Piya Simon, vachère en Matheysine.

Un syndicat CGT des gardiens de troupeaux s’est créé ce printemps. Avec la volonté de mieux fixer les règles d’une profession saisonnière dont les membres travaillent le plus souvent seuls dans leurs alpages. Métier exigeant, en pleine évolution, et indispensable à la production d’une alimentation de qualité. Reportage en altitude.

Lever six heures. Départ du troupeau, 6h30. Et c’est une journée de près de quinze heures qui commence, dans les alpages de la Pra, en Belledonne. Autre univers, au dessus des lacs matheysins, à l’alpage du Grand serre. « Il m’arrive de faire dix heures de clôtures dans la journée », nous dit Piya Simon, 21 ans, la gardienne des lieux pour cinq mois d’estive. Brebis d’un côté, génisses de l’autre. Près de trois heures de marche – beaucoup moins pour les bergers – pour monter à la Pra, quad de l’autre… Des réalités très différentes d’un alpage à l’autre et pourtant un trait commun : « nous sommes comme les livreurs à vélo, nous pédalons chacun de notre côté sans nous rencontrer », sourit Tomas Buscarret, 34 ans, le berger de la Pra.

Isolement, dans la relation à l’employeur aussi. Le berger ou la vachère sont salariés par un groupement pastoral constitué par les éleveurs propriétaires des bêtes. « J’ai onze employeurs », précise Piya qui garde deux cents vaches. Le troupeau de mille brebis que conduit Tomas pendant trois mois d’estive appartient à deux exploitations dont un Gaec de Vaulnavey. Pour Tomas et Piya, la relation avec les patrons est cordiale. « Ils montent m’aider quand il y a un problème », souligne Piya qui a dû traiter une épidémie virale en août. Mais tout ne se passe pas toujours facilement avec des éleveurs d’abord soucieux de la bonne santé de leur bétail et de la qualité de son engraissement… l’exigence vis-à-vis des gardiens de troupeaux qu’ils emploient fait partie de la relation.

De bonnes raisons pour vouloir préciser ce qu’il est normal de faire et ce qui relève d’exigences excessives. « Je trouve normal d’entretenir l’alpage, explique Piya, faire les clôtures, la plomberie pour alimenter les abreuvoirs – cet été, j’en ai bavé –, mais tous les gardiens ne voient pas ça comme ça ». Préciser les conditions de logement aussi – ce sont souvent des communes qui louent les alpages et ont la responsabilité de l’entretien des cabanes. Sans perdre de vue la précarité liée à la saisonnalité de l’activité – « la réforme de l’assurance chômage, cela nous concerne aussi ». Et comme le dit Piya, « travailler, ça me plaît, ce que je demande, c’est le respect ».

Fixer les missions dans le contexte d’un métier qui change. « Beaucoup de sources ont tari cet été », note Piya. Le réchauffement, ce sont aussi des mouches plus présentes qui agacent les bêtes ou, au pire, transmettent des maladies. La prédation du loup impose évidemment de nouvelles contraintes. « Quand on est près du sentier, on ne peut plus somnoler vers midi avec le troupeau, il faut gérer la rencontre des patous et des randonneurs », relève Tomas – l’un des aspects du problème qui en comporte beaucoup d’autres.

Définition d’une plateforme commune à tous les massifs

De tout cela, ils ont décidé de parler ensemble. Un appel a été lancé à l’issue d’une réunion qui s’est déroulée le 1er mai à Mens : le syndicat des gardiens de troupeaux de l’Isère était créé. Syndicat dont ses membres ont décidé de l’affilier à la CGT. Pour des raisons d’efficacité – « nous voulons peser dans les instances » – et puis aussi parce que « ça parlait à plus d’entre nous » et que les bergers de l’Ariège sont déjà syndiqués à la CGT.

Le point après la saison d’estive sera fait à l’automne. Des rendez-vous sont programmés : les 1er et 2 novembre avec les gardiens de troupeaux de PACA et le 17 novembre à Montpellier lors d’une journée nationale organisée par la fédération CGT de l’agroalimentaire et de la forêt.

En débat, ce qui pourrait constituer une plateforme inter-massifs pour ouvrir des négociations avec les organisations agricoles et les pouvoirs publics. Le syndicat ariégeois propose ainsi des repères sur le paiement des heures supplémentaires, le droit à des congés remplacés et le décompte du temps de travail. « Lorsque nous montons une semaine avant le troupeau pour préparer l’alpage, ce n’est pas payé », note Tomas. Sur les frais liés à l’entretien des chiens, et notamment lorsque ce sont ceux des bergers qui travaillent. Sur la table également les salaires – autour de 1800 euros nets tout compris à la Pra – et les revendications qui concernent tous les saisonniers : reprise des contrats d’une année sur l’autre, ancienneté, droit au chômage… La formation continue, le logement…

« Nous adorons nous retrouver pour nous raconter nos saisons », se réjouit Piya. Diplômée en joaillerie, elle a prévu de travailler cet hiver avec des vaches, à Londres. Tomas, ingénieur à Alstom Neyrpic jusqu’en 2017 – année du plan social voulu par General électric – va monter des projets en chaudronnerie dans le cadre de la coopérative Natura Scop.

Ils trouveront le temps de se croiser avec leurs camarades pour parler de leur syndicat CGT.

Simuler l’usine, la centrale nucléaire ou le TGV

La Compagnie de réalisation industrielle de simulateurs (Corys, avec le y grenoblois pour industriel) a été constituée en 1997. C’est une filiale d’entreprises publiques : EDF détient 50% de son capital, aux côtés de Framatome et de l’Institut français des pétroles (aujourd’hui IFP énergies nouvelles). Le groupe emploie deux cents salariés à la Presqu’île de Grenoble et compte des filiales en Chine, aux Etats-Unis, en Inde… L’entreprise conçoit des simulateurs pour des unités de production d’énergie (dont les centrales nucléaires), le transport ferroviaire ou la chimie. Ces simulateurs sont utilisés soit pour la formation soit pour l’étude de projets de développement en simulant les conséquences d’une évolution technique.

Sébastien Martin, à l’origine de la section syndicale CGT de Corys, sur la Presqu’île de Grenoble.

Quand le syndicalisme entre dans l’entreprise

Dans une entreprise de cadres et de techniciens, la création de la CGT rappelle que le respect du droit du travail concerne tous les salariés.

« Il n’y avait jamais vraiment eu de syndicat, chez Corys », constate Sébastien Martin. Il y en a deux aujourd’hui, la CGT et la CFDT.

Tout est parti d’un 1er mai annulé, en 2020. « Je me suis dis que si je ne pouvais pas manifester, je pouvais quand même adhérer à la CGT. » Sébastien Martin, ingénieur comme 80 % de ses collègues, prend son ordinateur et adhère en quelques clics sur le site du syndicat.

Sa première formation syndicale, il la fait hors temps de travail. C’est à la deuxième que l’ambiance change dans l’entreprise : « j’avais posé les papiers officiels pour une autorisation d’absence ».

Et Sébastien se retrouve face à la direction pour faire entrer le droit syndical dans l’entreprise. « Nous avons demandé un local, au début, ils voulaient nous donner un bureau partagé avec des salariés » : non, ça ne marche pas comme ça. Des permanences sont organisées. Les situations individuelles, mais aussi une préoccupation collective : l’organisation du temps de travail. « La dernière modification revient à augmenter les contraintes sur la prise de RTT et au final, à réduire les jours de congés. » Et l’activité se développe avec le concours du syndicat CGT multipro de Grenoble – une pépinière de syndicats à laquelle la CGT-Corys est adhérente – et de l’union locale CGT de Grenoble.

Une pépinière de syndicats grenoblois

C’est dans ce contexte qu’interviennent les élections professionnelles, en mars 2022. « Une semaine avant le scrutin, nous avons vu apparaître une liste CFDT. » Liste constituée avec des membres du comité social et économique sortants – élus précédemment sans affiliation syndicale. Le tout sous l’œil bienveillant de la direction. « Nous avons recueilli 37 % des suffrages. » Sébastien est secrétaire adjoint du CSE, tandis que Morgan Plais est délégué syndical CGT de l’entreprise.
La prochaine étape, ce sont les négociations annuelles obligatoires. « Nous allons faire valoir que les conditions à Corys sont inférieures à celles de Framatome. » Mais déjà, avec un syndicat CGT, l’entreprise n’est plus tout à fait la même. Quant au respect du droit du travail… et puis « les salariés sont moins isolés.»
Tracts, information débat visioconférences, permanences… l’activité se développe avec la volonté de « faire grandir le syndicat pour que nous soyons plus efficaces ». La différence, à la base.

Laurent Terrier, membre du secrétariat de l’union départementale CGT de l’Isère.

Ce à quoi sert la CGT en Isère

Rentrée sous le signe du débat, à la CGT. Organisation territoriale, prolongement des combats victorieux des réindustrialisations, propositions novatrices… de quoi faire.

« Les territoires bougent, la CGT aussi », c’est sur ces mots que Laurent Terrier, membre du secrétariat de l’union départementale CGT, nous explique les phénomènes à l’œuvre dans les territoires et comment la CGT les analyse afin de reprendre la main. Car les territoires représentent un des enjeux clé de l’antagonisme capital/travail. Depuis Sarkozy, Hollande (lois MAPTAM, Notre) puis Macron avec la loi 3 DS comme différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification, tout est fait pour rendre les territoires plus adaptables aux exigences patronales.

Le « différenciation » signifie des réglementations différentes selon les territoires en terme environnemental, fiscal et même de droit du travail, rendant ainsi caduque le principe d’égalité républicaine. Selon qu’on étudie à Chambéry ou Grenoble, on ne bénéficie déjà plus des mêmes moyens. Le SMIC par exemple pourrait varier d’une zone à l’autre. Tout ceci venant intensifier la compétition entre les individus dès le plus jeune âge pour les rendre plus corvéables.

Des décennies de propositions et de luttes dont certaines aboutissent aujourd’hui

Autre enjeu de taille, celui des réindustrialisations. Si la CGT les revendique depuis longtemps, il n’en faut pas moins veiller à la manière avec laquelle elles voient le jour. Un exemple, celui du doublement des capacités de production de ST Crolles avec mille emplois à la clé. La CGT, grâce à l’expertise de ses syndicats et des collectifs auxquels elle participe, avance des solutions qui permettraient de rendre ces sites moins consommateur d’eau. Et propose la création de formations diplômantes et reconnues, en partenariat avec l’université, afin de pouvoir mieux valoriser le parcours des salariés, à l’inverse des certifications en interne plébiscitées par les patrons.

Mais le syndicat va plus loin et se trouve parfois en amont des innovations quand elle est à l’origine de nouvelles filières grâce au travail de ses adhérents. En mettant en lien ses syndicats des branches médicale et électronique, elle a travaillé notamment au lancement d’une branche d’imagerie médicale au sein du groupe Thales.

Marion Bottard

Rapprocher la CGT des salariés

Lors de la réunion du comité général des 28 et 29 septembre, les syndicats CGT seront amenés à réfléchir à l’implantation des locaux CGT en Isère. Les gros bataillons de travailleurs ne se situent plus forcément dans les mêmes zones qu’auparavant, il faut donc que la CGT les suive. La question se pose pour Inovallée, Bernin, Crolles et dans l’ensemble du département. Faut-il déménager les bourses du travail, ouvrir des antennes locales ? Les militants seront-ils assez nombreux pour tenir les permanences ? Un exemple encourageant est celui de l’ouverture en 2021 d’une antenne dans la zone de Roussillon/Beaurepaire qui a aidé des salariés sur place à former de nouveaux syndicats et à relancer toute une dynamique de lutte.

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