Isère. Le département retire sa subvention à un festival programmant Médine
Par Travailleur Alpin
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Guillaume Gontard fustige « une attaque grave contre la liberté d’expression ». Le sénateur de l’Isère fait partie des plus de 300 signataires (structures et festivals indépendants, artistes, professionnels de la culture, personnalités politiques…) de la lettre ouverte adressée par Mix’Arts, le 23 mai, à Jean-Pierre Barbier, président (LR) du département de l’Isère. L’association, organisatrice du festival Bien l’Bourgeon, ne décolère pas, pointant « une remise en cause des libertés de création et de programmation artistiques ». En cause, la décision prise le 25 avril par le conseil départemental de rejeter la demande de subvention du festival, qui se tient — pour la première fois — à Gresse-en-Vercors, du jeudi 29 au samedi 31 mai.
Ce soutien financier de 4 000 euros était pourtant reconduit chaque année jusque-là. Avant d’être remis en cause, pour cette huitième édition, à la suite d’un amendement déposé à la dernière minute par Jean-Pierre Barbier. Une volte-face ciblant ouvertement Médine, l’une des têtes d’affiche de cette cuvée 2025. Le rappeur, connu pour ses positions antiracistes, fait l’objet depuis plusieurs années « de campagnes de l’extrême-droite, qui l’accusent de complicité avec l’islam radical », souligne Guillaume Gontard dans son communiqué.
« Cet amalgame entre la foi musulmane de ce rappeur et son supposé islamisme est totalement infondé. »
Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère
On se souvient notamment de l’intense polémique médiatique ayant accompagné la venue de Médine aux journées d’été d’EELV et de la France insoumise, en 2023. Le tout pour des citations souvent tronquées ainsi que pour des gestes ou propos certes problématiques mais dont l’artiste s’était a posteriori excusé. Pour le sénateur écologiste, « cet amalgame entre la foi musulmane de ce rappeur et son supposé islamisme est totalement infondé ».

« Si tel avait été le cas, imagine-t-on la comédie musicale La Haine, pour laquelle il a réalisé une bande originale, être nominée aux Molières cette année, cérémonie présidée par la ministre de la Culture ? », poursuit Guillaume Gontard. D’autres ne manquent pas de rappeler la participation de Médine à la fête du Travailleur alpin 2019, à Fontaine. Avec un concert remarqué et un joli succès à la clé.
La précision n’est pas apportée par hasard. Car si la levée de boucliers de la droite envers sa présence sur scène n’étonnera personne, le détail des votes est, lui, beaucoup plus surprenant. L’amendement a en effet été approuvé par la quasi-totalité des élus départementaux, y compris par l’opposition de gauche — à l’exception de Pierre-Didier Tchétché (Génération.s). Certains, comme les élus du groupe Isère écologie solidarités (IES), ont depuis exprimé des regrets, sans pouvoir pour autant changer leur vote. Au sein du groupe Union de la gauche écologiste solidaire (UGES) — qui réunit des élus PS, PCF, L’Après et divers gauche -, les positions sont en revanche un peu plus hétérogènes.
Un amendement déposé « par surprise »
Les élus communistes Amandine Demore et David Queiros étaient ainsi plutôt favorables à l’abstention. Mais tous deux auraient été victimes à la fois du contexte et d’une forme de « manipulation », suggère un représentant de la fédération du PCF de l’Isère. « Jean-Pierre Barbier a balancé l’amendement par surprise, ils avaient à peine une demi-heure pour voter », explique-t-il. Or, pour la maire d’Échirolles comme pour son homologue de Saint-Martin-d’Hères, « le rap est un univers totalement non maîtrisé. Ce n’est pas leur monde. Et vu qu’il y a déjà eu des dérapages dans le rap, ça leur a semblé crédible. »
Selon le militant communiste, Amandine Demore et David Queiros auraient péché par naïveté, en étant dupés en interne. « Ce sont les socialistes qui ont mené la danse en sortant les éléments du contexte », accuse-t-il. Ce qui pose de fait question puisque « le fonctionnement du groupe unique repose sur la confiance ».

Un autre point interroge : pourquoi les élus ne se sont pas méfiés ? « Si l’extrême droite avait proposé cet amendement, la méfiance aurait été de mise. On doit en tirer une leçon en étant aussi sur nos gardes avec la droite républicaine : entre Retailleau, l’histoire de la fresque à Sassenage ou cette affaire, on a des cas d’école de post-vérité. »
« Une manipulation électoraliste » venue de la droite
De fait, c’est bien des rangs de la droite que tout serait parti. D’après différentes sources, celui qui tire les ficelles serait ainsi un attaché parlementaire de la sénatrice LR Frédérique Puissat. Après la démission de l’ancien maire de Gresse-en-Vercors, Frédéric Froment est devenu premier adjoint aux finances, à la faveur de l’élection municipale partielle organisée en mars dernier. Dans son viseur, les municipales 2026, croit savoir la fédération communiste, qui dénonce « une manipulation électoraliste pour ‘cliver’ la commune de Gresse-en-Vercors sur un positionnement très à droite ».
De son côté, Mix’Arts déplore « un coup dur » qui pénalise un territoire et ses habitants, et regrette l’absence de réponse du président du département à ses sollicitations. L’association ne cache pas son inquiétude : « Nous remarquons, depuis quelques années, de nombreuses pressions politiques et médiatiques pour interdire des programmations, des artistes, des diversités d’expressions et d’opinions. Pour nous, acteurs culturels, ce phénomène pernicieux fait craindre la fin de la liberté d’expression qui est le socle de notre société démocratique. »