Bourgoin-Jallieu. Habitat d’urgence : quand insalubrité et profits vont de pair

Par Didier Gosselin

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Le site de 2 Choses Lune accueille 62 résidents, à Bourgoin-Jallieu.
Les salariés de l’association 2 Choses Lune, à Bourgoin-Jallieu, étaient en grève vendredi 31 janvier. Ils dénoncent la dégradation des conditions de travail et d’accueil au sein des infrastructures louées au prestataire Dom’Ici ainsi que la stratégie mise en place par celui-ci pour capter une part importante des subventions publiques allouées à l’association.

L’association 2 Choses Lune, à but non lucra­tif, qui compte une cen­taine de salarié·e·s au niveau natio­nal, est spé­cia­li­sée dans l’hébergement d’urgence en modu­laire et implan­tée sur plu­sieurs ter­ri­toires : Caen (14), Creul­ly (14), Mont­pel­lier (34), Dijon (21), Bour­goin-Jal­lieu (38) et Rilleux-la-Pape (69). À Bour­goin-Jal­lieu, les emplois sont répar­tis pour assu­rer une veille noc­turne et un accueil de jour de 8h à 20h, pour le sui­vi social, l’administratif et des acti­vi­tés quo­ti­diennes (cui­sine, ménage, jar­di­nage, etc).

L’as­so­cia­tion est spé­cia­li­sée dans l’hébergement d’urgence en modu­laire.

Le site compte 62 résident·e·s. Dans le détail, « 46 places pour des per­sonnes en situa­tion d’urgence, qui contactent le 115 et qui n’ont pas for­cé­ment d’accompagnement social et avec qui il faut par­fois tout reprendre du fait de situa­tions com­plexes (sans-papier, sans sécu…) », sou­ligne Mathilde Lorin, res­pon­sable du site, « et 16 places pour des résident·e·s CHRS (Centre d’hébergement et de réin­ser­tion sociale) qui béné­fi­cient d’un sui­vi social ».

Des conditions de vie « proches de l’insalubrité »

Les sept salarié·e·s de Bour­goin-Jal­lieu étaient donc en grève ce ven­dre­di 31 jan­vier avec l’ensemble de leurs col­lègues des autres sites pour contes­ter l’évolution des rela­tions avec le pres­ta­taire Dom’Ici et dénon­cer l’insalubrité per­sis­tante des ins­tal­la­tions qui nuit tant aux résident·e·s qu’au per­son­nel. « Dom’Ici et 2 Choses Lune ont été créées en 2012 pour répondre l’un aux besoins de l’autre », sou­ligne Mathilde Lorin, « mais aujourd’hui c’est un modèle qui ne marche plus du tout.  Dom’ici nous prend la moi­tié de nos sub­ven­tions mais on ne sait pas pour­quoi et on ne sait pas ce qu’on paye ».

D’où le cour­rier d’alerte envoyé par l’association aux dépu­tés RN Jol­ly et Per­ez et au maire LR Chri­qui de Bour­goin-Jal­lieu pour atti­rer leur atten­tion « sur un pro­bable conflit d’intérêt entre le conseil d’administration actuel de l’association et l‘entreprise Dom’ici » et « sur une situa­tion qui com­pro­met gra­ve­ment l’indépendance de l’association et son effi­ca­ci­té, mais éga­le­ment le bon usage de l’argent public ». Mathilde Lorin rap­pelle que les sub­ven­tions publiques s’élèvent à six mil­lions d’euros et que le pres­ta­taire Dom’Ici récu­père trois mil­lions d’euros !

Vue d’un bun­ga­low dans le centre d’hé­ber­ge­ment d’ur­gence de 2 Choses Lune, à Bour­goin-Jal­lieu.

« Nous sommes en conflit sur la gou­ver­nance et sur la struc­ture de Dom’Ici, les ques­tions finan­cières et sur­tout l’amélioration des condi­tions de vie des résident·e·s, qui sont actuel­le­ment proches de l’insalubrité. Le pres­ta­taire Dom’Ici loue les modules et doit s’occuper de la main­te­nance, ce qu’il ne fait pas. L’enjeu de la grève, c’est aus­si de dépas­ser le blo­cage quand on pro­pose d’ouvrir à la concur­rence pour quelqu’un d’autre que Dom’I­ci. Enfin, les contrats qu’on a avec Dom’Ici ne sont pas cor­rects et pas équi­tables, l’objectif c’est d’avoir plus de bud­get pour pou­voir faire un tra­vail de qua­li­té, dans de meilleures condi­tions et pour le bien-être des rési­dents que l’on accueille », insiste Mathilde Lorin.

Sur le terrain, la réalité diffère du discours

Concer­nant les sub­ven­tions publiques, Mathilde Lorin indique que les 25 000 euros annuels de la mai­rie de Bour­goin-Jal­lieu vont être sus­pen­dus et rem­pla­cés par la mise à dis­po­si­tion d’un ter­rain via­bi­li­sé devant accueillir un nou­vel amé­na­ge­ment modu­laire.

Les sani­taires dégra­dés, sym­bo­li­sant l’in­sa­lu­bri­té dénon­cée par les sala­riés.

Si l’entreprise Dom’Ici se targue « d’être enga­gée dans la lutte contre le mal loge­ment en France » et de « contri­buer par son offre com­plé­men­taire, et par convic­tion, au par­cours en faveur de l’intégration », la réa­li­té sur le ter­rain est bien dif­fé­rente du dis­cours, enga­gé mais conve­nu, et des images flat­teuses que l’on retrouve sur son site…

Si l’activité prin­ci­pale décla­rée de Dom’Ici consiste en « la recherche et le déve­lop­pe­ment en matière d’ha­bi­tat aty­pique des­ti­né aux popu­la­tions défa­vo­ri­sées en attente de loge­ment, (…) la main­te­nance et l’entretien de ces types d’ha­bi­ta­tion, (…) ain­si que la mise à dis­po­si­tion au pro­fit d’as­so­cia­tions et ser­vices de l’E­tat d’hé­ber­ge­ments d’ur­gence pour l’ac­cueil des popu­la­tions défa­vo­ri­sées », force est de consta­ter que la forme d’exercice décla­rée, com­mer­ciale, a lar­ge­ment pris le des­sus sur les mis­sions médi­co-sociales et sociales.

Les performances économiques plutôt que l’hébergement social

Rache­tée en 2021 par Yves Blein, dépu­té du Rhône (2012–2022) pas­sé du PS à La Répu­blique En Marche en 2017, l’entreprise Dom’Ici prend en effet plus soin de ses per­for­mances éco­no­miques et finan­cières que de l’hébergement social pour adultes et familles en dif­fi­cul­té.

Avec un chiffres d’affaires en rela­tive pro­gres­sion (de 3,8 mil­lions d’euros en 2020 à 4,3 mil­lions d’euros en 2023), l’entreprise Dom’Ici se porte bien et dis­pose d’un excé­dent brut d’exploitation (indi­ca­teur finan­cier qui mesure la ren­ta­bi­li­té d’une entre­prise) stable d’une année sur l’autre, autour de 2 mil­lions d’euros. Ses béné­fices nets ont atteint 916 000 euros en 2023, 1,04 mil­lion d’euros en 2022, 999 000 euros en 2021 et 1,01 mil­lion d’euros en 2020, soit près de 4 mil­lions d’euros cumu­lés.

Mathilde Lorin, res­pon­sable du site, et Fré­dé­rique Pena­vaire, secré­taire de la sec­tion PCF de Bour­goin-Jal­lieu.

Sachant que le der­nier docu­ment comp­table publié en mai 2024 atteste que Dom’Ici a déci­dé d’affecter deux tiers du béné­fice de l’exercice 2023 à titre de divi­dende, soit la somme de 600 000 euros, aux action­naires, on com­prend aisé­ment que la prio­ri­té de cette entre­prise n’est pas la lutte contre le mal loge­ment mais la course au pro­fit. Et ce, au détri­ment des mal logé·e·s et des asso­cia­tions qui agissent auprès d’eux.

Venue appor­ter le sou­tien des com­mu­nistes aux sala­riés en grève, Fré­dé­rique Péna­vaire, secré­taire de la sec­tion de Bour­goin-Jal­lieu, s’est enga­gée à sol­li­ci­ter les élus de l’opposition de gauche à la mai­rie de Bour­goin-Jal­lieu pour une pro­chaine inter­ven­tion en conseil muni­ci­pal.

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