« Les entreprises ne prennent pas cette question au sérieux »

Par Travailleur Alpin

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L’union départementale CGT de l’Isère a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes dans la société et au travail un des axes de son action syndicale. Rencontre avec Elodie Saurat, co-animatrice de la cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles.

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Elodie Saurat, co-animatrice de la cellule CGT de veille contre les violences faites aux femmes.

Depuis 2019, l’union départementale CGT de l’Isère s’est emparée de la question des violences sexistes et sexuelles au travail, et ce dans le cadre de sa lutte globale pour l’égalité entre les femmes et les hommes. A l’origine de la création à l’UD-CGT de la cellule de veille contre les violences, des liens avec l’association grenobloise Solidarité Femmes Milena et des retours sur ce qui se passait dans certaines entreprises. Comme à ST Microelectronics par exemple, explique Elodie Saurat, co-animatrice de la cellule, « où malgré la présence de référents harcèlement conformément à la loi « Avenir professionnel » de 2018, on s’est rendu compte que l’entreprise étouffait les affaires, que l’employeur passait outre ces référents (que ce soit celui du CSE ou celui nommé par l’employeur), ne prenait pas réellement en compte la gravité des situations, et allait même jusqu’à établir des distinctions dans la prise de sanctions afin d’exonérer certains salariés… ». « Les entreprises ne prennent pas cette question au sérieux, poursuit-elle, d’où notre volonté d’en faire un axe fort de la lutte syndicale », insiste Elodie.

La CGT s’appuie sur la Convention 190 de l’Organisation internationale du travail, promulguée en France le 8 novembre 2021, laquelle prévoit une recommandation sur la violence et le harcèlement, texte non juridiquement contraignant, qui précise les conditions de sa mise en œuvre. « Si la convention a été ratifiée par la France, souligne Elodie, aucun moyen n’est réellement annoncé et mis en œuvre pour la concrétiser dans la législation du travail et de l’emploi. » Or, sur cet aspect, poursuit-elle, « on oublie souvent la responsabilité de l’employeur qui doit, selon le Code du travail, garantir la sécurité des salariés ». La CGT exige par exemple que « les violences sexistes et sexuelles soient un volet de négociation obligatoire dans les accords sur l’égalité professionnelle dans les entreprises », ce qui n’est le cas actuellement qu’au niveau des branches. Ou encore, poursuit Elodie, « des mesures de protection pour garantir le droit au travail des femmes victimes de violences intrafamiliales ! »

Des salariés qui n’ont pas conscience de la gravité de leurs actes

Les objectifs de lutte ne manquent effectivement pas pour favoriser la mise en place d’environnements de travail non sexistes, sensibiliser les salariés, former l’encadrement, donner des moyens pour l’exercice de leurs missions aux référents contre le harcèlement et les agissements sexistes, mettre en place des dispositifs d’accueil et de signalement, de prévention, d’application des sanctions…

Comme défenseure syndicale, Elodie Saurat a été confrontée à des situations aux prud’hommes qui lui ont permis de mesurer combien il y avait urgence à agir au sein de l’entreprise, en direction des employeurs mais aussi des salariés. « J’ai vu des salariés oser venir contester leur licenciement et qui n’avaient vraiment pas compris l’extrême gravité de leurs actes. Il y a vraiment une éducation à faire sur les violences sexuelles et la CGT doit y prendre toute sa part », souligne Elodie.

A son niveau, la cellule de l’UD-CGT de veille contre les violences sexistes « agit pour accompagner les victimes sans empiéter sur le travail de qui que ce soit », précise Elodie Saurat. « A travers notre réseau CGT, nous essayons, en fonction des situations, d’orienter vers les professionnels adéquats (psychologue par exemple ou avocat si dépôt de plainte au pénal contre l’auteur). De notre côté nous pouvons accompagner la victime aux prud’hommes si elle attaque son employeur. »

Pour faire avancer la prise en compte de cette problématique au sein de la CGT, y compris pour la lutte contre les violences en interne dans le syndicat, celui-ci s’est doté d’outils et d’objectifs. Une cellule de veille confédérale, constituée à parité de cinq hommes et cinq femmes a été créée, à laquelle participe Fabrice Zangara, co-animateur avec Elodie de la cellule iséroise. La cellule de veille vise à prévenir et empêcher que ces violences se produisent, protéger les victimes sans se substituer à la justice, sans s’en remettre uniquement à elle non plus.

Il s’agit également de mettre l’accent sur la formation des militant(e)s CGT pour agir contre ces violences qui remettent fondamentalement en cause le droit à militer et à s’engager des femmes syndiquées et des militantes.

Didier Gosselin

Shauna/
Shauna Bernier, vice-trésorière du syndicat multipro lors d’une visite d’entreprise.

Sur le lieu de travail, l’intervention syndicale

Comment, à partir d’un cas concret, s’organise une campagne syndicale.

À la fête du Travailleur alpin, on ne fait pas que de se divertir ! On se rencontre, on discute et de là peut naître un programme d’actions militantes pour les mois à venir.

C’est ce qui s’est produit cette année, à deux pas de la buvette de la CGT, lorsqu’un jeune syndicaliste interpelle Marion Bottard, la secrétaire générale du syndicat multipro de Grenoble, et lui parle des problèmes rencontrées par sa petite amie travaillant dans un laboratoire d’une PME de fabrication et de commercialisation de produits alimentaires. Celle-ci décrit ce qu’elle et ses collègues féminines subissent au quotidien. Insultes sexistes du type : « Accélère femme ! », « C’est bien une gonzesse, elle a pas de cerveau », entre autres florilèges.

Le quotidien des insultes sexistes

« J’ai été choquée d’apprendre qu’il existait encore de tels comportements sexistes et que des femmes soient confrontées quotidiennement à ça », témoigne Marion.

Dans sa PME, la jeune femme se sent désemparée. Les autres salariées ne réagissent pas face à ses propos. Il n’existe pas de syndicats dans la structure, impossible alors d’agir de manière collective. Si elle décide d’interpeller sa direction, c’est seule et, du fait de sa position d’apprentie, elle hésite beaucoup.

Partant de cette réalité difficile mais répandue, Marion et d’autres camarades de la CGT réfléchissent à ce moment là, en accord avec la jeune femme, à une stratégie d’action de type externe : une campagne à l’échelle locale contre les violences sexistes dans les entreprises en ciblant les différents acteurs des filières concernées. Avec aussi un objectif : « il faut également sensibiliser les hommes », note Charles.

À suivre.

Manuela Schrodinger

Première étape, les centres d’apprentissage

Il est question dans un premier temps de s’adresser aux centres d’apprentissage, d’alerter la direction et les professeurs ; mais aussi aller à la rencontre des étudiants afin de les sensibiliser aux différents degrés de violences sexistes et sexuelles qui peuvent exister dans les entreprises et de les informer des différents recours possibles.

La parole aux syndiqués

Marion
« Je suis contente de repartir sur le terrain pour faire savoir aux jeunes femmes qu’elles ne sont pas seules face à ce phénomène. Je veux également expliquer l’importance des syndicats CGT pour lutter contre ce type de violence. »

Shauna
« Agir auprès des centres d’apprentissage est essentiel ; cela nous permet de toucher un public pas encore sensibilisé. On peut être protégé dans son cercle familial et amical mais il est important de dire qu’il peut y avoir des problèmes au travail. A la CGT, on peut offrir un soutien moral et institutionnel.»

Charles
« Dans mon début de carrière, je n’ai pas toujours réagi car je n’ai pas toujours compris, identifié les cas de violences. Aujourd’hui, je suis plus attentif. C’est un problème qui nous concerne tous, nous avons tous des femmes dans notre entourage. En tant que grand-père de deux petites filles, ce sujet me préoccupe. »

Philippe
« Il faut changer les mentalités et sortir de ce modèle patriarcal dans l’entreprise avec les chefs qui violentent les apprentis et les apprentis hommes qui violentent les apprentis femmes. Ces mécanismes de domination se répètent de génération en génération. Il est temps d’arrêter. »

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Loup Belliard, présidente de l’antenne grenobloise d’Osez le féminisme.

Violences… pas que physiques

Libérer la parole, s’exprimer, se reconstruire… c’est aussi ce que veut permettre l’activité militante d’Osez le féminisme.

« Même sur des sujets qui ont l’air plus légers, la question de la violence (verbale, psychologique, culturelle, sociale, professionnelle… ) est toujours présente. » Loup Belliard insiste sur la mise en évidence de ces violences : « c’est d’autant plus nécessaire qu’elles sont souvent plus insidieuses, plus invisibles, même pour leurs victimes. »

Osez le féminisme, dont Loup Belliard est la responsable grenobloise, « mène des actions d’éducation populaire et n’est donc pas directement sur le terrain du recueil des plaintes ; quand nous sommes sollicitées par des victimes de violences physiques, nous les redirigeons vers des structures spécialisées ».

Pourtant, le lien existe avec la forme de « militantisme bienveillant, qui s’adresse aux personnes sous la forme de lieux d’écoute et d’échanges que pratique Osez le féminisme ». Et Loup Belliard note que les cafés-débats et le cercle de lecture organisés à Grenoble peuvent avoir des effets « thérapeutiques » : « ils permettent de s’exprimer, de libérer la parole, de se reconstruire face aux violences ; c’est d’ailleurs une situation que vivent beaucoup de militantes de Osez le féminisme ».

Par l’éducation et l’information

Plus généralement, l’action de l’association contribue à faire évoluer les choses : « par l’éducation et l’information, on peut apprendre à s’exprimer autrement que par la violence. Par exemple, lors du dernier café-débat, sur le thème de la place des hommes dans le féminisme, il y avait quasiment parité femmes hommes dans l’assistance et même si les participants hommes n’étaient pas forcément tous convaincus de la place du féminisme, le débat s’est déroulé très sereinement », souligne Loup.

En conclusion elle évoque l’évolution de la place du féminisme dans la société : « il y a des phases d’avancée, mais aussi des reculs et des retours de bâton ; actuellement on est plutôt dans une phase de libération, plus de gens se sentent concernés et se mobilisent, avec de nouveaux défis à relever, par exemple la lutte contre le sexisme et la pornographie sur internet ».

Claudine Kahane

Osez le féminisme

Osez le féminisme est une association nationale répartie dans six villes en France, avec des antennes autonomes. Ses objectifs sont d’élever le niveau du féminisme dans la société, par la communication et l’information. Elle s’exprime également sous forme d’appel et de participation à des manifestations, en particulier lors des journées internationales du 25 novembre (contre la violence faite aux femmes) et du 8 mars (droits des femmes). L’antenne grenobloise, organise chaque mois des cafés-débats thématiques et a récemment mis en place des cercles de lecture, organisés selon les propositions des participants, qui se tiennent dans des lieux différents et même, l’été, en plein air.

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