Arkema annonce la suppression de 154 postes à Jarrie, la CGT dénonce un « effet d’aubaine »
Par Manuel Pavard
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Sur le piquet de grève en place depuis un mois et demi, à l’entrée de la plateforme chimique de Jarrie, les mines sont moroses ce mercredi 22 janvier. Certes, aucun des salariés présents n’a vraiment été surpris par l’annonce, la veille, d’Arkema France, lors du CSE au siège du groupe chimiste. La direction a en effet surtout confirmé les informations inquiétantes qui avaient déjà filtré progressivement au cours des dernières semaines, tout en apportant quelques précisions. Malgré tout, la suppression évoquée de 154 postes — sur un total de 344 dans l’usine iséroise — a fait l’effet d’un coup de massue.
Ce PSE découle de « l’arrêt des activités de production de chlore, de soude, de chlorure de méthyle et de fluides techniques » annoncé par Arkema. Soit la partie sud du site, dont les salariés sont en grève depuis le 5 décembre dernier. Dans son projet de réorganisation, l’entreprise indique ainsi vouloir opérer « un recentrage sur les activités eau oxygénée, chlorate et perchlorate », à savoir la partie nord de l’usine.
Principal argument invoqué par Arkema, « l’arrêt brutal de son approvisionnement en sel par son fournisseur historique Vencorex, mis en redressement judiciaire par son actionnaire thaïlandais PTT GC ». Une situation qui a conduit le groupe à mettre sur pause l’électrolyse sud de Jarrie depuis plusieurs mois. Mais pour la CGT, c’est une fausse excuse. D’une part car Arkema « ne veut pas acheter le sel disponible », selon le syndicat, qui précise que Vencorex est de nouveau « en capacité de leur livrer du sel ». D’autre part car les ateliers concernés (au Sud) ne sont tout simplement « pas consommateurs de sel comme matière première, mais de chlore liquide ».
« On a l’impression que tout est calculé »
Ainsi, la théorie de « l’effet domino » — parfois employée également par la CGT Vencorex — serait surtout utilisée « dans la communication d’Arkema pour se dédouaner », estime Alexandre Fiat, secrétaire du syndicat CGT Arkema Jarrie. Lequel préfère parler d’un « effet d’aubaine ». En réalité, « depuis des années, Arkema ne veut plus de la chimie du chlore, donc veut fermer tout le Sud, sans justificatifs », affirme-t-il.
« Arkema nous a interdit de démarrer nos unités à partir de septembre, dès l’annonce de Vencorex, pour les fermer », déplore le technicien polyvalent en dérivés chlorés. Et ce, « malgré le fait que ça gagne de l’argent, malgré les gros contrats passés avec des grosses boîtes ». Quant à l’électrolyse fabriquant du chlore liquide, celle-ci est bien à l’arrêt par manque de sel. Mais ici aussi, Alexandre Fiat pointe du doigt Arkema, qui « ne veut pas faire venir des wagons de chlore liquide pour livrer Framatome et nos ateliers de dérivés chlorés ».
Faute de pouvoir faire tourner leurs ateliers, les salariés du Sud se sont mis en grève le 5 décembre — avant l’extension au Nord le 13 janvier — « pour arrêter la livraison à Framatome », poursuit le salarié. Depuis décembre, Framatome n’a donc plus de chlore et « achète en Chine ses éponges de zirkonium pour les centrales nucléaires ». Pour Alexandre Fiat, « Framatome joue un rôle ambigu » depuis le début : « Je pense qu’ils vont faire au mieux les requins, c’est-à-dire attendre que ce soit terminé ici pour reprendre l’outil industriel… Et on n’est pas à l’abri que Framatome utilise ça pour justifier une fermeture de son site. » Là encore, le fameux « effet domino, à cause de Vencorex ou Arkema ».
Les salariés tenant le piquet de grève sont d’ailleurs quasi unanimes à ce sujet. Une sorte de « coup monté de la part des industriels de la chimie », décrit l’un d’entre eux, ajoutant qu’il n’y a « rien de complotiste dans cette théorie ». « On a l’impression que tout est calculé », abonde Alexandre Fiat, qui fustige une « stratégie financière uniquement à court terme », sans aucune vision d’avenir pour l’industrie. « Les arguments d’avenir pour le Nord, ce n’est que de l’à peu près », regrette-t-il. « Pas un document, pas d’études scientifiques » pour appuyer ces prévisions.
« On se demande si l’État français ne va pas se désengager des activités, sous prétexte que ces produits-là peuvent être faits ailleurs dans l’Otan, en Turquie, en Pologne… Après, il s’agira de ne pas se faire envahir (…). Sinon il nous restera des baïonnettes. »
Alexandre Fiat, CGT Arkema Jarrie
Le représentant CGT soulève les nombreuses interrogations entourant l’avenir du site. Y compris pour le Nord qui nécessitera « un autre sel », compte tenu des doutes planant sur l’exploitation de la mine d’Hauterives (Drôme). Des essais, avec du sel en provenance d’Allemagne, ont été effectués pour le chlorate, mais pas encore pour le perchlorate. Or, l’enjeu est crucial pour la France.
Le perchlorate produit par Arkema, dans sa partie nord, est en effet indispensable à la fabrication du carburant des fusées Ariane et des missiles stratégiques M51. Pourtant, « silence radio du ministère de la Défense », constate Alexandre Fiat. Et celui-ci de s’interroger : « On se demande si l’État français ne va pas se désengager des activités, sous prétexte que ces produits-là peuvent être faits ailleurs en Europe ou dans l’Otan, en Turquie, en Pologne… Après, il s’agira de ne pas se faire envahir par les Russes ou un autre dingue. Sinon il nous restera des baïonnettes, comme en 1914. »
Le militant syndical souligne en outre l’impuissance d’Arkema ou Vencorex, qui « ne protègent pas leurs brevets », face à la concurrence chinoise. « Ils nous plombent et ils font ça bien », assène-t-il. « Pas de taxes douanières, pas de taxes sur les transports maritimes… Ils sont propriétaires de leurs bateaux : quand l’armateur est chinois, il prend des produits chinois. » A contrario, Arkema recourt à des armateurs de divers pays européens et « il n’est pas rare que les produits restent à quai », déplore le salarié.
La direction d’Arkema vient présenter le PSE jeudi 23 janvier
Dans ce contexte peu rassurant, l’intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC) entend imposer un rapport de force pour tenter, au minimum, de sauver les meubles. De leur côté, les salariés attendent de pied ferme la direction d’Arkema qui viendra leur présenter le PSE, ce jeudi 23 janvier, à Jarrie. Le lendemain, vendredi 24 janvier, une nouvelle assemblée générale est prévue devant la plateforme chimique pour décider des suites du mouvement.
Mais la vraie réunion lançant officiellement le PSE aura lieu la semaine prochaine. « C’est celle qui va faire démarrer le timing. À partir de cette date, on aura trois mois », explique Alexandre Fiat. Viendront ensuite les premiers licenciements économiques. Et si Arkema promet un soutien via « une cellule d’accompagnement et d’aide au repositionnement professionnel », les salariés, eux, ne cachent pas leur amertume.
Pour Alexandre Fiat, Arkema aurait dû dire « ok on ferme, on ne cherche pas d’excuses, on veut vous dégager mais on vous fait un gros chèque ». Mais, accuse-t-il, « même ça, ils ne sont pas capables de le faire ». Selon lui, il s’agirait presque d’une question de jurisprudence : « Vu qu’on est un peu le premier site, dans la nouvelle vague de gros sites industriels, à démarrer le PSE, on va être référence dans les négociations. La direction n’a donc pas intérêt à ce que ce soit trop haut »… Sous peine d’inspirer les syndicats des autres usines menacées.