MC2 — Grenoble – Maldonne de Leïla Ka. Danse avec les robes !

Par Régine Hausermann

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© Nora Houguenade
Jeudi 28 novembre 2024 – Les nouveaux sièges de la salle Rizzardo se remplissent pour le premier spectacle de groupe de la jeune chorégraphe Leïla Ka qui a fait ses classes chez Maguy Marin avec May B notamment. Avec « Maldonne », elle signifie que les cartes ont été mal distribuées entre les hommes et les femmes et que règnent des inégalités insupportables. Pour cela, elle a choisi la robe comme étendard, la robe de ménagère ou la robe coquine, la robe qui sert à balayer le sol ou la robe qui sert d’étendard. La chorégraphie surprend, commence a minima pour laisser exploser la révolte. Bravo !

Le rideau s’ouvre sur cinq femmes en robes fluides à fleurs, ali­gnées face au public, silen­cieuses, immo­biles, visages fer­més. Elles s’animent de gestes sac­ca­dés por­tés à leur visage, à leur corps. Vio­lences qu’elles s’infligent ou mime de vio­lences infli­gées ? Seuls sons : leurs halè­te­ments. Les mou­ve­ments sont mesu­rés, comme entra­vés. Cette entame met presque mal à l’aise.

Après un pas­sage au noir, les cinq dan­seuses repa­raissent avec d’autres robes, à domi­nante dorées, plus élé­gantes. Elles frappent le pla­teau de leurs pieds au rythme d’un rou­le­ment de basse puis­sant. Finie l’immobilité, place à l’action, à la déter­mi­na­tion, à l’affirmation de soi. Plus tard, leur rage s’exprime à tra­vers l’utilisation de pans de leurs robes comme ser­pillières essuyant le sol. La libé­ra­tion n’est pas ins­tan­ta­née, les tâches attri­buées aux femmes conti­nuent à leur col­ler à la peau.

Après un autre pas­sage au noir, elles appa­raissent regrou­pées sur le devant de la scène, coquines, sou­riantes, agui­cheuses. Autre sté­réo­type fémi­nin, après la ména­gère, la putain. Mais ce jeu ne dure pas. De nou­veau ali­gnées face à nous, elles entonnent à plein pou­mons, la chan­son de Serge Lama, « Je suis malade / Com­plè­te­ment malade ». Enfin, elles semblent enton­ner, quand c’est la voix de Lara Fabian qui inter­prète l’impuissance, la colère, l’infantilisation par ces femmes à cause de l’homme qui les humi­lie :

T’ar­rives on ne sait jamais quand
Tu pars on ne sait jamais où
Et ça va faire bien­tôt deux ans
Que tu t’en fous
 
Mais elles pro­noncent les paroles avec un tel enga­ge­ment, une telle tor­sion de leurs corps, qu’on croi­rait qu’elles chantent vrai­ment.


© Nora Hou­gue­nade

Plus tard encore, ren­trées avec d’autres robes colo­rées lais­sant dépas­ser un jupon, elles tirent leurs robes sur leurs têtes pour en faire une sorte de bur­qa qui les empri­sonnent, avant de se libé­rer et de pendre les objets de leur oppres­sion à des cro­chets des­cen­dus des cintres. Elles entament alors, avec leurs seules robes gitanes noires, une danse éche­ve­lée qui en laissent deux épui­sées sur le sol.

Dans le der­nier tableau, elles rentrent avec plu­sieurs robes pas­sées l’une sur l’autre dont elles se dépouillent pro­gres­si­ve­ment pour finir en com­bi­nai­sons blanches, agi­tant leurs robes au-des­sus d’elles, comme les tro­phées de leur éman­ci­pa­tion enfin gagnée.

Lors de la créa­tion de la pièce à La Garance, scène natio­nale de Cavaillon, Leï­la Ka expli­quait l’origine et l’usage de ces robes : « Nous por­tons une tren­taine de robes dans la pièce, que j’ai dégo­tées en fri­pe­rie. Elles sont toutes dif­fé­rentes, too much cha­cune dans leur style, trop grandes, sou­vent datées… et ren­voient à des sté­réo­types fémi­nins. En revê­tant ces habits, on rentre à chaque fois dans la peau d’une nou­velle femme, qui affecte nos façons de dan­ser. Mais à l’inverse, on trans­forme aus­si les cli­chés véhi­cu­lés par le cos­tume. »

De fait, la pièce met en scène les divers sen­ti­ments qui peuvent tra­ver­ser les femmes : la tris­tesse, la dépen­dance, la colère, la rage, l’insolence, le désir de liber­té, la révolte. Il ne suf­fit pas de cla­quer dans les doigts pour se libé­rer, c’est une prise de conscience et c’est un com­bat. Un com­bat col­lec­tif, soli­daire. Ce que ces cinq femmes mani­festent avec panache.


© Nora Hou­gue­nade

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