Crystelle Blanc-Lanaute, professeur de français au collège Vercors, à Grenoble.
Donner davantage à ceux qui ont moins. La logique de l’éducation prioritaire. Donner autant à tout le monde, c’est celle de l’éducation nationale dans l’académie de Grenoble. D’où la baisse des heures d’enseignement attribuées aux collèges REP et REP+ de l’académie de Grenoble. Auxquels ne reste plus que des effectifs par classe un peu inférieurs.
Rentrée de septembre 2022, quinze classes. Prévisions pour septembre 2023, toujours quinze classes. Mais avec vingt-sept heures d’enseignement de moins par semaine, de 511 à 484. De quoi expliquer, et motiver, la mobilisation des parents et des enseignants du collège Vercors dans le quartier de l’Abbaye à Grenoble, collège classé en zone d’éducation prioritaire.
Car cette perte de moyens n’est évidemment pas sans conséquences. Un exemple, l’enseignement des sciences. « Nous n’aurons plus la possibilité de scinder les classes en demi-groupe, plus de séances d’expérimentation, les élèves ne pourront plus toucher à un microscope ; les SVT uniquement par cours magistral, ce n’est pas la même chose », explique Crystelle Blanc-Lanaute, professeur de français. Elle-même est directement concernée. Depuis 2016, un programme était conduit, avec l’université de Grenoble. Implication de chercheurs, formation d’enseignants du collège – diplôme universitaire à la clé –, implication de professeurs de différentes disciplines… Objectif, des ateliers philo. « Nos élèves sont capables de penser. » Six années de travail réduites à néant par la suppression d’heures d’enseignement. Il faut encore évoquer la disparition des aides spécifiques à des collégiens en difficulté. La prévention du décrochage scolaire, par exemple. Des heures consacrées à certains élèves pour un coup de pouce. Ou encore ces élèves qui arrivent en France avec un niveau scolaire équivalent à celui de leur camarades, mais sans maîtriser le français. Là encore, l’intervention d’enseignants en français langue étrangère (FLE) serait limitée par la réduction des moyens disponibles. Décrochages en perspective.
Trente heures de plus à Champollion, vingt-sept de moins à Vercors ; un choix de classe
Cette réduction d’heures d’enseignement, c’est aussi le choix délibéré du ghetto scolaire.
Le collège Vercors dispose d’une formation dite bilangue en allemand, enseigné à des collégiens dès la sixième. Des parents inscrivent leur enfant à Vercors, afin qu’il bénéficie de l’enseignement de deux langues étrangères dès la sixième. Le choix, aussi, d’un collège en zone d’éducation prioritaire. La diminution des heures d’enseignement aurait pour conséquence le regroupement, dès la cinquième, de ces élèves qui pratiquent l’allemand dès la sixième, avec des élèves qui débutent dans cet apprentissage en cinquième. Une différence de niveau, un casse-tête pour l’enseignant, et des parents qui privilégieront l’intérêt de leur progéniture en quittant le collège. Même situation pour les classes dite européennes. Européenne, c’est-à-dire comportant des enseignements d’histoire, par exemple, en anglais. Là encore, sans moyens, la filière ne peut fonctionner. D’autant plus dommage, que l’école jules Ferry, dans le secteur de recrutement du collège Vercors, est partie prenante de ce dispositif. De quoi susciter des demandes de dérogation : quand on commence à l’école, on recherche un collège susceptible de poursuivre. Là encore, des années d’investissement de l’équipe pédagogique remis en cause.
« Ce qui arrive au collège est vécu dans notre quartier comme une relégation, un mépris, constate Crystelle Blanc-Lanaute, le collège, l’engagement au service de la réussite scolaire est comme une fierté, il reste au moins l’école dans un contexte d’éloignement des services publics ; et maintenant, ça aussi, même les enfants, c’est dans le collimateur. »
D’où la mobilisation des parents aux côtés des enseignants, ici comme dans les autres collèges classés en éducation prioritaires eux victimes du nivellement de leur moyens.
Une mobilisation qui trouve écho dans l’ensemble de la communauté éducative. Les enseignants du lycée Champollion – établissement bien connu du centre ville de Grenoble – en témoigne. A l’initiative du SNES-FSU, une motion a été déposée devant le conseil d’administration de l’établissement. A structure égale, le lycée se voit attribuer trente heures de plus, pour des projets… qu’il va falloir définir. « Nous ne pouvons que déplorer que ceci intervienne dans un contexte où d’autres établissements, surtout des collèges, et en particulier des collèges placés en zone d’éducation prioritaire, voient leurs dotations drastiquement diminuées, et de ce fait les conditions d’enseignement et de scolarité fortement dégradées », écrivent les enseignants. Et de conclure : « Nous tenons à manifester notre soutien à tous les établissements qui subissent la politique d’austérité mise en place actuellement dans l’éducation nationale. »
Des heures en plus pour le lycée Champollion, des heures en moins en éducation prioritaire… c’est ce qu’on appelle un choix politique, un choix de classe.
réseaux
Les REP regroupent les collèges et les écoles rencontrant des difficultés sociales plus significatives que celles des collèges et écoles situés hors éducation prioritaire.
Les REP+ concernent les quartiers ou secteurs isolés qui connaissent les plus grandes concentrations de difficultés du territoire.
Un acquis de 1981
Créée en 1981 par Alain Savary, avec l’idée de « donner plus à ceux qui ont le moins », l’éducation prioritaire est aujourd’hui soumise aux logiques néo-libérales : management, pilotage, neurosciences, résultats, « bonnes pratiques », économie de moyens… et à la « priorisation académique » qui renvoie au local (le rectorat) la responsabilité des arbitrages…
établissements
Le réseau du Nord-Isère concerne 5 413 élèves (seize écoles maternelles ou élémentaires REP et trois collèges REP) et celui de l’Isère Rhodanienne 4 009 (dix-sept écoles maternelles ou élémentaires REP et deux collèges REP).

Parents et enseignants du collège Aragon en manifestation le 2 février dernier.
L’éducation prioritaire est-elle toujours prioritaire à Villefontaine ? On peut se poser la question suite aux décisions prises pour la rentrée 2023…
Au collège Louis Aragon de Villefontaine, c’est la triple peine qui se profile pour la rentrée 2023 : suppression de la technologie en classe de 6e, perte de trois heures par semaine pour l’unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (trente élèves impactés) et perte des sept dernières heures de la « dotation supplémentaire REP » en baisse continue depuis des années…
Les enseignants du collège contestent le choix académique de réduire les moyens de l’éducation prioritaire et mènent la bataille de concert avec les autres collèges du département concernés. Un rendez-vous était prévu le 1er mars avec les services du rectorat, après des semaines d’actions, de grèves, de manifestations.
Ce qui fait le rayonnement du collège Aragon
Selon Clairvie Heurtebise, enseignante en français, la baisse des moyens est progressive depuis plusieurs années. Et de dénoncer ce choix du rectorat qui est de fait une remise en cause de l’éducation prioritaire. « Nous allons certes nous retrouver avec des effectifs bloqués à 25 élèves par classe mais sans plus aucun moyen pour répondre au référentiel de l’éducation prioritaire et maintenir nos options culturelles, linguistiques, mathématiques… ». Un label REP vidé de son contenu, et une décision qui constitue une attaque contre la mixité sociale. « L’éducation prioritaire au Collège Aragon apporte un vrai plus à tous les élèves et contribue à son rayonnement et donc son attractivité. Supprimer ces moyens c’est le condamner et le soumettre sans succès à la concurrence avec le collège privé local ».
Les enseignants et les parents restent mobilisés et préparent activement des actions à venir.
Didier Gosselin

Le collège Gérard Philipe, à Fontaine.
Dans ce collège de quatre cent quatre-vingt élèves, une vingtaine de classes pour accueillir les élèves du secteur. Mais aussi des classes spécifiques, au recrutement plus large : des SEGPA (section d’enseignement général et professionnel adapté) pour des jeunes présentant des difficultés scolaires importantes, des unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A) concernant des élèves qui ne maîtrisent pas le français et des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) pour des élèves en situation de handicap.
Le collège Gérard Philipe est classé réseau d’éducation prioritaire. Ce qui résulte de la composition sociale des familles. Un enfant de cadres dispose de davantage de moyens à la maison pour étudier, de parents qui ont plus de facilités pour accompagner son cursus scolaire. A Fontaine, le collège Jules Vallès a déjà perdu le label REP malgré des situations sociales comparables.
D’un collège à l’autre, des enseignants voyageurs
Au collège Gérard Philipe, enseignants et parents se mobilisent contre la baisse sans précédent, pour 2023, de leur dotation globale horaires malgré la stabilité prévue du nombre d’élèves. Dotation qui représente le nombre d’heures d’enseignement disponibles pour les collégiens. Parents et enseignants ont voté, au conseil d’administration, contre cette DGH. Elle se traduit pour la rentrée 2023 par la suppression de l’enseignement de la technologie en 6e, l’importante baisse du nombre d’heures/élèves pour les UPE2A. De plus, en septembre 2022, un professeur d’EPS n’avait pas été recruté d’où absence de cours pendant quatre mois.
Pour les enseignants, cette diminution des moyens affectés en REP se traduit par des « services partagés » : certains profs doivent se déplacer entre deux à quatre établissements pour donner leurs cours entre deux trajets.
Une nouvelle dynamique s’est créée depuis septembre au niveau des parents d’élèves. Ils se sont unis avec les enseignants et d’autres collèges de Grenoble (Vercors et Lucie Aubrac, notamment) pour manifester devant le rectorat.
D’autant que cette baisse des heures disponibles en REP résulte d’un transfert vers des établissements situés en zone plus favorisée, en centre ville de Grenoble ou à Europole, par exemple.
Trop d’injustices, la colère monte !
Claudine Didier
