse — sur les salaires — conduite ici en 2012 pour refu­ser la rési­gna­tion : « La seule bataille per­due, c’est celle qui n’a pas été menée ! »

« Des centaines d’emplois menacés dans la vallée du Grésivaudan »

En pas­sant devant STMi­croe­lec­tro­nics, puis Soi­tec, les res­pon­sables CGT effec­tue des constats simi­laires, avec les mêmes causes pro­dui­sant les mêmes effets. Nadia Sal­hi, délé­guée syn­di­cale CGT ST France, rap­pelle ain­si les visites suc­ces­sives des pré­si­dents de la Répu­blique et ministres à Crolles, dont la der­nière en date en 2022. C’é­tait Emma­nuel Macron, venu « annon­cer des aides de l’É­tat à hau­teur de 2,9 mil­liards d’eu­ros pour agran­dir l’u­sine et pour créer mille emplois ». Résul­tat des courses, en 2025, « le PDG annonce mille sup­pres­sions d’emplois [NDLR : en France] », s’in­surge-t-elle.

Devant l’u­sine ST de Crolles.

Devant Soi­tec, Kamel Mou­had évoque quant à lui « la crise finan­cière et de gou­ver­nance de l’en­tre­prise », comme en témoigne la récente démis­sion du direc­teur géné­ral. Une délé­ga­tion d’é­lus syn­di­caux de Soi­tec et STMi­croe­lec­tro­nics a d’ailleurs été reçue au minis­tère lun­di 1er décembre pour inter­pel­ler le gou­ver­ne­ment. « Il y a des cen­taines d’emplois mena­cés aujourd’­hui dans la val­lée du Gré­si­vau­dan », s’in­quiète le syn­di­ca­liste. Et sa cama­rade Alice Pel­le­tier, délé­guée syn­di­cale CGT à STMi­croe­lec­tro­nics Crolles, de mar­te­ler une évi­dence, régu­liè­re­ment répé­tée dans les mani­fes­ta­tions : « De l’argent, il y en a dans les caisses du patro­nat ! » Et ce, « par mil­liards, alors que c’est nous qui pro­dui­sons les richesses ».

Hela Sal­hi, délé­guée syn­di­cale CGT Soi­tec.

De leur côtés, la CGT Isère et la FNAF CGT s’a­dressent direc­te­ment à la repré­sen­tante de l’É­tat : « Nous réité­rons auprès de la pré­fète de l’I­sère notre demande de l’organisation d’as­sises de l’in­dus­trie et de l’emploi en Isère afin de sor­tir de la spi­rale qui voit les entre­prises mettre la clé sous la porte les unes après les autres sans aucune inter­ven­tion de l’État, mal­gré 211 mil­liards d’aides publiques tous les ans. »

Nou­velle mani­fes­ta­tion le 11 décembre

Une seconde mani­fes­ta­tion sera orga­ni­sée jeu­di 11 décembre au départ de l’u­sine Teis­seire et jus­qu’à la mai­rie de Crolles, avec la pré­sence de Sophie Binet, secré­taire géné­rale de la CGT, et de Fabien Gay, séna­teur PCF ayant révé­lé le scan­dale des 211 mil­liards d’aides publiques sans contre­par­tie aux entre­prises.

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