Cession de Photowatt à Carbon : l’incertitude persiste

Par Didier Gosselin

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Rassemblement devant Photowatt, à Bourgoin-Jallieu, vendredi 20 septembre 2024.

Les salariés de Photowatt se sont rassemblés ce vendredi 20 septembre sur le site, à Bourgoin-Jallieu, en présence de parlementaires de gauche et des élus du CSE. Objectif : dénoncer les manœuvres liées au projet de cession à Carbon par EDF Renouvelables et exiger une perspective économique crédible. Celle-ci passe par une véritable et ambitieuse politique du photovoltaïque en France et en Europe. Reste à se battre pour des moyens financiers et une stratégie à grande échelle.

Des élu·e·s de gauche se sont rendu·e·s ce ven­dre­di 20 sep­tembre à Bour­goin-Jal­lieu pour ren­con­trer les élu·e·s CSE de l’entreprise Pho­to­watt et faire le point sur la reprise de l’entreprise par la start-up Car­bon. À l’issue de la ren­contre, devant la popu­la­tion et les salarié·e·s de Pho­to­watt, Guillaume Gon­tard (séna­teur Eco­lo­giste soli­da­ri­té et ter­ri­toire) a dénon­cé « la pré­ci­pi­ta­tion de la déci­sion de ces­sion annon­cée pen­dant l’été et à une période poli­tique par­ti­cu­lière, sans gou­ver­ne­ment ». Rap­pe­lant que depuis 2012, EDF « n’a jamais eu la volon­té de déve­lop­per Pho­to­watt », allant jusqu’à com­man­der ailleurs des pan­neaux pho­to­vol­taïques pour le grand parc de Creys-Mal­ville, Guillaume Gon­tard a sou­li­gné la néces­si­té de construire une filière pho­to­vol­taïque fran­çaise et euro­péenne et posé la ques­tion du rôle et de la place de l’Etat, le grand absent dans cette stra­té­gie à éla­bo­rer.
Photowatt-Guillaume-Gontard/

Le séna­teur éco­lo­giste de l’I­sère Guillaume Gon­tard était pré­sent.

Le séna­teur sou­haite que l’Etat soit par­tie pre­nante et qu’il apporte des garan­ties, qu’il agisse sur les prio­ri­tés d’investissements, y com­pris si Car­bon reprend l’entreprise. L’essentiel étant alors de construire une filière et d’apporter des garan­ties aux salarié·e·s. Pour cela, les élu·e·s de gauche demandent la mise en place d’un comi­té de pilo­tage, asso­ciant toutes les par­ties pre­nantes, par le pré­fet de l’Isère.

Besoin de pla­ni­fi­ca­tion et de garan­ties sociales et finan­cières

Pour Eli­sa Mar­tin, dépu­tée LFI, « la France doit et peut se doter d’une vraie stra­té­gie de pla­ni­fi­ca­tion en matière éco­lo­gique. Avec Pho­to­watt, on a un des élé­ments d’une pos­sible pla­ni­fi­ca­tion éco­lo­gique. Et c’est au gou­ver­ne­ment de dire ce qu’il en est et d’apporter les garan­ties pour dire dans quelle mesure, l’entreprise Pho­to­watt peut par­ti­ci­per de cette stra­té­gie de pla­ni­fi­ca­tion. C’est ce qu’on attend du gou­ver­ne­ment », ajoute-t-elle.
Photowatt-intersyndicale/

L’in­ter­syn­di­cale de Pho­to­watt, à Bour­goin-Jal­lieu.

Eric Hours, conseiller régio­nal com­mu­niste, insiste sur le fait que la start-up Car­bon n’apporte aucune garan­tie finan­cière et que sa levée de fonds est pour l’instant fic­tive. Il rap­pelle que lors de la ren­contre du 19 sep­tembre avec Car­bon, les sala­riés de Pho­to­watt n’ont obte­nu aucune garan­tie finan­cière, y com­pris sur le déve­lop­pe­ment indus­triel. Pour l’élu PCF, l’objectif de Car­bon de conqué­rir 50 % du mar­ché pho­to­vol­taïque des par­ti­cu­liers n’est donc pas réa­liste quand on assiste aux fer­me­tures de grandes entre­prises alle­mandes face à la concur­rence chi­noise. « Aucune garan­tie sociale non plus pour les 170 salarié·e·s de Pho­to­watt, qui pour­raient se retrou­ver à la porte, et leurs familles avec, d’ici trois ans, si le pro­jet de reprise échoue », constate Eric Hours. Le plan de Car­bon n’est pas cré­dible Bar­ba­ra Bazer-Bachi et Yan­nick Delorme, ingénieur·e·s chez Pho­to­watt et délégué·e·s CGC, ont, pour l’intersyndicale, relayé les inquié­tudes des salarié·e·s. Pour ce der­nier, « si on regarde le fond du dos­sier, on a un pro­jet indus­triel qui est flou. Car­bon est inca­pable de nous dire si l’activité actuelle et la découpe de wafers de sili­cium seront main­te­nues ». Par ailleurs, pour­suit-il, « la stra­té­gie finan­cière et com­mer­ciale annon­cée est très opti­miste alors qu’on sait que le mar­ché du solaire est très aléa­toire ». Le pro­jet n’est ain­si « pas cré­dible », estime-t-il, notam­ment « cet objec­tif de conqué­rir dès la pre­mière année 50% du mar­ché fran­çais du pho­to­vol­taïque ».Plus grave, observe l’élu au CSE, « le finan­ce­ment de l’opération se fait uni­que­ment avec des finan­ce­ments exté­rieurs, qui sont tou­jours en cours. Le plan de finan­ce­ment n’est pas bou­clé, donc non garan­ti. » Yan­nick Delorme conclut en rap­pe­lant que « ce plan de ces­sion pré­sente un accom­pa­gne­ment social clai­re­ment sous-dimen­sion­né com­pa­ré au risques qu’on vient d‘évoquer ». Bar­ba­ra Bazer-Bachi revient quant à elle sur les affir­ma­tions de Car­bon de « pou­voir se pas­ser des méca­nismes d’aides de l’Etat et d’atteindre 50 % du mar­ché des par­ti­cu­liers sans ces aides ». Ceci, alors même que la crise du solaire rési­den­tiel en Europe est une réa­li­té éco­no­mique indéniable.Le fait que Car­bon base son plan indus­triel en igno­rant cette crise, misant sur une crois­sance alors qu’on va vers une baisse chez les par­ti­cu­liers, n’est en effet pas très ras­su­rant. Ain­si, déclare Bar­ba­ra Bazer-Bachi, « nous main­te­nons ce que nous avons déjà dit il y a dix jours, à savoir que sans main­tien des méca­nismes d’aide de l’Etat, il n’y aura pas de filière pho­to­vol­taïque en France et en Europe. Plus géné­ra­le­ment, pour nous, le pro­blème n’est pas Car­bon, ni même son pro­jet. C’est EDF et l’Etat. Nous consi­dé­rons qu’EDF Renou­ve­lable a une atti­tude irres­pon­sable car ils se pré­ci­pitent dans cette ces­sion alors que rien n’est acquis. » Pour Yan­nick Delorme, EDF doit donc « mettre en place des condi­tions sociales de sécu­ri­sa­tion de cette ces­sion pour les salarié·e·s qui soient à la hau­teur du groupe inter­na­tio­nal fran­çais qu’est EDF. Un groupe qui n’a jamais rele­vé l’exigence ini­tiale d’acheter 100 % de la pro­duc­tion de Pho­to­watt, alors que c’é­tait plu­tôt 0 % ces der­nières années », déplore l’in­gé­nieur. Finan­cer des filières indus­trielles Cédric Thu­de­roz, secré­taire géné­ral de la CGT Ener­gie Isère est inter­ve­nu à son tour pour rap­pe­ler le sou­tien du syn­di­cat et son action auprès du groupe EDF, en accord avec les orga­ni­sa­tions syn­di­cales de Pho­to­watt. Il a éga­le­ment dénon­cé l’incertitude du conte­nu du pro­jet Car­bon. D’une part en rai­son de finan­ce­ments à ce stade hypo­thé­tiques, d’autre part car aucune réflexion de fond n’a été tenue sur l’emploi et la réa­li­té du mar­ché. Pour Cédric Thu­de­roz, il est hors de ques­tion de lais­ser EDF sous-trai­ter un plan social. Celui-ci doit en effet assu­mer sa res­pon­sa­bi­li­té sociale. « EDF est un groupe assez colos­sal, qui a la capa­ci­té de trai­ter 170 salarié·e·s un peu plus digne­ment que ce qu’il a fait depuis 2012 », a‑t-il affir­mé. Plus glo­ba­le­ment, le syn­di­ca­liste a expli­qué que « la CGT porte depuis long­temps un pro­jet pour Pho­to­watt, notam­ment par rap­port à tout l’écosystème indus­triel dis­po­nible en Isère et en Savoie, et aux besoins qu’on peut avoir à l’avenir en pho­to­vol­taïque. Il y a effec­ti­ve­ment un mar­ché à prendre mais il convient de peser sur les poli­tiques euro­péennes et de jouer un peu de pro­tec­tion­nisme sur le ter­ri­toire euro­péen », a‑t-il ajou­té. Actuel­le­ment, en effet, « c’est très com­pli­qué pour nombre d’entreprises euro­péennes, et en France par­ti­cu­liè­re­ment, de prendre leur place sur le mar­ché des éner­gies renou­ve­lables ». Selon le secré­taire de la CGT Ener­gie Isère, la recon­quête de la sou­ve­rai­ne­té éner­gé­tique passe par des plans de pro­gram­ma­tions per­met­tant de créer les moyens de pro­duc­tion de demain, dotés de sommes consé­quentes pour sou­te­nir les filières indus­trielles fran­çaises. Cette bataille de la sou­ve­rai­ne­té est impor­tante, assure Cédric Thu­de­roz, qui pointe le scan­dale Alstom et l’obligation pour EDF de rache­ter deux fois plus cher aux Amé­ri­cains les tur­bines ven­dues par le ministre de l’économie Macron en 2014… Sans comp­ter le fait que les Amé­ri­cains gardent les bre­vets et les loue­ront à EDF. Ces divers constats ain­si que la réflexion col­lec­tive menée autour de Pho­to­watt et de la filière pho­to­vol­taïque sont tou­te­fois de bon augure. Cela démontre en effet qu’il y a urgence à conqué­rir des droits nou­veaux pour les salarié·e·s en matière de ges­tion et de choix de déve­lop­pe­ment de leurs entre­prises répon­dant aux besoins sociaux. De même, les élu·e·s, les popu­la­tions, les admi­nis­tra­tions, les entre­prises doivent pou­voir déci­der, au sein de nou­velles ins­ti­tu­tions décen­tra­li­sées, de la pla­ni­fi­ca­tion éco­no­mique et indus­trielle, en lien avec les besoins des ter­ri­toires et de leurs habitant·e·s.

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