Grenoble. La CGT lance sa campagne contre le harcèlement au travail dans la police
Par Manuel Pavard
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Le titre du livret syndical, Harcèlement, 100 % des agent·e·s concerné·e·s, plante le décor. « Au ministère de l’Intérieur, le harcèlement au travail est un problème de longue date. Il s’est profondément enraciné dans notre institution et touche aujourd’hui la quasi totalité des services », souligne la CGT Intérieur en ouverture. Le livret a servi de support au syndicat, ce jeudi 12 juin, à Grenoble. La première étape d’un « tour de France sur la problématique du harcèlement au ministère de l’Intérieur et notamment dans les services de police », précise Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT Intérieur.
Ce dernier faisait partie, avec des représentants de l’UD CGT 38, de la délégation venue rencontrer les agents tout au long de la journée. Celle-ci s’est ainsi rendue le matin dans trois antennes locales du SGAMI (secrétariat général pour l’administration du ministère de l’Intérieur) — qui regroupe les moyens logistiques, les garages, les ateliers, les ressources humaines… Puis l’après-midi à l’hôtel de police, rendez-vous ponctué d’un entretien avec la directeur interdépartemental de la police nationale (DIPN).
Au menu de ces rencontres : distribution et présentation du livret syndical, puis discussions avec les agents. « Ça permet de prendre contact avec les collègues et surtout d’entendre leurs doléances, raconte Anthony Caillé. Là, on sort du service de police judiciaire : beaucoup d’agents de la PJ nous ont parlé de la réforme des DDPN (directions départementales de la police nationale), de son impact sur leurs conditions de travail. »
« Des cas concrets qui touchent tous les services »
Si la CGT Intérieur ne dispose pas encore de chiffres sur le harcèlement dans la police, son secrétaire général constate toutefois une « réelle augmentation » du phénomène. Le syndicat est d’ailleurs très souvent saisi pour des dossiers de harcèlement, selon lui. « Et comme les autres syndicats ne traitent pas ce type d’affaires, on en a même trop à gérer », déplore-t-il. Le tacle n’est pas anodin. Que ce soit Alliance, l’UNSA ou SGP-FO, les syndicats de policiers concurrents n’étaient en effet « pas enchantés » de l’initiative de la CGT, euphémise Anthony Caillé, sans trop rentrer dans les détails.

Pourtant, les « remontées de terrain » ne mentent pas, affirme-t-il. « On a des cas concrets qui touchent tous les services, essentiellement pour du harcèlement moral et psychologique » — même si le harcèlement sexuel reste une réalité. Certains d’entre eux sont détaillés dans le guide élaboré et distribué par la CGT. Des histoires variées et édifiantes, tristement révélatrices des carences à l’œuvre dans les services concernés.
Il y a ainsi Djamila, victime de harcèlement moral à caractère discriminatoire dans un commissariat. Observant des comportements et messages « racistes, sexistes et homophobes » dans son nouveau groupe d’enquête, elle finit par en être elle-même la cible, avant de tenter de se suicider et d’être aujourd’hui hospitalisée. Il y a aussi Jean, témoin de harcèlement moral à la DGSI et sanctionné pour avoir signalé les « mauvais traitements (hostilité, remises en cause injustifiées, conditions de travail inadaptées à sa situation médicale, etc) » infligés par la hiérarchie à une collègue. Ou encore Marie, victime de harcèlement moral à la DRHFS (direction des ressources humaines, des finances et des soutiens), qui a vu l’enquête administrative classée et sa harceleuse « affectée à un poste où elle exerce davantage de responsabilités ».
« La parole s’est libérée »
Existe-t-il alors une forme d’omerta sur la question au ministère de l’Intérieur ? « Pour moi, c’est un peu partout pareil. Je ne pense pas que ce soit plus compliqué à dénoncer dans la police que dans d’autres professions », estime Anthony Caillé. « En cas de harcèlement dans un service, on enquête, on recueille les témoignages, puis on demande à rencontrer le chef de service. » Lequel peut réagir de toutes les façons possibles : « Pour certains, tout se passe bien, rien à signaler. D’autres réagissent bien à notre interpellation. Et d’autres nous disent ‘on sait déjà’. »
Le responsable syndical l’admet néanmoins, « si le plus fort taux de suicide se situe dans la police, c’est que quelque chose ne va pas ». Point positif cependant, « la parole s’est libérée », notamment dans le sillage de #MeToo, explique-t-il, citant les exemples, de plus en plus fréquents, de « collègues qui nous disent ‘je n’en peux plus !’. Il y a quinze ans, je n’aurais pas eu autant de propos de ce type. »
« Les conditions de travail se sont tellement dégradées en vingt ans… Quand on se retrouve à faire à quatre le travail de douze et quand le chef est noté sur la rentabilité du travail, ça alimente le harcèlement. »
Anthony Caillé, secrétaire général CGT Intérieur
Selon Anthony Caillé, certaines causes sautent aux yeux. « Les conditions de travail se sont tellement dégradées en vingt ans… Quand on se retrouve à faire à quatre le travail de douze et quand le chef est noté sur la rentabilité du travail, ça alimente le harcèlement. » Une fuite en avant quasi constante « depuis Sarkozy », rappelle-t-il. Et le syndicaliste policier de pointer « le fameux discours de Grenoble », qui marque le point de départ, en 2010, de cette politique ultra-libérale. Avec « la police vue comme une entreprise, les indicateurs de performance, la prime aux résultats ».
La CGT Intérieur espère que cette campagne nationale — qui mettra le cap ensuite sur le Pas-de-Calais — permettra de faire évoluer les pratiques et les mentalités. Objectif, « sensibiliser, alerter et permettre à chacun·e d’identifier, dénoncer et combattre les situations de harcèlement moral, sexuel ou discriminatoire », indique le syndicat. Mais aussi rompre l’isolement : « Trop de collègues restent isolé·e·s face à ces violences silencieuses. Nous voulons leur dire qu’ils et elles ne sont pas seul·e·s. » Une restitution est prévue à l’issue de ce tour de France.