Vencorex : sursis de six mois et offre de reprise en coopérative de la CGT
Par Manuel Pavard
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Pas de victoire définitive mais un nouveau sursis bienvenu et donc un vrai ouf de soulagement pour les salariés de Vencorex, sur la plateforme chimique de Pont-de-Claix. Le tribunal de commerce de Lyon a décidé, ce jeudi 6 mars, de prolonger de six mois la période d’observation de l’entreprise, placée en redressement judiciaire en septembre dernier. Une audience intermédiaire a toutefois été fixée au 3 avril prochain.
Depuis de longues semaines, cette date du 6 mars était imprimée dans les pensées et discours des acteurs du dossier Vencorex. Beaucoup craignaient en effet de voir les juges entériner la fin de la période d’observation, puis annoncer la liquidation judiciaire de l’entreprise. Un scénario qui a longtemps tenu la corde avec, à la clé, plus de 400 emplois directs supprimés — BorsodChem, filiale du groupe chinois Wanhua, ne prévoyant de conserver que 54 des 460 salariés du site isérois dans son offre de reprise partielle. Mais entre-temps, un « probable desserrement du calendrier du tribunal » a été évoqué lors d’une visioconférence entre le cabinet du Premier ministre François Bayrou et des élus locaux, le 27 février.

De fait, de l’intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC) à la direction de Vencorex, en passant par l’administrateur judiciaire, les collectivités territoriales concernées et le repreneur déclaré, tous souhaitaient unanimement cette prolongation et l’ont demandée au tribunal. Une requête similaire mais obéissant à des motifs différents, selon les parties. Pour BorsodChem, il s’agissait ainsi de bénéficier d’un laps de temps supplémentaire afin de préparer la sauvegarde de l’atelier de tolonates (composants pour les vernis et peintures).
Un modèle impliquant salariés, industriels et collectivités
De son côté, la CGT espérait obtenir un sursis pour pouvoir soumettre officiellement au juge sa proposition de reprise alternative. La FNIC-CGT a en effet concocté un projet de création de société coopérative, présenté lors de l’audience. Une SCIC qui permettrait, selon elle, « la poursuite de l’activité de Vencorex sur le territoire ». Le tout en « maintenant les empois directs et indirects induits » mais également « les actifs stratégiques dans le giron national, indispensables à la souveraineté industrielle et stratégique de la France sur la défense, l’aérospatiale, le nucléaire », explique le syndicat.
Celui-ci expose les points forts d’une SCIC. D’abord « un modèle associatif et collaboratif, qui permet d’impliquer salariés, bénéficiaires et acteurs économiques locaux dans la gouvernance » .Ensuite, la « participation des collectivités », qui peuvent « détenir jusqu’à 50 % du capital ». Enfin, la « pérennité du projet ». Car « 57,5 % des bénéfices sont réinvestis sous forme de réserves impartageables pour assurer la viabilité et le développement de l’entreprise », précise la CGT.

Différents acteurs potentiels ont été identifiés pour intégrer cette SCIC. Parmi eux, un collège de salariés, le syndicat porteur, les pouvoirs publics et collectivités (Métropole de Grenoble, municipalités de Pont-de-Claix et Jarrie, Région Auvergne-Rhône-Alpes, État). Sans oublier les « bénéficiaires à définir », comme les autres industriels de la plateforme chimique de Pont-de-Claix (Suez, Solvay, Seqens, Feralco), les sous-traitants du site, les sociétés de la plateforme de Jarrie (Arkema, Framatome, Air Liquide, RSA…), des « clients stratégiques européens » ainsi que l’entreprise « Elkem Silicones, qui est fournie en chlorure de méthyle par Arkema Jarrie et qui dépend en amont du sel de Pont-de-Claix ».
Dans le scénario proposé pour la composition de la coopérative, les voix délibératives seraient réparties de la sorte : 10 % pour les salariés, 40 % pour l’État et les collectivités, 40 % pour les bénéficiaires (clients et fournisseurs) et 10 % pour les autres (dont les organisations syndicales). La FNIC-CGT rappelle en outre les grands principes d’une SCIC, à savoir l’impératif de « décider ensemble », personne n’étant majoritaire tout seul, et la possibilité de « dissocier l’apport en capital et droit de vote ».
La SCIC, un « projet crédible » et viable
Le syndicat insiste sur l’importance et les multiples atouts de Vencorex : « Le sel extrait par Vencorex à Hauterives et purifié à Pont-de-Claix est un élément fondamental pour plusieurs secteurs industriels stratégiques. » Cela concerne l’aérospatial (les fusées Ariane 6) et la défense (les missiles stratégiques M51), via Arkema ; le nucléaire, avec les éponges de zirconium de Framatome, utilisées dans les réacteurs ; le traitement de l’eau, l’acide chlorhydrique de Vencorex permettant « la production de chlorure ferrique, indispensable au traitement de l’eau potable pour 130 millions de personnes en Europe ».

L’effet domino d’une disparition de Vencorex s’étendrait par ailleurs à toute la filière chimique du Sud-Isère, « mettant en péril 5 000 emplois et affaiblissant un secteur déjà fragilisé », souligne la CGT. Laquelle avertit aussi des conséquences environnementales d’un arrêt brutal de l’exploitation du sel de Hauterives, dans la Drôme. Cela risquerait alors de « provoquer des bouleversements géologiques et transformer la plateforme de Pont-de-Claix en friche industrielle polluée ».
La SCIC est surtout un « projet crédible », selon la FNIC-CGT, qui met en avant sa viabilité industrielle, territoriale, économique et juridique. « Il y a un marché et des débouchés, des installations (avec un besoin de rénovation pour certaines), des salariés avec des compétences et des savoir-faire, un écosystème industriel, un territoire et des travailleurs qui souhaitent le maintien de l’activité », assure-t-elle ainsi.
La CGT déposera une offre « prête » pour l’audience du 3 avril
Le tribunal de commerce a d’ailleurs qualifié cette proposition de reprise de seule offre réellement viable actuellement. À ce stade, celle de BorsodChem est en effet jugée incomplète et doit encore être finalisée sur un certain nombre de points, à en croire la juridiction. L’audience intermédiaire du 3 avril permettra déjà d’y voir un peu plus clair.

Après avoir fait part au tribunal de son intention ce jeudi 6 mars, la CGT va ainsi profiter de cette période pour enclencher la second phase de son projet et examiner les données techniques et financières de l’entreprise. « Nous avons pour objectif de déposer une offre qui soit prête ou suffisamment proche d’être réalisable pour le 3 avril », a indiqué Séverine Dejoux, élue CGT au CSE, à la sortie de l’audience. D’après la représentante syndicale, trois collectivités ont déjà apporté leur soutien officiel tandis que plusieurs industriels ont été contactés.
« Ce mode de portage est intéressant car on porte les risques et les bénéfices à plusieurs », a‑t-elle ajouté. « L’ensemble des partenaires sont donc intéressés à faire fonctionner l’activité et contrairement à un industriel qui reprendrait tout seul, on ne cherche pas forcément à faire des bénéfices et à verser des dividendes aux actionnaires, mais à pérenniser une activité. » Pour Séverine Dejoux, devant « l’inaction du gouvernement », qui a refusé la nationalisation temporaire, « les salariés ont pris leurs responsabilités ».
« La CGT, contrairement au gouvernement, sait prendre ses responsabilités. »
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT
Également présente à Lyon, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet a relié la proposition de reprise de Vencorex à d’autres combats similaires menés par le syndicat : « Vous buvez peut-être du thé 1336… Comme les 1336 jours de grève qui ont permis aux salariés et à la CGT de Lipton, à l’époque, de reprendre leur usine et de produire leur thé eux-mêmes. Dix ans après cette reprise, la Scop tourne toujours et produit un thé excellent. »

Sophie Binet a ainsi promis que la confédération pèserait « de tout son poids » pour soutenir le projet porté par le syndicat de Vencorex et par la FNIC-CGT, aux côtés des salariés en lutte. « Car la CGT, contrairement au gouvernement, sait prendre ses responsabilités », selon la responsable syndicale.
Celle-ci n’a pas manqué non plus de tacler l’exécutif et les propos, la veille au soir, d’Emmanuel Macron expliquant « qu’on rentrait en économie de guerre et qu’on n’allait plus pouvoir financer notre système social car il fallait mettre le paquet sur l’armement ». Ce même gouvernement qui, selon Sophie Binet, « laisse fermer une industrie stratégique, du point de vue industriel mais aussi de la souveraineté, et n’est pas capable de mettre en place une nationalisation temporaire pourtant indispensable ».