Quel avenir pour les poubelles grenobloises ?

Par Luc Renaud

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Le traitement de déchets dans le Sud Isère va connaître d’importants bouleversements dans les cinq ans qui viennent. Les trois outils de traitement (incinération, centre de tri et compostage) vont être renouvelés. Ce qui n’enlève pourtant rien aux difficultés actuelles : le niveau de la production des déchets et la qualité de leur tri.

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Athanor, l'usine d'incinération des déchets de la région grenobloise qui va être reconstruite. Tout comme le centre de tri et le centre de compostage et de méthanisation.

Tout va com­men­cer par le centre de tri. Une nou­velle ins­tal­la­tion va être construite et c’est un nou­veau délé­ga­taire, Dal­kia, qui sera char­gé de la construc­tion et de l’exploitation du nou­vel équi­pe­ment.

La mise en ser­vice de ce nou­veau centre de tri est pro­gram­mée pour 2023. Le plus, ce sera l’augmentation de sa capa­ci­té : il pour­ra trai­ter jusqu’à 51 000 tonnes de déchets par an, contre 41 000 pour l’équipement actuel, construit en 1992. Ce nou­veau centre sera implan­té à côté de l’actuel, sur la zone Atha­nor, à la Tronche. Il sera conçu, bâti puis exploi­té par Dal­kia, filiale d’EDF depuis 2014 après avoir fait par­tie du groupe Véo­lia. Un chan­ge­ment d’exploitant, puisque le centre de tri est aujourd’hui sous la res­pon­sa­bi­li­té d’une filiale du groupe Piz­zor­no Envi­ron­ne­ment – un groupe varois de quatre mille sala­riés. La chaîne de tri comp­te­ra vingt-six étapes, dont qua­torze seront réa­li­sées « à la main », par des sala­riés Dal­kia. Le coût de sa construc­tion qui débu­te­ra l’année pro­chaine (50,3 mil­lions d’euros) sera assu­ré par les sept inter­com­mu­na­li­tés asso­ciées au pro­jet (*).

51 000 tonnes de tri, mais aus­si une nou­velle usine pour brû­ler le conte­nu des pou­belles grises. Le pro­jet de recons­truc­tion de l’incinérateur d’Athanor – géré la Com­pa­gnie de chauf­fage inter­com­mu­nale de l’agglomération gre­no­bloise, déte­nue à 52 % par la ville de Gre­noble, à 42 % par Dal­kia, puis 5 % pour la métro­pole – a été conçu en 2017. Les tra­vaux devaient débu­ter en 2020, mais le dos­sier a pris du retard, faute de pou­voir trou­ver un can­di­dat à sa construc­tion : l’unique pro­po­si­tion a été jugée trop oné­reuse. Aujourd’hui, la mise en route de la nou­velle usine, sur le même site, est annon­cée pour 2025. Elle aura une capa­ci­té réduite à 155 000 tonnes, contre 185 000 pour l’usine actuelle.

Ces deux équi­pe­ments seront com­plé­tés par le centre de com­pos­tage et de métha­ni­sa­tion de Muria­nette. Là encore, un pro­jet de moder­ni­sa­tion est pro­gram­mé avec, à l’horizon annon­cé de 2022, la pro­duc­tion de 8 000 tonnes de com­post et de bio­gaz, pour l’équivalent annuel de deux mil­lions de kilo­mètres par­cou­rus.
Le coût pré­vi­sion­nel de ces nou­velles ins­tal­la­tions est de 172 mil­lions d’euros sur le site d’Athanor et 15 mil­lions à Muria­nette. Sans comp­ter les démo­li­tions des équi­pe­ments actuel­le­ment en fonc­tion­ne­ment sur le site d’Athanor.

C’est la grande distribution qui remplit les poubelles

Reste que ce plan d’ensemble, pré­sen­té en 2017, bute tou­jours sur deux obs­tacles : la pro­duc­tion de déchets et la qua­li­té de leur tri. Ce ne sont pas les usa­gers qui rem­plissent leurs pou­belles, ce sont les chaînes de la grande dis­tri­bu­tion. De la bou­teille en plas­tique aux films d’emballages en pas­sant par les condi­tion­ne­ments de meubles ou d’appareils ména­gers. Et, de ce point de vue, les col­lec­ti­vi­té locales sont dépour­vues : dans un sys­tème éco­no­mique libé­ral, c’est « la main invi­sible du mar­ché » qui est sen­sée résoudre le pro­blème, mais sa bous­sole est le pro­fit et non la qua­li­té de vie en socié­té. Les pou­belles débordent et la col­lec­ti­vi­té paie l’élimination des déchets. Deuxième dif­fi­cul­té – plus spé­ci­fique à l’agglomération gre­no­bloise contrai­re­ment aux idées reçues –, la qua­li­té du tri. Les faits sont là : la qua­li­té du tri ne s’est pas amé­lio­rée depuis… 1998. Un tiers de ce qu’on retrouve dans la pou­belle grise (en prin­cipe, mou­choirs usa­gés, pous­sières, bou­chons…) devrait être dans la pou­belle verte (embal­lages) et plus de 40 % de ce qui est dépo­sé dans la pou­belle verte devrait l’être dans la pou­belle grise.

Or, le sché­ma direc­teur des déchets à l’horizon 2030 repose sur deux piliers : la réduc­tion du volume de déchets à trai­ter d’une part et, d’autre part, la dimi­nu­tion des ton­nages inci­né­rés grâce à l’augmentation de la part des déchets triés et valo­ri­sés.

On en est loin. Au point que, pour faire des éco­no­mies, la ten­ta­tion est grande de réduire la col­lecte des pou­belles de tri pour tout inci­né­rer : le trai­te­ment d’un déchet dépo­sé dans la verte, reje­té au centre de tri parce qu’il devait aller dans la grise, puis trans­por­té jusqu’à l’usine d’incinération coûte deux fois plus cher que s’il avait été direc­te­ment sto­cké dans la pou­belle grise.

Une réa­li­té qui ques­tionne les cam­pagnes de com­mu­ni­ca­tion. La métro­pole donne le sen­ti­ment de pré­fé­rer la com­mu­ni­ca­tion de culpa­bi­li­sa­tion – on se sou­vient du désastre de l’affichage de per­son­nages embal­lés – plu­tôt que d’information… Et l’on se retrouve devant ses pou­belles comme une poule devant un cou­teau.

(*) Gre­noble-Alpes métro­pole, le Gré­si­vau­dan, le Pays Voi­ron­nais, Saint-Mar­cel­lin Ver­cors Isère com­mu­nau­té, l’Oisans, le Trièves et la Mathey­sine, soit 263 com­munes et 740 000 habi­tants.

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La col­lecte des embal­lages plas­tique n’est pas aisée, eu égard aux volumes de la pro­duc­tion de conte­nants à usage unique.

Et le plastique ? Pollution, production, élimination

Omniprésence des plastiques et problèmes posés par la pollution et les besoins de collecte et de recyclage qu’ils génèrent : des sujets d’inquiétude et de réflexion désormais très présents.

« Peut-on vivre sans plas­tique ? » tel était le thème du café-débat Sciences et citoyens du mar­di 10 mars, qui a réuni une petite cen­taine de par­ti­ci­pants.

En intro­duc­tion, trois pré­sen­ta­tions par des spé­cia­listes ont poin­té
- les liens entre l’image et l’usage : ain­si, après avoir été vécue pen­dant plus de cin­quante ans comme une source de pro­grès indis­cu­table, l’utilisation des plas­tiques pose désor­mais des ques­tions sur ses effets sur les res­sources natu­relles dis­po­nibles (le pétrole prin­ci­pa­le­ment), sur l’émission de gaz à effet de serre (lors de la pro­duc­tion et du trai­te­ment des déchets) et sur la pol­lu­tion maté­rielle de l’environnement, notam­ment marin, par ses déchets par­ti­cu­liè­re­ment non bio­dé­gra­dables ;
- la dis­tinc­tion entre les plas­tiques à usage long, soit envi­ron la moi­tié des cinq mil­lions de tonnes de plas­tiques uti­li­sés en France par an, et les plas­tiques à usage unique et immé­dia­te­ment jetés que sont les embal­lages (bou­teilles, réci­pients, films…) ;
- les avan­tages et incon­vé­nients des maté­riaux alter­na­tifs, qu’ils soient connus et uti­li­sés de longue date comme le verre et les métaux, ou objet d’études tels les maté­riaux « bio­sour­cés ».

Dispositions réglementaires et choix individuels

Les ques­tions de la salle se sont ensuite sur­tout foca­li­sées sur la « ges­tion des déchets plas­tiques », elle-même au cœur du rap­port 2018 de l’ONU : com­ment limi­ter l’usage des embal­lages plas­tique, mieux les col­lec­ter, les réuti­li­ser, les recy­cler ? A été sou­li­gnée l’indispensable asso­cia­tion des dis­po­si­tions col­lec­tives régle­men­taires (inter­dic­tion de cer­tains usages) ou finan­cières (prix inci­ta­tifs) et des com­por­te­ments indi­vi­duels de refus ou au contraire de pré­fé­rence des pro­duits, d’autant plus effi­caces que relayés par les médias. La ques­tion du tri et du recy­clage des déchets, de son coût, voire de sa fai­sa­bi­li­té, notam­ment dans le cas des pou­belles col­lec­tives, a éga­le­ment fait l’objet de débats.

Et il n’est pas inin­té­res­sant de noter qu’en conclu­sion de ces échanges, la lourde res­pon­sa­bi­li­té, voire le lob­bying anti-régle­men­ta­tion, des grands groupes de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion des bois­sons en bou­teilles plas­tique (tels Coca Cola, Nest­lé…) a été sou­li­gnée !

Le recyclage des papiers et des cartons

En France, envi­ron 7,5 mil­lions de tonnes de papiers et de car­tons sont col­lec­tés et recy­clés chaque année, pour un taux pas­sé de 40 à 72% au cours des deux der­nières décen­nies. La col­lecte auprès des ménages repré­sente en France 52 % du total des papiers recy­clés. Le reste pro­vient de la col­lecte auprès des impri­meurs, de l’industrie et de la grande dis­tri­bu­tion. Le Centre Tech­nique du Papier (Gières) contri­bue par ses tra­vaux de recherche à amé­lio­rer la filière de recy­clage et la qua­li­té des papiers pro­duits à par­tir de papiers recy­clés. Un des enjeux demeure l’harmonisation des col­lectes au niveau natio­nal et un déve­lop­pe­ment de l’économie cir­cu­laire ; ain­si cer­tains types de papiers recy­clés pour­ront-ils trou­ver leur valo­ri­sa­tion dans d’autres sec­teurs indus­triels.

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Une inci­ta­tion cal­cu­lée en fonc­tion de la pro­duc­tion col­lec­tive de l’immeuble.

Teomi, la fausse bonne idée

L’incitation par l’argent, c’est tendance. La Métro a annoncé la création d’une taxe incitative, pour l’heure restée dans les cartons. Elle pourrait produire une hausse de l’impôt… pour les particuliers.

Le trai­te­ment des déchets, ça coûte cher. 70 mil­lions d’euros pour 2020, soit 280 euros la tonne – chiffres de la métro­pole gre­no­bloise. Ce bud­get est ali­men­té par la vente de maté­riau issus du recy­clage, les éco-taxes, l’énergie pro­duite… Mais l’essentiel reste l’impôt : la taxe d’enlèvement des ordures ména­gères (Teom) qui rap­por­te­ra 52 mil­lions d’euros cette année.

Cette Teom est une ligne qui figure sur la taxe fon­cière. Elle est donc réglée par les pro­prié­taires – qui la réper­cutent sur les charges de leurs éven­tuels loca­taires – et par les entre­prises qui pos­sèdent ter­rains, bâti­ments… Pro­duc­trices de déchets, elles ont l’obligation de finan­cer leur col­lecte. Elles paient l’impôt – qui finance des équi­pe­ments de trai­te­ment des déchets, les leurs y com­pris – et cette col­lecte spé­ci­fique. Leur contri­bu­tion repré­sente près d’un tiers du ren­de­ment de la Teom.

Des entre­prises attaquent le ser­vice public en jus­tice pour être exo­né­rées de l’impôt, arguant de cette col­lecte. La juris­pru­dence est hési­tante : les plai­gnants sont les grandes sur­faces qui uti­lisent les ins­tal­la­tions de trai­te­ment et exportent des déchets chez les par­ti­cu­liers sous forme d’emballages : logique qu’elles paient leur part de l’impôt.

La Teomi, une exonération pour les producteurs de déchets

C’est là qu’intervient la taxe inci­ta­tive. L’idée, sédui­sante, est de récom­pen­ser ceux qui jettent moins et trient mieux, en rédui­sant leur impôt. Pour la métro, le chiffre de 20 % de la Teom qui devien­drait taxe d’enlèvement des ordures ména­gères inci­ta­tive (Teo­mi) est évo­qué.

Mais voi­là. Le mon­tant de la Teo­mi serait fixé par immeuble. Par défi­ni­tion, il serait variable. Par défi­ni­tion aus­si, ce ne pour­rait donc plus être un impôt – un impôt est payé par tous dans les mêmes condi­tions…

Les grosses entre­prises qui col­lectent leurs déchets elles-mêmes ne seraient donc pas concer­nées par ces 20 % « d’incitation ». Ce qui rédui­rait leur impôt… et aug­men­te­rait d’autant celui des par­ti­cu­liers, com­mer­çants, res­tau­ra­teurs… L’incitation aux bons gestes se trans­for­me­rait en impôt sup­plé­men­taire.

Sans par­ler du casse-tête que repré­sen­te­rait le cal­cul impos­sible au bas de l’immeuble de qui a trié quoi. Inci­ta­tion à la déla­tion ?

Verte et grise, le grand mélange

Lorsque une cagette en bois atter­rit dans la pou­belle des embal­lages, la verte, elle arrive au centre de tri. Là, elle est sor­tie du tapis rou­lant, à la main, par un sala­rié : une cagette en bois va dans la pou­belle grise. Notre cagette est ensuite trans­por­tée à l’usine d’incinération. En fai­sant le détour par la pou­belle verte, le coût de son éli­mi­na­tion double. Or, la faillite de l’information par la métro­pole gre­no­bloise sur ce qui va dans telle ou telle pou­belle entraîne de nom­breuses erreurs de tri. Au point qu’il a été déci­dé, pour faire des éco­no­mies, de sup­pri­mer la col­lecte des embal­lages dans cer­tains quar­tiers : les conte­nus de la grise et de la verte partent direc­te­ment à l’incinération. En atten­dant que les habi­tants soient mieux infor­més ? Der­nière pré­ci­sion : le top, pour la cagette, c’est la déchet­te­rie qui valo­rise le bois.

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