Échirolles. La ville va évacuer l’immeuble Le Carrare, point de deal majeur, mais « aucun habitant ne sera à la rue », promet la maire

Par Manuel Pavard

/

Image principale
Situé avenue du 8 mai 1945, à Échirolles, entre La Rampe et l’Institut de la communication et des médias (ICM), Le Carrare est devenu un important point de deal, théâtre de plusieurs fusillades durant l’été 2024.

La maire d’Échirolles a pris ce mardi 24 septembre deux arrêtés déclarant « temporairement inhabitable » l’immeuble Le Carrare. Selon les expertises, ses résidents sont en effet exposés à un « danger de mort permanent ». La conséquence notamment des dégradations liées au trafic de stupéfiants dans cet important point de deal, théâtre de plusieurs fusillades depuis le début de l’été. Les habitants ont désormais trois jours pour évacuer les lieux, avant la fermeture, ce vendredi, pour trois semaines. Mais tous seront relogés, promet Amandine Demore.

Les intrus, d’au­tant plus lors­qu’ils sont jour­na­listes, sont rare­ment les bien­ve­nus aux abords d’un point de deal. Mais ce mar­di 24 sep­tembre au matin, la ten­sion était encore plus pal­pable que d’ha­bi­tude devant Le Car­rare, sur l’a­ve­nue du 8 mai 1945, à Échi­rolles. « Les dea­lers com­mencent à com­prendre que ce sera une fer­me­ture durable », explique Gilles Bona­ven­tu­ra, chef de la police muni­ci­pale. La nou­velle s’est en effet répan­due comme une traî­née de poudre : la maire PCF Aman­dine Demore a signé des arrê­tés de mise en sécu­ri­té et d’é­va­cua­tion du Car­rare, qui déclarent « tem­po­rai­re­ment inha­bi­table » l’im­meuble, indique la ville dans un com­mu­ni­qué. Une déci­sion aus­si radi­cale qu’i­né­dite.
Amandine

Aman­dine Demore mon­trant les deux arrê­tés signés le matin même.

L’é­dile a appor­té quelques pré­ci­sions devant la presse, ce mar­di après-midi, à l’hô­tel de ville. « J’ai pris ce matin deux arrê­tés de fer­me­ture pour Le Car­rare, l’un concer­nant la par­tie habi­ta­tion, l’autre le par­king, car j’ai reçu hier le rap­port d’un expert man­da­té », raconte-t-elle. Des exper­tises aux conclu­sions sans appel. Les habi­tants sont ain­si « expo­sés à un “dan­ger de mort per­ma­nent”, lié aux dégra­da­tions sur les ins­tal­la­tions élec­triques », pour­suit Aman­dine Demore. « Je n’a­vais donc d’autre choix que de faire fer­mer ce bâti­ment pour des rai­sons de sécu­ri­té. »

« Per­sonne ne sera à la rue »

La maire évoque un rap­port « édi­fiant sur les dys­fonc­tion­ne­ments de cet immeuble », autant en matière de risque élec­trique que de sécu­ri­té incen­die, avec « des tableaux élec­triques conti­nuel­le­ment cas­sés par les dea­lers, des fils qui sont à nu ». À l’is­sue d’un pré­cé­dent rap­port ren­du à l’au­tomne 2023, elle avait déjà pris « un arrê­té obli­geant les pro­prié­taires à faire les tra­vaux ». Plu­sieurs mois ont pas­sé depuis mais « le bâti­ment est tou­jours dans un état déplo­rable », constate l’é­lue com­mu­niste. « C’est de ma res­pon­sa­bi­li­té de pro­té­ger les habi­tantes et habi­tants de cet immeuble. »

Aman­dine Demore tient tou­te­fois à sou­li­gner la prin­ci­pale cause de cette situa­tion : « Toutes ces dégra­da­tions sont en lien avec le tra­fic de drogue. » Lequel « pour­rit la vie des rési­dents et des rive­rains depuis plu­sieurs années », rap­pelle la muni­ci­pa­li­té. De fait, Le Car­rare s’est impo­sé comme un impor­tant point de deal de l’ag­glo­mé­ra­tion — avec un chiffre d’af­faires quo­ti­dien esti­mé entre 10 et 15 000 euros -, subis­sant de plein fouet la « guerre des gangs » qui sévit sur le ter­ri­toire en 2024. Plu­sieurs fusillades ont ain­si été recen­sées sur les lieux depuis la fin juillet. Le tout en plein centre-ville d’É­chi­rolles, entre la salle de spec­tacles La Rampe et l’é­cole de jour­na­lisme, l’Ins­ti­tut de la com­mu­ni­ca­tion et des médias (ICM).

Le

Le Car­rare, un point de deal en plein centre d’É­chi­rolles, à deux pas de la mai­rie et du com­mis­sa­riat.

Il deve­nait donc, affirme la maire, « impé­ra­tif de fer­mer pro­vi­soi­re­ment, pour une durée de trois semaines, afin que les tra­vaux puissent se faire et que les habi­tants puissent retrou­ver un lieu digne pour vivre ». Concrè­te­ment, ces der­niers doivent éva­cuer les lieux dans un délai de trois jours, à comp­ter de la signa­ture des arrê­tés, la date limite étant fixée au ven­dre­di 27 sep­tembre, à 9h. Une ques­tion brûle cepen­dant toutes les lèvres : les rési­dents du Car­rare seront-ils tous relo­gés durant les trois semaines de tra­vaux ? Les rares per­sonnes ayant accep­té de s’ex­pri­mer, ce mar­di, en sor­tant du bâti­ment, ne cachaient d’ailleurs pas leur inquié­tude, par­ta­geant la même inter­ro­ga­tion. « Que va-t-on deve­nir ? Il paraît que la mai­rie va nous trou­ver un loge­ment mais est-ce qu’on aura tous un appart cor­rect avant ven­dre­di ? », lance ain­si un couple sou­hai­tant res­ter ano­nyme. « Il y en a qui ont de la famille ou des amis pour les aider mais pas nous », ajoute le jeune homme. Sa com­pagne concède quant à elle qu’il « fal­lait bien faire quelque chose ». Mais un élé­ment l’in­ter­pelle : « Pour­quoi c’est à nous qu’on demande de par­tir ? On n’est pas res­pon­sables », s’in­surge-t-elle, avant de s’in­ter­rompre face aux regards inqui­si­teurs de dea­lers aux aguets. Sur ce point néan­moins, Aman­dine Demore se veut à la fois ras­su­rante et caté­go­rique : « Le sujet qui me tenait à cœur avant de signer ces arrê­tés, c’est que les habi­tants ne se trouvent pas sans solu­tion. Nor­ma­le­ment, c’est au pro­prié­taire d’as­su­rer le relo­ge­ment dans ce cas, mais nous allons les accom­pa­gner avec le CCAS, en lien avec les ser­vices de la pré­fec­ture. Per­sonne ne sera à la rue ! », pro­met-elle.
Amandine

Aman­dine Demore, maire d’E­chi­rolles, s’est expri­mée à l’hô­tel de ville pour pré­sen­ter l’ob­jec­tif de ces arrê­tés.

De com­bien de per­sonnes s’a­git-il ? Dif­fi­cile à dire, même pour la mai­rie. Offi­ciel­le­ment, Le Car­rare compte 80 loge­ments, des stu­dios et petits appar­te­ments type T1 ou T2. Mais tous ne sont pas occu­pés, loin de là. Cer­tains sont squat­tés, d’autres ont même été tota­le­ment condam­nés par leurs pro­prié­taires, avec des portes blin­dées, pour évi­ter les intru­sions. L’é­va­lua­tion est très com­pli­quée « vu le niveau de dégra­da­tion qu’on a dans cet immeuble », confirme la maire d’É­chi­rolles, qui a deman­dé aux ser­vices sociaux de la ville un état des lieux défi­ni­tif. Offi­cieu­se­ment, cer­taines sources estiment que moins de la moi­tié des appar­te­ments sont habi­tés léga­le­ment par des loca­taires. Évi­ter le retour du point de deal après les tra­vaux Si des loca­taires sont inquiets, c’est éga­le­ment le cas des copro­prié­taires, dont le syn­dic devait se réunir en fin d’a­près-midi, en pré­sence de repré­sen­tants de Fon­cia et de la muni­ci­pa­li­té. L’un d’eux, ren­con­tré ce mar­di midi devant Le Car­rare, avait ain­si bien du mal à ava­ler la pilule : « On nous pré­vient par un simple mail, sans aucune expli­ca­tion. Regar­dez, ça, ce sont les 70 mes­sages qu’on a déjà échan­gés sur notre groupe What­sApp de la copro­prié­té depuis ce matin », nous montre-t-il, en dési­gnant l’é­cran de son smart­phone. Outre la nature des tra­vaux à effec­tuer, un point pré­oc­cupe par­ti­cu­liè­re­ment l’É­chi­rol­lois : « Moi, comme les autres, on demande d’a­bord une chose à la mai­rie : est-ce qu’on va nous indem­ni­ser ? » « Je leur réponds que je dois prendre mes res­pon­sa­bi­li­tés en tant que maire », rétorque Aman­dine Demore. « S’il s’é­tait pas­sé quoi que ce soit ici — une élec­tro­cu­tion ou autre -, c’est moi qui aurais été res­pon­sable. Je suis déso­lée pour eux mais l’im­meuble s’est dégra­dé depuis une dizaine d’an­nées et on leur avait fait une série de pré­co­ni­sa­tions il y a quelque temps… Aujourd’­hui, je dois agir. » L’é­dile et cer­tains rési­dents sont en tout cas au moins d’ac­cord sur une chose, employant le même adjec­tif : la situa­tion était deve­nue « inte­nable ». À par­tir de ven­dre­di matin, le bâti­ment sera « fer­mé et sécu­ri­sé, on ne pour­ra plus ren­trer dedans », assène l’é­lue PCF. Quid des doutes for­mu­lés par un copro­prié­taire quant au pos­sible retour des dea­lers, au terme des trois semaines de chan­tier ? Évi­ter cela est bien « l’ob­jec­tif », sou­ligne-t-elle, insis­tant sur le tra­vail que va mener conjoin­te­ment la ville « avec la copro­prié­té, les forces de l’ordre, la pré­fec­ture, le par­quet ». Aman­dine Demore réaf­firme sa déter­mi­na­tion : « Je ne lâche­rai rien. Les ter­ri­toires appar­tiennent aux habi­tants, abso­lu­ment pas aux dea­lers. » Reste une autre ques­tion épi­neuse. Contraints de démé­na­ger sous 72 heures, les tra­fi­quants vont-ils sim­ple­ment dépla­cer le point de deal à quelques rues du Car­rare ? Consciente du risque, la maire met en avant la sur­veillance poli­cière spé­ci­fique. Mais elle l’ad­met aus­si, sa demande de ren­forts poli­ciers adres­sée à Emma­nuel Macron est res­tée lettre morte. Et celle-ci de conclure alors, un brin dépi­tée : « On a besoin de retrou­ver de la police de proxi­mi­té, de mettre des moyens dans la pré­ven­tion, dans la jus­tice… Je crains qu’a­vec ce nou­veau gou­ver­ne­ment, on n’en prenne pas le che­min. »

Un comite de suivi avec la ville, la préfecture et le parquet

La pré­fec­ture de l’I­sère, la ville d’É­chi­rolles et le par­quet ont effec­tué un nou­veau point de situa­tion sur l’é­va­cua­tion des rési­dents du Car­rare, dans un com­mu­ni­qué com­mun dif­fu­sé ce mar­di 24 sep­tembre au soir. « Cha­cune des per­sonnes concer­nées est reçue par les ser­vices sociaux de la mai­rie et de l’État, afin de les mettre en sûre­té et de les relo­ger de façon tem­po­raire, le temps que les copro­prié­taires puissent s’assurer de la remise en sécu­ri­té de l’immeuble dans un délai de trois semaines », confirment-ils. Par ailleurs, en rai­son des consé­quences du tra­fic, « la maire, le pré­fet et le pro­cu­reur, comme ils s’y étaient enga­gés, ont mis en place un comi­té de sui­vi pour res­tau­rer la sécu­ri­té et la tran­quilli­té publiques dans et autour du Car­rare », ajoutent les ser­vices de l’É­tat et de la ville, qui annoncent, paral­lè­le­ment à la fer­me­ture de l’im­meuble, la pour­suite des « opé­ra­tions de contrôle ren­for­cées sur ce sec­teur » de la part des poli­ciers. A lire sur le même sujet

Partager cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *