Meurtre de Lilian Dejean à Grenoble : les hommages se multiplient, un suspect identifié et activement recherché

Par Manuel Pavard

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Quelque 300 personnes se sont rassemblées derrière la mairie de Grenoble, en hommage à Lilian Dejean, lundi 9 septembre.
Les hommages à Lilian Dejean se sont multipliés, ces lundi 9 et mardi 10 septembre, à Grenoble et dans plusieurs communes de l'agglomération. L'émotion est très vive après le meurtre de l'agent municipal de 49 ans, tué par balles, dimanche, alors qu'il tentait d'intervenir à la suite d'un accident. Du côté de l'enquête, un suspect a été identifié et est toujours activement recherché.

« Chaque mort est dif­fi­cile, la tienne nous est inac­cep­table. » Les mots ponc­tuant l’in­ter­ven­tion de Maxime Grand, repré­sen­tant CGT des agents ter­ri­to­riaux, lors du ras­sem­ble­ment orga­ni­sé ce lun­di 9 sep­tembre der­rière l’hô­tel de ville de Gre­noble, illus­trent par­fai­te­ment le choc et l’é­mo­tion res­sen­tis par tous les proches, col­lègues et cama­rades de Lilian Dejean ain­si que par de nom­breux Isé­rois. À Gre­noble, Échi­rolles, Saint-Égrève, Eybens ou encore Noya­rey, les hom­mages se sont suc­cé­dé dans l’ag­glo­mé­ra­tion, depuis le meurtre de l’agent muni­ci­pal.

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Les agents de la ville de Gre­noble réunis sur le par­vis de la mai­rie ce mar­di.

La vic­time, coor­di­na­teur au ser­vice de la pro­pre­té urbaine de la ville de Gre­noble, a été griè­ve­ment bles­sée de deux balles dans le tho­rax, dimanche 8 sep­tembre, vers 7h30, en inter­ve­nant après un acci­dent de la cir­cu­la­tion sur­ve­nu sur le bou­le­vard Jean-Pain, entre la mai­rie et le Stade des Alpes. L’agent a ten­té d’empêcher le chauf­fard de fuir. Mais l’au­to­mo­bi­liste a sor­ti une arme et ouvert le feu. Trans­por­té au CHU dans un état cri­tique, Lilian Dejean, âgé de 49 ans et père de deux enfants, a suc­com­bé à ses bles­sures, peu après 14h.   .

Une « journée blanche » pour les agents de la ville

Dès l’an­nonce de son décès, les réac­tions se sont mul­ti­pliées, au sein de la classe poli­tique locale comme du per­son­nel de la ville, où il tra­vaillait depuis de longues années, ou de la CGT, dont il était adhé­rent et membre de la direc­tion depuis 1997. « Tout le monde est cho­qué et ému car tout le monde l’ap­pré­ciait », sou­ligne Syl­vie Gui­nand, adjointe au maire de Saint-Égrève, qui le connais­sait depuis 25 ans, notam­ment pour avoir « mili­té ensemble à la CGT ville de Gre­noble ».

La maire d’Échirolles Aman­dine Demore a ain­si décrit, sur les réseaux sociaux, un « agent muni­ci­pal enga­gé et exem­plaire », se disant elle aus­si « pro­fon­dé­ment cho­quée » par ce crime « bru­tal et insen­sé ». « Le meurtre de sang-froid d’un agent du ser­vice public, dans le cadre de son tra­vail, inter­ve­nant dans un geste de pur civisme, démontre éga­le­ment que les agent-es de proxi­mi­té sont bien sou­vent en pre­mière ligne face à la vio­lence qui s’exprime dans une part de notre socié­té », a ajou­té l’élu com­mu­niste.

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Un pre­mier hom­mage a été ren­du lun­di der­rière l’hô­tel de ville.

« Aujourd’hui, ce sont tous les ser­vices publics de France qui sont en deuil », a en outre affir­mé Aman­dine Demore. Des pro­pos qu’a repris, presque mot pour mot, Éric Piolle, dans son dis­cours pro­non­cé devant les quelque 300 per­sonnes (agents de la ville, mili­tants syn­di­caux et élus locaux) réunies ce lun­di der­rière la mai­rie, mal­gré la pluie bat­tante. Le maire de Gre­noble a ain­si salué le ser­vice public, « celui qui est tou­jours pré­sent sur le ter­rain, qui net­toie, qui élague, qui embel­lit, qui nour­rit, qui prend soin de notre socié­té, qui assure des tâches par­fois invi­sibles mais indis­pen­sables ».

L’édile a éga­le­ment expri­mé sa « tris­tesse infi­nie » et sa « colère », dénon­çant notam­ment — comme le secré­taire dépar­te­men­tal du PCF Jéré­mie Gio­no, dimanche — les consé­quences tra­giques des armes à feu. Une tris­tesse que n’a pas cachée non plus Maxime Grand, en pre­nant la parole à son tour, avant la minute de silence. L’occasion pour le syn­di­ca­liste de rap­pe­ler qui était son col­lègue, cama­rade et ami : « Il a mar­qué notre orga­nisme par ses nom­breux enga­ge­ments mili­tants. Avec son carac­tère fédé­ra­teur et ras­sem­bleur, il n’hésitait pas mon­ter au cré­neau avec les direc­tions et les élus. »

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Sur le par­vis de la mai­rie, deux pan­neaux sont recou­verts de mes­sages en mémoire de Lilian Dejean.

À l’instar de Maxime Grand ou de l’intersyndicale (CGT, CFDT, Sud, CFTC, FO) qui a éga­le­ment évo­qué ces élé­ments dans son com­mu­ni­qué, beau­coup, par­mi celles et ceux ayant connu Lilian Dejean, ont insis­té sur son par­cours et sa per­son­na­li­té, lors des dif­fé­rents temps d’hommage. C’est le cas de ses proches (famille et amis), qui ont orga­ni­sé un second ras­sem­ble­ment lun­di, en fin de jour­née, sur les lieux du drame.

L’un de ses amis d’enfance s’est ain­si sou­ve­nu de lui comme étant « le liant » de leur « bande de jeunes, tous dif­fé­rents ». Pour celui-ci, « si Lilian est mort, c’est pour ce qu’il était depuis tou­jours : un vrai gen­til ». Après avoir dépo­sé une gerbe de fleurs et une pho­to au pied d’un poteau, Lichou­ki Dejean, l’un des deux frères de la vic­time, a, lui, remer­cié les per­sonnes pré­sentes pour leurs hom­mages « sin­cères. Cer­tains le connais­saient, d’autres pas. Le plus beau témoi­gnage que vous pou­viez lui appor­ter, c’est votre pré­sence ce soir », a‑t-il lan­cé, les yeux embués.

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Les deux frères de Lilian Dejean étaient pré­sents devant la mai­rie.

Pour les col­lègues de Lilian Dejean, l’é­mo­tion est immense éga­le­ment. Ce mar­di 10 sep­tembre, à l’image de la veille, une cen­taine d’agents des ser­vices pro­pre­té urbaine et espaces verts de la ville de Gre­noble se sont réunis sur le par­vis de la mai­rie, entre les deux grands pan­neaux affi­chant des dizaines de mes­sages manus­crits en mémoire du père de famille. Un ras­sem­ble­ment tota­le­ment spon­ta­né, ces der­niers échan­geant pen­dant plus d’une heure, loin des camé­ras et des médias, tenus volon­tai­re­ment à l’écart.

« Il y avait une inter­syn­di­cale, avec une heure d’info pré­vue à 11h, mais les hommes et les femmes de la pro­pre­té urbaine et des espaces verts n’ont pas atten­du 11h, ils sont venus tout seuls », explique Alain Zie­gler, agent et mili­tant CGT. Un moment indis­pen­sable, selon lui : « On est tou­jours dans le même état de colère et de tris­tesse. Lilian nous manque ! »

L’ouvrier ter­ri­to­rial attend main­te­nant « des réponses à plu­sieurs niveaux ». De la part de la muni­ci­pa­li­té déjà, mais « pas seule­ment. Il y a des pro­blèmes qui vont au-delà de la ville de Gre­noble, comme l’insécurité au tra­vail », s’insurge Alain Zie­gler. « Il ne faut pas se voi­ler la face, cette socié­té est tel­le­ment pour­ris­sante que ça rejaillit sur les tra­vailleurs. La vente d’armes, par exemple, c’est le sys­tème capi­ta­liste nor­mal… Et on arrive à des drames, à des sala­riés qui se font assas­si­ner pen­dant qu’ils font leur tra­vail. »

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Dis­cours des élus de Saint-Egrève, en hom­mage à la vic­time.

Face à l’état de choc dans lequel se trouve le per­son­nel muni­ci­pal, l’intersyndicale a deman­dé à la ville que ce mer­cre­di 11 sep­tembre soit une « jour­née blanche ». Les agents se sont ren­dus sur leur lieu de tra­vail, mais pour se retrou­ver entre eux, dis­cu­ter et se recueillir. Une cel­lule psy­cho­lo­gique a par ailleurs été mise en place, avec des entre­tiens indi­vi­duels pour les volon­taires — aux­quels la CGT pro­pose elle aus­si un accom­pa­gne­ment. La reprise du tra­vail est pro­gram­mée ce jeu­di 12 sep­tembre.

« Lilian possédait ce don de pouvoir unir les gens »

Outre Gre­noble, d’autres com­munes de la métro­pole ont ren­du hom­mage à Lilian Dejean. Une minute de silence — assor­tie d’un dis­cours d’Amandine Demore — a ain­si été obser­vée à Échi­rolles, où rési­dait la vic­time. Minute de silence éga­le­ment à Eybens ou encore à Saint-Égrève, où le maire Laurent Ama­dieu, la direc­trice géné­rale des ser­vices Véro­nique Jacob et la troi­sième adjointe Syl­vie Gui­nand sont inter­ve­nus, devant une soixan­taine d’a­gents. Une demande de ces der­niers.

Les agents ont en effet expri­mé un « vrai besoin de se réunir », selon l’é­lue com­mu­niste. Laquelle a axé sa prise de parole sur « la per­son­na­li­té de Lilian, la per­sonne qu’il était, un père qui par­lait tout le temps de ses enfants, de ses frères, de sa mère vivant en Gua­de­loupe ». Très émue, Syl­vie Gui­nand ne tarit pas d’éloges sur son ami : « Lilian, c’est quelqu’un qui pos­sé­dait ce don de pou­voir unir des gens très dif­fé­rents, qui savait écou­ter, qui trou­vait tou­jours des réponses aux évè­ne­ments. Il était apai­sant, jamais dans la vio­lence, tou­jours à sépa­rer des bagarres. »

Une pré­ci­sion pas ano­dine. Le dérou­lé des évè­ne­ments, le fait que Lilian Dejean ait vou­lu inter­ve­nir et por­ter secours aux per­sonnes acci­den­tées, tout cela « colle tota­le­ment » avec son pro­fil, estime l’adjointe à la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive. « C’est à l’image de ce qu’il était dans la vie quo­ti­dienne comme au syn­di­cal. Ça fai­sait vrai­ment pen­ser à lui », pour­suit-elle.

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Les agents de Saint-Egrève ont obser­vé une minute de silence devant l’hô­tel de ville ce mar­di.

Syl­vie Gui­nand se sou­vient d’ailleurs de sa réac­tion, dimanche matin, en décou­vrant les pre­mières bribes d’information. « Mon com­pa­gnon me lisait les infos du jour et j’ai eu une intui­tion ter­rible, j’ai tout de suite pen­sé à Lilian », raconte-t-elle. Une « pré­mo­ni­tion » qui sera mal­heu­reu­se­ment confir­mée par Maxime Grand au télé­phone. L’élue de Saint-Égrève a conclu son inter­ven­tion en appe­lant à « ne pas répondre à la haine et la vio­lence par la haine et la vio­lence ». Mais aus­si à « conti­nuer le com­bat de Lilian contre les injus­tices ».

De son côté, Véro­nique Jacob a salué « un citoyen et un agent du ser­vice public enga­gé », qui était dimanche « en fonc­tion pour contri­buer à cette mis­sion sou­vent invi­sible qui consiste jus­te­ment à prendre soin de notre bien com­mun ». Quant à Laurent Ama­dieu, celui-ci a dénon­cé un « acte inqua­li­fiable » dont les cir­cons­tances « endeuillent aujourd’­hui les ser­vices publics ter­ri­to­riaux, les élus et nos conci­toyens ».

Une information judiciaire ouverte

Si le tireur reste pour l’heure introu­vable, l’é­tau se res­serre néan­moins autour de lui. L’en­quête a en effet pro­gres­sé depuis dimanche. « Un sus­pect du meurtre de Lilian Dejean est iden­ti­fié et est acti­ve­ment recher­ché », a ain­si indi­qué le pro­cu­reur de la Répu­blique Éric Vaillant, lun­di soir. « Quatre per­qui­si­tions ont eu lieu hier et aujourd’hui dans des lieux qu’il est sus­cep­tible d’habiter [NDLR : notam­ment à Saint-Mar­tin-d’Hères]. L’homme est connu de la jus­tice pour diverses infrac­tions », en l’oc­cur­rence pour vols, vio­lences et tra­fic de stu­pé­fiants.

De nou­veaux détails et indices ont par ailleurs été dévoi­lés concer­nant l’in­di­vi­du, qui a pris la fuite à pied après avoir tiré sur l’agent muni­ci­pal. Le meur­trier pré­su­mé avait notam­ment l’in­ter­dic­tion de déte­nir une arme jus­qu’en 2028, a pré­ci­sé le magis­trat ce mar­di, confir­mant une infor­ma­tion du Dau­phi­né libé­ré.  Une peine pro­non­cée à son encontre à l’is­sue d’un pro­cès pour vio­lences, en août 2023. Autre infor­ma­tion, la carte d’i­den­ti­té du sus­pect a été retrou­vée dans la voi­ture acci­den­tée, une Audi RS3 de loca­tion imma­tri­cu­lée en Pologne, d’a­près Éric Vaillant.

Le pro­cu­reur a enfin confir­mé ce mer­cre­di 11 sep­tembre que le par­quet avait ouvert le jour même une infor­ma­tion judi­ciaire pour « meurtre sur une per­sonne char­gée d’une mis­sion de ser­vice public, bles­sure invo­lon­taire avec ITT infé­rieure à trois mois, aggra­vée par la vitesse et le délit de fuite, déten­tion d’arme de caté­go­rie B ». « L’en­quête se pour­suit désor­mais sous la direc­tion d’une juge d’ins­truc­tion », a‑t-il ajou­té. Objec­tif : per­mettre aux enquê­teurs de dis­po­ser de moyens d’in­ves­ti­ga­tion éten­dus pour mener la traque du fugi­tif.

Une cagnotte en ligne pour la famille de Lilian Dejean

Le syn­di­cat CGT des ter­ri­to­riaux de la ville de Gre­noble a ouvert une cagnotte en ligne sur le site leetchi.com. La col­lecte, des­ti­née à la famille de Lilian Dejean, appro­chait déjà des 20 000 euros ce mer­cre­di après-midi. La ville de Gre­noble étu­die la pos­si­bi­li­té d’y prendre part éga­le­ment, a‑t-elle annon­cé.

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