Vencorex : sursis de six mois et offre de reprise en coopérative de la CGT

Par Manuel Pavard

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Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, à la sortie du tribunal, entourée de Séverine Dejoux, élue CGT au CSE de Vencorex, Serge Allègre, secrétaire général de la FNIC-CGT, et Sandrine Nosbé, députée de l'Isère. © Mick Jagger
Le tribunal de commerce de Lyon a prolongé de six mois, ce jeudi 6 mars, la période d'observation de Vencorex. Une audience qui a vu la Fédération nationale des industries chimiques CGT (FNIC-CGT) présenter son projet de reprise via une société coopérative à intérêt collectif (SCIC). Portée par le syndicat et les salariés, avec le soutien de plusieurs collectivités territoriales, l'offre sera affinée en vue de l'audience intermédiaire prévue le 3 avril.

Pas de vic­toire défi­ni­tive mais un nou­veau sur­sis bien­ve­nu et donc un vrai ouf de sou­la­ge­ment pour les sala­riés de Ven­co­rex, sur la pla­te­forme chi­mique de Pont-de-Claix. Le tri­bu­nal de com­merce de Lyon a déci­dé, ce jeu­di 6 mars, de pro­lon­ger de six mois la période d’ob­ser­va­tion de l’en­tre­prise, pla­cée en redres­se­ment judi­ciaire en sep­tembre der­nier. Une audience inter­mé­diaire a tou­te­fois été fixée au 3 avril pro­chain.

Depuis de longues semaines, cette date du 6 mars était impri­mée dans les pen­sées et dis­cours des acteurs du dos­sier Ven­co­rex. Beau­coup crai­gnaient en effet de voir les juges enté­ri­ner la fin de la période d’ob­ser­va­tion, puis annon­cer la liqui­da­tion judi­ciaire de l’en­tre­prise. Un scé­na­rio qui a long­temps tenu la corde avec, à la clé, plus de 400 emplois directs sup­pri­més — Bor­sod­Chem, filiale du groupe chi­nois Wan­hua, ne pré­voyant de conser­ver que 54 des 460 sala­riés du site isé­rois dans son offre de reprise par­tielle. Mais entre-temps, un « pro­bable des­ser­re­ment du calen­drier du tri­bu­nal » a été évo­qué lors d’une visio­con­fé­rence entre le cabi­net du Pre­mier ministre Fran­çois Bay­rou et des élus locaux, le 27 février.

La CGT et les sala­riés portent un pro­jet pour sau­ver l’ac­ti­vi­té de Ven­co­rex et l’en­semble des emplois directs et indi­rects.

De fait, de l’in­ter­syn­di­cale (CGT, CFDT, CFE-CGC) à la direc­tion de Ven­co­rex, en pas­sant par l’ad­mi­nis­tra­teur judi­ciaire, les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales concer­nées et le repre­neur décla­ré, tous sou­hai­taient una­ni­me­ment cette pro­lon­ga­tion et l’ont deman­dée au tri­bu­nal. Une requête simi­laire mais obéis­sant à des motifs dif­fé­rents, selon les par­ties. Pour Bor­sod­Chem, il s’a­gis­sait ain­si de béné­fi­cier d’un laps de temps sup­plé­men­taire afin de pré­pa­rer la sau­ve­garde de l’a­te­lier de tolo­nates (com­po­sants pour les ver­nis et pein­tures).

Un modèle impliquant salariés, industriels et collectivités

De son côté, la CGT espé­rait obte­nir un sur­sis pour pou­voir sou­mettre offi­ciel­le­ment au juge sa pro­po­si­tion de reprise alter­na­tive. La FNIC-CGT a en effet concoc­té un pro­jet de créa­tion de socié­té coopé­ra­tive, pré­sen­té lors de l’au­dience. Une SCIC qui per­met­trait, selon elle, « la pour­suite de l’ac­ti­vi­té de Ven­co­rex sur le ter­ri­toire ». Le tout en « main­te­nant les empois directs et indi­rects induits » mais éga­le­ment « les actifs stra­té­giques dans le giron natio­nal, indis­pen­sables à la sou­ve­rai­ne­té indus­trielle et stra­té­gique de la France sur la défense, l’aérospatiale, le nucléaire », explique le syn­di­cat.

Celui-ci expose les points forts d’une SCIC. D’a­bord « un modèle asso­cia­tif et col­la­bo­ra­tif, qui per­met d’im­pli­quer sala­riés, béné­fi­ciaires et acteurs éco­no­miques locaux dans la gou­ver­nance » .Ensuite, la « par­ti­ci­pa­tion des col­lec­ti­vi­tés », qui peuvent « déte­nir jusqu’à 50 % du capi­tal ». Enfin, la « péren­ni­té du pro­jet ». Car « 57,5 % des béné­fices sont réin­ves­tis sous forme de réserves impar­ta­geables pour assu­rer la via­bi­li­té et le déve­lop­pe­ment de l’entreprise », pré­cise la CGT.

Les sala­riés de Ven­co­rex ont mani­fes­té à plu­sieurs reprises à Pont-de-Claix depuis le pla­ce­ment en redres­se­ment judi­ciaire.

Dif­fé­rents acteurs poten­tiels ont été iden­ti­fiés pour inté­grer cette SCIC. Par­mi eux, un col­lège de sala­riés, le syn­di­cat por­teur, les pou­voirs publics et col­lec­ti­vi­tés (Métro­pole de Gre­noble, muni­ci­pa­li­tés de Pont-de-Claix et Jar­rie, Région Auvergne-Rhône-Alpes, État). Sans oublier les « béné­fi­ciaires à défi­nir », comme les autres indus­triels de la pla­te­forme chi­mique de Pont-de-Claix (Suez, Sol­vay, Seqens, Feral­co), les sous-trai­tants du site, les socié­tés de la pla­te­forme de Jar­rie (Arke­ma, Fra­ma­tome, Air Liquide, RSA…), des « clients stra­té­giques euro­péens » ain­si que l’en­tre­prise « Elkem Sili­cones, qui est four­nie en chlo­rure de méthyle par Arke­ma Jar­rie et qui dépend en amont du sel de Pont-de-Claix ».

Dans le scé­na­rio pro­po­sé pour la com­po­si­tion de la coopé­ra­tive, les voix déli­bé­ra­tives seraient répar­ties de la sorte : 10 % pour les sala­riés, 40 % pour l’É­tat et les col­lec­ti­vi­tés, 40 % pour les béné­fi­ciaires (clients et four­nis­seurs) et 10 % pour les autres (dont les orga­ni­sa­tions syn­di­cales). La FNIC-CGT rap­pelle en outre les grands prin­cipes d’une SCIC, à savoir l’im­pé­ra­tif de « déci­der ensemble », per­sonne n’é­tant majo­ri­taire tout seul, et la pos­si­bi­li­té de « dis­so­cier l’ap­port en capi­tal et droit de vote ».

La SCIC, un « projet crédible » et viable

Le syn­di­cat insiste sur l’im­por­tance et les mul­tiples atouts de Ven­co­rex : « Le sel extrait par Ven­co­rex à Hau­te­rives et puri­fié à Pont-de-Claix est un élé­ment fon­da­men­tal pour plu­sieurs sec­teurs indus­triels stra­té­giques. » Cela concerne l’aé­ro­spa­tial (les fusées Ariane 6) et la défense (les mis­siles stra­té­giques M51), via Arke­ma ; le nucléaire, avec les éponges de zir­co­nium de Fra­ma­tome, uti­li­sées dans les réac­teurs ; le trai­te­ment de l’eau, l’a­cide chlor­hy­drique de Ven­co­rex per­met­tant « la pro­duc­tion de chlo­rure fer­rique, indis­pen­sable au trai­te­ment de l’eau potable pour 130 mil­lions de per­sonnes en Europe ».

Une fer­me­ture de Ven­co­rex aurait un impact sur toute la filière, notam­ment sur Arke­ma Jar­rie où les sala­riés sont en grève contre la déci­sion de fer­mer la par­tie sud de l’u­sine.

L’ef­fet domi­no d’une dis­pa­ri­tion de Ven­co­rex s’é­ten­drait par ailleurs à toute la filière chi­mique du Sud-Isère, « met­tant en péril 5 000 emplois et affai­blis­sant un sec­teur déjà fra­gi­li­sé », sou­ligne la CGT. Laquelle aver­tit aus­si des consé­quences envi­ron­ne­men­tales d’un arrêt bru­tal de l’ex­ploi­ta­tion du sel de Hau­te­rives, dans la Drôme. Cela ris­que­rait alors de « pro­vo­quer des bou­le­ver­se­ments géo­lo­giques et trans­for­mer la pla­te­forme de Pont-de-Claix en friche indus­trielle pol­luée ».

La SCIC est sur­tout un « pro­jet cré­dible », selon la FNIC-CGT, qui met en avant sa via­bi­li­té indus­trielle, ter­ri­to­riale, éco­no­mique et juri­dique. « Il y a un mar­ché et des débou­chés, des ins­tal­la­tions (avec un besoin de réno­va­tion pour cer­taines), des sala­riés avec des com­pé­tences et des savoir-faire, un éco­sys­tème indus­triel, un ter­ri­toire et des tra­vailleurs qui sou­haitent le main­tien de l’activité », assure-t-elle ain­si.

La CGT déposera une offre « prête » pour l’audience du 3 avril

Le tri­bu­nal de com­merce a d’ailleurs qua­li­fié cette pro­po­si­tion de reprise de seule offre réel­le­ment viable actuel­le­ment. À ce stade, celle de Bor­sod­Chem est en effet jugée incom­plète et doit encore être fina­li­sée sur un cer­tain nombre de points, à en croire la juri­dic­tion. L’au­dience inter­mé­diaire du 3 avril per­met­tra déjà d’y voir un peu plus clair.

Séve­rine Dejoux, élue CGT au CSE de Ven­co­rex, aux côtés de ses cama­rades Denis Car­ré et Serge Allègre.

Après avoir fait part au tri­bu­nal de son inten­tion ce jeu­di 6 mars, la CGT va ain­si pro­fi­ter de cette période pour enclen­cher la second phase de son pro­jet et exa­mi­ner les don­nées tech­niques et finan­cières de l’en­tre­prise. « Nous avons pour objec­tif de dépo­ser une offre qui soit prête ou suf­fi­sam­ment proche d’être réa­li­sable pour le 3 avril », a indi­qué Séve­rine Dejoux, élue CGT au CSE, à la sor­tie de l’au­dience. D’a­près la repré­sen­tante syn­di­cale, trois col­lec­ti­vi­tés ont déjà appor­té leur sou­tien offi­ciel tan­dis que plu­sieurs indus­triels ont été contac­tés.

« Ce mode de por­tage est inté­res­sant car on porte les risques et les béné­fices à plu­sieurs », a‑t-elle ajou­té. « L’en­semble des par­te­naires sont donc inté­res­sés à faire fonc­tion­ner l’ac­ti­vi­té et contrai­re­ment à un indus­triel qui repren­drait tout seul, on ne cherche pas for­cé­ment à faire des béné­fices et à ver­ser des divi­dendes aux action­naires, mais à péren­ni­ser une acti­vi­té. » Pour Séve­rine Dejoux, devant « l’i­nac­tion du gou­ver­ne­ment », qui a refu­sé la natio­na­li­sa­tion tem­po­raire, « les sala­riés ont pris leurs res­pon­sa­bi­li­tés ».

« La CGT, contrai­re­ment au gou­ver­ne­ment, sait prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés. »

Sophie Binet, secré­taire géné­rale de la CGT

Éga­le­ment pré­sente à Lyon, la secré­taire géné­rale de la CGT Sophie Binet a relié la pro­po­si­tion de reprise de Ven­co­rex à d’autres com­bats simi­laires menés par le syn­di­cat : « Vous buvez peut-être du thé 1336… Comme les 1336 jours de grève qui ont per­mis aux sala­riés et à la CGT de Lip­ton, à l’é­poque, de reprendre leur usine et de pro­duire leur thé eux-mêmes. Dix ans après cette reprise, la Scop tourne tou­jours et pro­duit un thé excellent. »

La secré­taire géné­rale de la CGT Sophie Binet était déjà venue sou­te­nir les sala­riés de Ven­co­rex en novembre 2024.

Sophie Binet a ain­si pro­mis que la confé­dé­ra­tion pèse­rait « de tout son poids » pour sou­te­nir le pro­jet por­té par le syn­di­cat de Ven­co­rex et par la FNIC-CGT, aux côtés des sala­riés en lutte. « Car la CGT, contrai­re­ment au gou­ver­ne­ment, sait prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés », selon la res­pon­sable syn­di­cale.

Celle-ci n’a pas man­qué non plus de tacler l’exé­cu­tif et les pro­pos, la veille au soir, d’Em­ma­nuel Macron expli­quant « qu’on ren­trait en éco­no­mie de guerre et qu’on n’al­lait plus pou­voir finan­cer notre sys­tème social car il fal­lait mettre le paquet sur l’ar­me­ment ». Ce même gou­ver­ne­ment qui, selon Sophie Binet, « laisse fer­mer une indus­trie stra­té­gique, du point de vue indus­triel mais aus­si de la sou­ve­rai­ne­té, et n’est pas capable de mettre en place une natio­na­li­sa­tion tem­po­raire pour­tant indis­pen­sable ».

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