Fronde sur le plateau du Vercors face au « projet Parker » : un modèle déjà obsolète ?

Par Manuel Pavard

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Porté par la société de Tony Parker, le projet de l’Ananda Resort - luxueux complexe de 700 lits touristiques à la Côte 2000 - divise les habitants de Villard-de-Lans et du Vercors depuis 2019. Pour les uns, un emblème du tourisme quatre saisons du futur ; pour les autres, un symbole du surtourisme, modèle obsolète dans une station touchée par le changement climatique.

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Donné par la mairie de Villard-de-Lans à la société de Tony Parker, dans le cadre d'un échange de parcelles (contre le terrain des Adrets, prévu initialement), le parking aérien P1 est censé accueillir le complexe touristique porté par l'ancien basketteur.

Sur le par­king P1 de la Côte 2000, au pied des pistes de Vil­lard-de-Lans, tou­jours pas le moindre engin de chan­tier à l’horizon. Mais les par­ti­sans du « pro­jet Par­ker » espèrent voir enfin son dénoue­ment, six ans après sa pré­sen­ta­tion par l’ex-basketteur star des Bleus et des Spurs. Alors que la par­ti­ci­pa­tion du public par voie élec­tro­nique (PPVE) s’est ache­vée le 30 avril, la publi­ca­tion de la syn­thèse était en effet immi­nente à l’heure où nous écri­vions ces lignes. Ceci en vue d’une réponse finale du pré­fet coor­don­na­teur de mas­sif des Alpes durant l’été. Quel que soit l’épilogue, les chiffres sont en tout cas édi­fiants, avec plus de 28 000 visi­teurs ayant accé­dé au site de cette consul­ta­tion qui a per­mis de recueillir 3 614 avis. Une forte par­ti­ci­pa­tion illus­trant l’intérêt que sus­cite le dos­sier auprès de la popu­la­tion.

C’est peu dire que le « pro­jet Par­ker » déchaîne les pas­sions sur le pla­teau du Ver­cors depuis 2019. « C’est un peu le Far West », ose même Oli­vier Luthier, l’un des rares membres du col­lec­tif Ver­cors citoyens à ne pas requé­rir l’anonymat. Exa­gé­ré ? Le Vil­lar­dien cite le cas d’un autre mili­tant « sur lequel les fana­tiques du pro­jet s’acharnent », et pointe la « viru­lence » de ces der­niers, notam­ment des élus (muni­ci­paux ou com­mu­nau­taires).

Des milliers de skieurs potentiels chaque jour ?

Pour rap­pel, ce pro­gramme immo­bi­lier est por­té par Infi­ni­ty Nine Moun­tain (INN), l’entreprise de Tony Par­ker, deve­nu action­naire majo­ri­taire de la Socié­té d’équipement Villard/Corrençon (SEVLC), qui exploite la sta­tion. Il s’agit d’un com­plexe tou­ris­tique de près de 18 500 m2, bap­ti­sé Anan­da Resort, qui com­porte une rési­dence 4 étoiles de 700 lits, mais aus­si com­merces, pis­cines, mur d’escalade, salles de sémi­naire, par­king… Le tout éva­lué à envi­ron 88 mil­lions d’euros. Pour ses par­ti­sans, c’est la par­faite tra­duc­tion du fameux « tou­risme quatre sai­sons », concept aujourd’hui sur toutes les lèvres. « Mais ils font fausse route », rétorque un Vil­lar­dien se pré­sen­tant comme « un ancien « pour » pas­sé dans le camp des « contre » ». Refu­sant de divul­guer son iden­ti­té par crainte de l’impact sur son acti­vi­té pro­fes­sion­nelle, celui-ci fus­tige la « vision dépas­sée » de ses adver­saires.

« Ils sont res­tés blo­qués sur l’époque dorée de l’or blanc », abonde Oli­vier Luthier. Lui dénonce le « gigan­tisme » et « l’envergure déme­su­rée » des deux pro­jets locaux — celui de Vil­lard-de-Lans et le pro­jet immo­bi­lier voi­sin de Cor­ren­çon-en-Ver­cors, au Clos de la Balme (sans lien avec Tony Par­ker). Avec leur « phi­lo­so­phie proche de celle mise en place lors du plan neige des années 70 ». Il évoque ain­si les pro­pos du maire de Vil­lard-de-Lans, Arnaud Mathieu, annon­çant des mil­liers de skieurs quo­ti­diens sup­plé­men­taires. « C’est très inquié­tant, d’autant que le front de neige remonte de plus en plus », sou­ligne le mili­tant de Ver­cors citoyens, dési­gnant une ligne sur­plom­bant le par­king. « Nous, on se base au contraire sur les conclu­sions scien­ti­fiques disant que le cli­mat bouge, qu’on vit dans un monde limi­té. » D’où son refus de ce sym­bole « du sur­tou­risme ».

« Ce qui inter­pelle les gens, c’est qu’on retrouve qua­si­ment le même sché­ma que pour l’A69 : des pro­jets décré­tés, sans étude d’impact. »

Oli­vier Luthier, membre de Ver­cors citoyens

Selon Oli­vier Luthier, « ce qui inter­pelle les gens, c’est qu’on retrouve qua­si­ment le même sché­ma que pour l’A69 : des pro­jets décré­tés, sans étude d’impact ». Pour­tant, pour­suit-il, « offi­ciel­le­ment, tout est fait sui­vant la loi. Mais quand on gratte, il n’y a jamais de réponse claire. » Cela vaut, d’après lui, pour les réseaux d’assainissement comme pour la consom­ma­tion d’eau : « C’est tou­jours flou, sans aucune garan­tie. » De fait, la Mis­sion régio­nale d’autorité envi­ron­ne­men­tale (MRAe) a ren­du un second avis assor­ti de réserves, en début d’année, sur la créa­tion d’une Uni­té tou­ris­tique nou­velle struc­tu­rante (UTNS). Elle déplore ain­si l’absence d’analyse glo­bale des consé­quences de tels pro­jets immo­bi­liers. Et ce, notam­ment au sujet des besoins en neige de culture, compte tenu des res­sources en eau dis­po­nibles.

Les oppo­sants réfutent éga­le­ment les argu­ments d’Arnaud Mathieu et des autres élus sur la néces­si­té éco­no­mique pour le pla­teau et la créa­tion d’une cen­taine d’emplois poten­tiels. « Après un cal­cul rapide, ça ne repré­sente en réa­li­té qu’une dizaine d’emplois à faible valeur ajou­tée venant notam­ment de la val­lée (entre­tien des chambres, hôtel­le­rie…) », pré­cise une mili­tante. Et Oli­vier Luthier de confir­mer : « Rien ne garan­tit que le pro­jet génère plus de déve­lop­pe­ment éco­no­mique sur le ter­ri­toire. »

Que faire alors ? « Je com­mence à entendre des gens disant qu’il fau­drait des péages sur la route d’accès au Ver­cors », confie le mili­tant de Ver­cors citoyens. À Cor­ren­çon, le col­lec­tif a ima­gi­né un scé­na­rio de construc­tion avec des étu­diants en archi­tec­ture. Et à Vil­lard, il n’est « pas contre un pro­jet concer­té ». « Atten­tif à l’impact envi­ron­ne­men­tal », Oli­vier Luthier l’assure : « On ne veut pas impo­ser notre volon­té mais ouvrir les yeux de tout le monde. »

Les remon­tées méca­niques de l’Alpe du Grand Serre vivent — sauf coup de théâtre — leur der­nier été.

L’Alpe du Grand Serre. La station enterre son projet « quatre saisons »

La communauté de communes de la Matheysine et la Sata ont annoncé l’abandon du projet de reprise de l’Alpe du Grand Serre. Un choc pour la station, qui espérait engager sa transition vers un nouveau modèle de tourisme quatre saisons.

Un « coup de mas­sue ». L’expression revient dans la bouche de plu­sieurs habi­tants, son­nés. L’information est tom­bée, le 25 juin, via un com­mu­ni­qué de la com­mu­nau­té de com­munes de la Mathey­sine (CCM) et de Sata Group. « Le plan de finan­ce­ment de la délé­ga­tion de ser­vice public n’a pu être clô­tu­ré pour l’exploitation du domaine skiable pour les 25 pro­chaines années », indiquent-ils. À l’heure où nous écri­vions ces lignes, le conseil com­mu­nau­taire devait ain­si acter le 10 juillet l’abandon de la pro­cé­dure… Et donc la fer­me­ture de la sta­tion de l’Alpe du Grand Serre, avec ses 55 kilo­mètres de pistes.

Déjà mena­cée en octobre der­nier, celle-ci avait fina­le­ment réus­si à obte­nir un sur­sis d’un an, les élus de la CCM en confiant la ges­tion à la Sata jusqu’à fin sep­tembre 2025. Le suc­cès a même été au ren­dez-vous durant l’hiver, avec « du monde et de la neige », sou­ligne Florent Bat­tis­tel, direc­teur de l’ESF de l’Alpe du Grand Serre. Lequel rap­pelle : « On ne ferme pas par manque de neige mais pour un sou­ci finan­cier qu’on traîne depuis vingt ans. » Si le chiffre, sou­vent cité, de 2 mil­lions d’euros man­quants, est jugé sous-éva­lué par les élus, ceux-ci s’accordent néan­moins sur un point : l’absence de l’État dans le tour de table alors que l’ensemble des col­lec­ti­vi­tés mettent la main à la poche.

« Un laboratoire pour la transition des stations de moyenne altitude »

Pour les locaux, cet épi­logue est d’autant plus frus­trant que l’Alpe du Grand Serre devait incar­ner le modèle du tou­risme quatre sai­sons. Dans le pro­jet conçu avec la Sata, c’était ain­si « un petit labo­ra­toire pour la tran­si­tion des sta­tions de moyenne alti­tude », explique Florent Bat­tis­tel.

Illus­tra­tion : le rem­pla­ce­ment de deux télé­sièges par un unique gros por­teur qui per­met­tait aux pié­tons ou vélos d’accéder au domaine d’altitude. Un sys­tème « ver­tueux éco­lo­gi­que­ment ». Le tout dans une sta­tion construite pour « s’adapter aux trois autres sai­sons », en déve­lop­pant les acti­vi­tés hors neige (ran­don­née, VTT, trail…). Et pour jouer « un rôle de refuge cli­ma­tique pen­dant les étés cani­cu­laires », non loin de la four­naise gre­no­bloise, vante le col­lec­tif La Morte vivante, fer de lance de la mobi­li­sa­tion.

Mais « si la sta­tion ferme demain, la diver­si­fi­ca­tion est fichue », déplore le direc­teur d’une ESF vouée à fer­mer. Idem pour les moni­teurs de ski, les res­tau­ra­teurs, les loueurs… « Beau­coup vont faire faillite, craint un com­mer­çant. Même s’il y a des inves­tis­se­ments dans un an ou plus, les gens seront par­tis d’ici là. » Florent Bat­tis­tel, lui, est amer : « Ça ne touche pas qu’un vil­lage mais toute l’activité tou­ris­tique hiver­nale de la Mathey­sine. On avait encore de belles années à faire pour aller jusqu’à la diver­si­fi­ca­tion…. Et pour évi­ter d’avoir un vil­lage fer­mé ! »

Le pro­jet PCF pour la mon­tagne s’adresse notam­ment aux plus jeunes.

Haut-Vénéon. Le tourisme en sursis, un an après

Les socio-professionnels de la vallée tirent la sonnette d’alarme. « Veut-on la fin du tourisme et de l’alpinisme dans le Haut-Vénéon ? » 

En 2024, un mois avant la catas­trophe de La Bérarde, le groupe Mon­tagne inter-alpin du PCF orga­ni­sait des assises de la mon­tagne à Gre­noble.

Dans le Tra­vailleur alpin de mars der­nier, nous rela­tions déjà l’inquiétude des habi­tants et des acteurs du tou­risme concer­nant la sai­son esti­vale à venir, alors que cette ques­tion cru­ciale pour l’avenir de la val­lée avait déjà fait l’objet de quelques réunions…

Michelle Pel­le­tier, de Bourg d’Oisans, et Fran­çois Simon, d’Autrans, tous deux membres du groupe pro­jet du PCF « La mon­tagne pour tous », en rap­pellent les fon­de­ments. Ce pro­jet pro­pose de déve­lop­per une acti­vi­té éco­no­mique, sociale et soli­daire, de répondre aux besoins urgents des habi­tants et de pou­voir par consé­quent accé­der à une mon­tagne pour tous.

Nous par­ta­geons l’ambition des pro­fes­sion­nels du Haut-Vénéon, qui défendent l’accès à la mon­tagne des ran­don­neurs, alpi­nistes, grim­peurs et contem­pla­tifs, et la pos­si­bi­li­té de les accueillir dans les meilleures condi­tions. « Ce sont des lieux de vie indis­pen­sables à la décou­verte, au par­tage, à la pra­tique des acti­vi­té de mon­tagne et la sen­si­bi­li­sa­tion au milieu natu­rel »… Pour ne citer que cet exemple.

Nous sou­te­nons aus­si les exi­gences des signa­taires de la charte des Amis de La Bérarde et du Haut-Vénéon. Ils veulent conti­nuer, « à être les pas­seurs de notre his­toire plu­ri­sé­cu­laire pour nos enfants et petits-enfants ».

Armés de la meilleure volon­té du monde, les acteurs locaux ne peuvent régler, à eux seuls, les pro­blèmes posés par le dérè­gle­ment cli­ma­tique et ses consé­quences. La res­pon­sa­bi­li­té pre­mière incombe à l’État. La mobi­li­sa­tion coor­don­née des acteurs publics et pri­vés qui s’est mani­fes­tée au len­de­main de la dévas­ta­tion du hameau de La Bérarde, a fait la preuve de son effi­ca­ci­té et doit se péren­ni­ser.

Fran­çois Simon conclut sur une note d’espoir, en citant les pro­pos de Ber­nard Fran­cou, gla­cio­logue et contri­bu­teur du GIEC, le groupe d’experts inter­gou­ver­ne­men­tal sur l’évolution du cli­mat : « Longue est la liste des atouts que conserve la mon­tagne dans le monde plus chaud qui nous attend. Encore faut-il qu’elle choi­sisse le bon modèle de déve­lop­pe­ment pour en béné­fi­cier… et en faire béné­fi­cier la socié­té toute entière ! » 

5

refuges

(soit plus de 200 cou­chages) situés en amont de Saint-Chris­tophe-en-Oisans — sur les huit refuges de la val­lée — dépendent de l’accessibilité de La Bérarde : le Pro­mon­toire (que l’on peut aus­si rejoindre par la Grave), Soreiller, Car­re­let, Temple-Écrins, la Lavey. Et ce, après les fer­me­tures du Cha­tel­le­ret et de la Pilatte deve­nus inuti­li­sables.

Économie touristique

L’activité tou­ris­tique repré­sente 90 % du PIB de l’Oisans. 2 300 entre­prises et struc­tures com­mer­ciales tra­vaillent dans cette branche. L’Alpe‑d’Huez et les 2‑Alpes comptent par­mi les sta­tions de ski fran­çaises de renom­mée inter­na­tio­nale. Le tou­risme emploie 7 000 sai­son­niers en Oisans. Les métiers de guide, d’accompagnateurs, de gar­diens de refuge, res­tau­ra­teurs et hôte­liers repré­sentent 200 emplois. L’Oisans compte 37 entre­prises agri­coles dont 70 % sont enga­gées dans des cir­cuits courts de dis­tri­bu­tion.

80%

de chiffre d’af­faires

en moins. C’est la perte enre­gis­trée par les pro­fes­sion­nels du Haut-Vénéon lors de la sai­son tou­ris­tique 2024.

Groupe montagne

Le groupe mon­tagne inter­al­pin du PCF réunit depuis 2022 des élus et mili­tants de l’Isère, des Hautes-Alpes, de Savoie et des Alpes-Mari­times. Il col­la­bore avec des scien­ti­fiques, syn­di­cats, pro­fes­sion­nels, asso­cia­tions…

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