Grenoble. La CGT lance sa campagne contre le harcèlement au travail dans la police

Par Manuel Pavard

/

Image principale
Anthony Caillé, secrétaire général CGT-Intérieur, Marie-Laure Cordini, secrétaire de l'UD CGT 38, et Christophe Torchy, secrétaire national CGT-Intérieur, devant l'hôtel de police de Grenoble.
Une délégation de la CGT Intérieur a fait étape à Grenoble, ce jeudi 12 juin, dans le cadre de sa campagne nationale contre le harcèlement au travail au sein du ministère de l'Intérieur. L'occasion de rencontrer les agents des différents services (policiers, personnels administratifs ou techniques...) et de diffuser le livret syndical sur le sujet, conçu pour sensibiliser et dénoncer le phénomène mais également pour rompre l'isolement des victimes.

Le titre du livret syn­di­cal, Har­cè­le­ment, 100 % des agent·e·s concerné·e·s, plante le décor. « Au minis­tère de l’Intérieur, le har­cè­le­ment au tra­vail est un pro­blème de longue date. Il s’est pro­fon­dé­ment enra­ci­né dans notre ins­ti­tu­tion et touche aujourd’hui la qua­si tota­li­té des ser­vices », sou­ligne la CGT Inté­rieur en ouver­ture. Le livret a ser­vi de sup­port au syn­di­cat, ce jeu­di 12 juin, à Gre­noble. La pre­mière étape d’un « tour de France sur la pro­blé­ma­tique du har­cè­le­ment au minis­tère de l’In­té­rieur et notam­ment dans les ser­vices de police », pré­cise Antho­ny Caillé, secré­taire géné­ral de la CGT Inté­rieur.

Ce der­nier fai­sait par­tie, avec des repré­sen­tants de l’UD CGT 38, de la délé­ga­tion venue ren­con­trer les agents tout au long de la jour­née. Celle-ci s’est ain­si ren­due le matin dans trois antennes locales du SGAMI (secré­ta­riat géné­ral pour l’administration du minis­tère de l’In­té­rieur) — qui regroupe les moyens logis­tiques, les garages, les ate­liers, les res­sources humaines… Puis l’a­près-midi à l’hô­tel de police, ren­dez-vous ponc­tué d’un entre­tien avec la direc­teur inter­dé­par­te­men­tal de la police natio­nale (DIPN).

Au menu de ces ren­contres : dis­tri­bu­tion et pré­sen­ta­tion du livret syn­di­cal, puis dis­cus­sions avec les agents. « Ça per­met de prendre contact avec les col­lègues et sur­tout d’en­tendre leurs doléances, raconte Antho­ny Caillé. Là, on sort du ser­vice de police judi­ciaire : beau­coup d’a­gents de la PJ nous ont par­lé de la réforme des DDPN (direc­tions dépar­te­men­tales de la police natio­nale), de son impact sur leurs condi­tions de tra­vail. »

« Des cas concrets qui touchent tous les services »

Si la CGT Inté­rieur ne dis­pose pas encore de chiffres sur le har­cè­le­ment dans la police, son secré­taire géné­ral constate tou­te­fois une « réelle aug­men­ta­tion » du phé­no­mène. Le syn­di­cat est d’ailleurs très sou­vent sai­si pour des dos­siers de har­cè­le­ment, selon lui. « Et comme les autres syn­di­cats ne traitent pas ce type d’af­faires, on en a même trop à gérer », déplore-t-il. Le tacle n’est pas ano­din. Que ce soit Alliance, l’UN­SA ou SGP-FO, les syn­di­cats de poli­ciers concur­rents n’é­taient en effet « pas enchan­tés » de l’i­ni­tia­tive de la CGT, euphé­mise Antho­ny Caillé, sans trop ren­trer dans les détails.

Le livret syn­di­cal sur le har­cè­le­ment au tra­vail conçu par la CGT-Inté­rieur pour appuyer sa cam­pagne natio­nale.

Pour­tant, les « remon­tées de ter­rain » ne mentent pas, affirme-t-il. « On a des cas concrets qui touchent tous les ser­vices, essen­tiel­le­ment pour du har­cè­le­ment moral et psy­cho­lo­gique » — même si le har­cè­le­ment sexuel reste une réa­li­té. Cer­tains d’entre eux sont détaillés dans le guide éla­bo­ré et dis­tri­bué par la CGT. Des his­toires variées et édi­fiantes, tris­te­ment révé­la­trices des carences à l’œuvre dans les ser­vices concer­nés.

Il y a ain­si Dja­mi­la, vic­time de har­cè­le­ment moral à carac­tère dis­cri­mi­na­toire dans un com­mis­sa­riat. Obser­vant des com­por­te­ments et mes­sages « racistes, sexistes et homo­phobes » dans son nou­veau groupe d’en­quête, elle finit par en être elle-même la cible, avant de ten­ter de se sui­ci­der et d’être aujourd’­hui hos­pi­ta­li­sée. Il y a aus­si Jean, témoin de har­cè­le­ment moral à la DGSI et sanc­tion­né pour avoir signa­lé les « mau­vais trai­te­ments (hos­ti­li­té, remises en cause injus­ti­fiées, condi­tions de tra­vail inadap­tées à sa situa­tion médi­cale, etc) » infli­gés par la hié­rar­chie à une col­lègue. Ou encore Marie, vic­time de har­cè­le­ment moral à la DRHFS (direc­tion des res­sources humaines, des finances et des sou­tiens), qui a vu l’en­quête admi­nis­tra­tive clas­sée et sa har­ce­leuse « affec­tée à un poste où elle exerce davan­tage de res­pon­sa­bi­li­tés ».

« La parole s’est libérée »

Existe-t-il alors une forme d’o­mer­ta sur la ques­tion au minis­tère de l’In­té­rieur ? « Pour moi, c’est un peu par­tout pareil. Je ne pense pas que ce soit plus com­pli­qué à dénon­cer dans la police que dans d’autres pro­fes­sions », estime Antho­ny Caillé. « En cas de har­cè­le­ment dans un ser­vice, on enquête, on recueille les témoi­gnages, puis on demande à ren­con­trer le chef de ser­vice. » Lequel peut réagir de toutes les façons pos­sibles : « Pour cer­tains, tout se passe bien, rien à signa­ler. D’autres réagissent bien à notre inter­pel­la­tion. Et d’autres nous disent ‘on sait déjà’. »

Le res­pon­sable syn­di­cal l’ad­met néan­moins, « si le plus fort taux de sui­cide se situe dans la police, c’est que quelque chose ne va pas ». Point posi­tif cepen­dant, « la parole s’est libé­rée », notam­ment dans le sillage de #MeToo, explique-t-il, citant les exemples, de plus en plus fré­quents, de « col­lègues qui nous disent ‘je n’en peux plus !’. Il y a quinze ans, je n’au­rais pas eu autant de pro­pos de ce type. »

« Les condi­tions de tra­vail se sont tel­le­ment dégra­dées en vingt ans… Quand on se retrouve à faire à quatre le tra­vail de douze et quand le chef est noté sur la ren­ta­bi­li­té du tra­vail, ça ali­mente le har­cè­le­ment. »

Antho­ny Caillé, secré­taire géné­ral CGT Inté­rieur

Selon Antho­ny Caillé, cer­taines causes sautent aux yeux. « Les condi­tions de tra­vail se sont tel­le­ment dégra­dées en vingt ans… Quand on se retrouve à faire à quatre le tra­vail de douze et quand le chef est noté sur la ren­ta­bi­li­té du tra­vail, ça ali­mente le har­cè­le­ment. » Une fuite en avant qua­si constante « depuis Sar­ko­zy », rap­pelle-t-il. Et le syn­di­ca­liste poli­cier de poin­ter « le fameux dis­cours de Gre­noble », qui marque le point de départ, en 2010, de cette poli­tique ultra-libé­rale. Avec « la police vue comme une entre­prise, les indi­ca­teurs de per­for­mance, la prime aux résul­tats ».

La CGT Inté­rieur espère que cette cam­pagne natio­nale — qui met­tra le cap ensuite sur le Pas-de-Calais — per­met­tra de faire évo­luer les pra­tiques et les men­ta­li­tés. Objec­tif, « sen­si­bi­li­ser, aler­ter et per­mettre à chacun·e d’identifier, dénon­cer et com­battre les situa­tions de har­cè­le­ment moral, sexuel ou dis­cri­mi­na­toire », indique le syn­di­cat. Mais aus­si rompre l’i­so­le­ment : « Trop de col­lègues res­tent isolé·e·s face à ces vio­lences silen­cieuses. Nous vou­lons leur dire qu’ils et elles ne sont pas seul·e·s. » Une res­ti­tu­tion est pré­vue à l’is­sue de ce tour de France.

Partager cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *