MC2-Grenoble – Le Roi Lear. Un jeu de massacres !

Par Régine Hausermann

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Jacques Weber et François Marthouret. © Bertrand Delous

Vendredi 25 novembre 19h30 – La foule des grands jours dans la salle Georges Lavaudant. Comme les deux soirées précédentes, évidemment. La rencontre Shakespeare – Lavaudant – Weber est attractive ! Pendant 3h30, on se laisse emporter dans cette débauche de folie, de jalousie, de rage et de sang, offerte par le spectacle des humains. Sur le vaste plateau nu, deux pères vont se faire dévorer par leurs enfants, deux frères vont s’entretuer et trois sœurs se déchirer. Toute tendresse humaine n’a pourtant pas disparu mais elle se paie au prix fort. Une mise en scène haletante pour des passions humaines à leur paroxysme. Du grand art !

Au début était l’aveuglement des pères

Lear sent la vieillesse le prendre et décide de partager son royaume entre ses trois filles. Mais sa folie narcissique le conduit à accorder la plus grosse part de l’héritage à celle qui lui déclarera le mieux son amour. Les deux aînées rivalisent de flatteries quand la plus jeune, Cordélia, avoue ne pouvoir rien dire de plus. Devant la colère naissante de son père, elle se contente de lui dire qu’elle l’aime « comme un père, ni plus, ni moins ». Le roi explose et s’enfonce dans son aveuglement en déshéritant sa fille préférée, en bannissant ses plus fidèles alliés qui contestent sa décision, et en accordant sa confiance – et son royaume – à ses deux filles et leurs âmes damnées. En contrepoint, le Comte de Gloucester, se trouve lui aussi pris au piège que lui tend son fils illégitime – Edmond le bâtard – pour disqualifier le « bon fils », Edgar. « Et voilà, le ressort est bandé. » Les filles « aimantes » de Lear se renvoient la garde du vieil homme extravagant qui plonge dans la folie et finit dépouillé. Gloucester, énucléé par un homme de main d’Edmond, voit enfin clair. Plus chanceux que son vieil ami Lear, il est guidé et protégé par le fils accusé de fourberie réduit à l’état de mendiant.
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Le Roi Lear annonce le partage de son royaume. © Jean-Louis Fernandez 

Sur le plateau sombre, vaste et nu de la tragédie humaine Tantôt salle du trône, tantôt cabane, tantôt château de Goneril ou Régane, le plus souvent la lande agitée par l’orage et la tempête, le vaste plateau se prête aux entrées et sorties des personnages qui se croisent, se fuient, s’insultent, s’entretuent. Les trajectoires dessinent une implacable géométrie tragique. Les deux pères sont déchus de leur pouvoir et livrés à la rage de leur progéniture. Ils apparaissent et disparaissent du plateau tels des pantins, agis par des marionnettistes. Jacques Weber dans le rôle-titre, d’abord gonflé de suffisance, vieil enfant capricieux refusant qu’on lui réduise le nombre de ses joujoux, perd tout : son statut, ses biens, ses filles, même la gentille Cordélia. L’acteur est particulièrement convaincant lorsque, dans son délire, il se rapproche de Gloucester, son vieil ami, qui comme lui a tout perdu. François Marthouret campe un Gloucester tout en finesse. Et les séquences avec son fils Edgar – bravo à Thibault Vinçon ! – déguisé en mendiant Tom, qui cherche à le sauver de la mort, comptent parmi les rares moments émouvants qui aident à ne pas désespérer de l’espèce humaine. A la fin de la pièce, il ne reste qu’un vaste champ de ruines. Seul Edgar debout, soupçon d’espoir !

Georges Lavaudant et le Roi Lear

C’est la troisième fois que le Grenoblois Georges Lavaudant s’attaque au Roi Lear depuis les années 1970. « Je l’ai monté une première fois il y a quarante ans au Théâtre Rio à Grenoble quand j’ai démarré avec Ariel Garcia Valdès. Philippe Morier-Genoud jouait le rôle. Je l’ai repris dans la foulée, toujours à Grenoble, mais on peut dire que c’était quasiment la même version. Je l’ai mis en scène quinze années plus tard à mon arrivée au Théâtre de l’Odéon à Paris. » A la folie du monde, « hors de ses gonds », Georges Lavaudant – ébloui – oppose le « non » de Cordélia, la résistante. « Le simple « non » de Cordélia, un mot, un petit mot dit avec douceur, ni arrogant, ni violent, mais dit avec vérité, « non », et tout se met en route, tout se déglingue, la catastrophe historique est là. Le « non » de Cordélia résonne dans toute l’histoire du théâtre de manière sensationnelle. »

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