Grenoble. Premier acte réussi pour les trois jours de grève du travail social
Par Manuel Pavard
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« Le programme est à la fois chargé et ambitieux mais c’est la réponse nécessaire aux attaques qu’on subit au quotidien. » Baptiste Anglade, éducateur spécialisé, résume au micro le sentiment animant la quasi-totalité des quelque 400 manifestants réunis ce mardi 16 décembre, aussi déterminés qu’ulcérés par leurs conditions de travail. Le syndicaliste CGT a pris la parole, à l’instar des représentants des autres syndicats organisateurs (Sud santé sociaux, Sud collectivités territoriales, CNT et UNEF), devant la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS), avenue Marie-Reynoard, point de départ de la manifestation ouvrant cette séquence de trois jours de mobilisation.

À Grenoble comme partout en France, les travailleurs sociaux sont en effet en grève du 16 au 18 décembre contre la casse du social et du médico-social. Baisse des budgets, surcharge de travail, non reconnaissance des métiers, tarification à l’acte, marchandisation, sous-effectif… Le tout avec des salaires qui stagnent. Les listes de griefs et revendications se rejoignent dans toutes les structures, dessinant le portrait d’un secteur en crise et en forte tension.
« Des économies de bouts de chandelle »
Outre la mise en concurrence entre structures ou collègues et les pertes de financements, Baptiste Anglade fustige les « économies de bouts de chandelle » réalisées par les directions du travail social. « Des économies sur les postes en ne remplaçant pas les collègues qui sont partis, des économies en refusant de remplacer les salariés en arrêt maladie et en généralisant la précarité… Ce sont aussi des collègues arrivés en CDD mais qui ne peuvent pas continuer, officiellement à cause, leur dit leur employeur, du code du travail », illustre le militant CGT et NPA-Révolutionnaires, candidat aux municipales à Grenoble.

Beaucoup de salariés soulignent par ailleurs les conséquences très larges de cette dégradation généralisée des conditions de travail. Laquelle ne touche pas seulement les personnes concernées mais entraîne aussi de facto une dégradation des conditions d’accueil et d’accompagnement du public. D’où « des situations de maltraitance institutionnelle et une perte de sens du métier » que décrivent de plus en plus de travailleurs sociaux. « Les moyens s’amenuisent de jour en jour alors que la pauvreté augmente », déplore la représentante de la CNT intervenue devant la DDETS.
« Se battre pour un projet de société »
« Se battre pour nos conditions de travail, le sens de nos métiers, c’est aussi se battre pour un projet de société », affirme de son côté Baptiste Anglade. Et de comparer le combat des syndicats du social, en faveur d’une « société avec moins de pauvreté, moins de misère, les droits de chacun respectés », et celui du syndicat patronal Nexem cherchant à « casser les conditions de travail » des salariés. « Ce qu’ils veulent mettre en place dans le privé, c’est une convention collective unique, avec moins de congés, avec des salaires qui ne sont plus au diplôme, à l’ancienneté, mais faits en partie au mérite », s’insurge l’éducateur de rue.

Et que dire de la répression ? Derrière le bâtiment de la DDETS, « à l’Afiph (Association familiale de l’Isère pour personnes handicapées), les syndicats en sont à parler de plan social déguisé tellement il y a de licenciements et de collègues qui passent en disciplinaire », dénonce-t-il. Même constat à l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), non loin de là, où ce sont les élus Sud qui sont ciblés, explique leur camarade CGT : « Il y a des délégués syndicaux qu’on tente de licencier. L’inspection du travail s’est opposée à cette discrimination syndicale mais la boîte s’acharne pour tenter d’écraser celles et ceux qui relèvent la tête. »
Trois jours de grève pour « instaurer un rapport de forces »
Relever la tête et refuser de se résigner, c’est un choix que font encore de nombreux travailleurs sociaux, à l’image des manifestants rassemblés ce mardi. Des mobilisations existent ainsi dans beaucoup de services et d’établissements, avec des motifs divers : contre une réorganisation, pour de nouveaux droits (comme les congés menstruels), pour l’obtention d’une prime et des augmentations de salaires, contre des licenciements abusifs, pour contester des baisses de financements…

L’objectif de cette large mobilisation est donc de regrouper toutes ces revendications et toutes ces luttes, afin de parler d’une seule voix. Quant au choix d’une grève de trois jours, celui-ci est clairement assumé par les syndicats et par l’AG travail social en lutte. « C’est un début pour instaurer un véritable rapport de forces », lance la militante précitée de la CNT au micro.

Tout au long de ces trois jours, les salariés du social et du médico-social mettent en outre en pratique la convergence des luttes. Ceci, en se rendant par exemple au rassemblement des enseignants et parents d’élèves pour les familles à la rue, ce mercredi 17 décembre, devant le département, ou en formant un cortège du travail social à la Marche des solidarités, ce jeudi 18 décembre, au départ de la rue Félix-Poulat.
« Nous sommes tous dans le même bateau »
Preuve des liens étroits tissés entre ces luttes complémentaires, les manifestants ont accueilli dans leurs rangs des AESH, des enseignants ou encore des occupants du siège de la Métropole. Acclamé par la foule, Mohamed Fofana, secrétaire du syndicat CGT des livreurs à vélo, se félicite ainsi de leur mobilisation conjointe avec les travailleurs sociaux. « Nous sommes tous dans le même bateau », assène-t-il, enchaînant avec un plaidoyer « pour la réquisition des logements vacants ». Et appelant à la solidarité avec les quelque « 150 personnes qui dorment dehors, des femmes et des enfants dépourvus de tout accompagnement social ».

Ces familles sans-logis, expulsées, à la rue, ce sont autant de « vies brisées », rappelle un militant de Droit au logement (DAL) prenant la parole. « L’année dernière, ce sont 24 500 ménages qui ont été expulsés de leur foyer par les forces de l’ordre, s’exclame-t-il. C’est à peu près comme si on avait mis dehors toutes les familles de Saint-Martin-d’Hères et de Meylan cumulées. » Des chiffres qui « sous-estiment encore la réalité », les familles expulsables partant souvent avant l’arrivée de la police. Un triste constat qui n’est, de plus, pas sans lien avec la mobilisation du jour. En effet, « le manque de logements et de moyens dans le travail social entrave l’accès aux droits fondamentaux », observe le membre du DAL 38.

Défilant jusqu’à l’hôtel du département, pour pointer la responsabilité de celui-ci concernant les politiques sociales, les manifestants saluent ce tour de chauffe réussi, avant la poursuite de la mobilisation. Avec la ferme conviction de porter une lutte pour le bien commun. Car, comme le proclame l’un des slogans phares de la manifestation, « le social se bat pour tout le monde ».




