2020–2021. Ce qui s’est passé au lycée

Par Edouard Schoene

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Le lycée d’aujourd’hui. Moins d’heures d’enseignement pour économiser des profs.

Sophie, nous l’appellerons ainsi pour protéger son anonymat, est enseignante de mathématiques dans un grand lycée de l’agglomération grenobloise. Elle enseigne depuis plus de vingt-cinq ans. Et elle raconte.

Mère de trois enfants et prof de math. A ces deux titres, une « année hor­rible », l’année sco­laire 2020–2021, celle de la crise sani­taire et de la réforme des lycées.
« Comme mère, j’ai vu les réduc­tions d’horaires, entre ce qu’a connu l’aînée et son petit frère.
 Avec Blan­quer, nous avons vécu la dis­pa­ri­tion des maths dans le « tronc com­mun » en 1ère et Ter­mi­nale. » Depuis la ren­trée 2019, ce « tronc com­mun » repré­sente seize heures d’enseignement par semaine. Les lycéens doivent par ailleurs choi­sir trois « spé­cia­li­tés », dont l’une est aban­don­née en ter­mi­nale.

Chaque ministre y met sa patte

Pre­mier constat. « L’Education natio­nale, c’est une dépense impor­tante pour l’État ; chaque nou­veau ministre met sa touche de réduc­tion de bud­get : la réforme Blan­quer s’est tra­duite par une réduc­tion impor­tante des heures ensei­gnées. »

Jusqu’à la ses­sion 2020, les épreuves du bac avaient lieu en fin de ter­mi­nale (sauf pour le fran­çais).
Désor­mais, le bac prend en compte les notes de contrôle conti­nu de pre­mière, celles du tronc com­mun de ter­mi­nales et les épreuves res­tant (outre le fran­çais inchan­gé et en 1ère) sont pro­gram­mées en ter­mi­nales mi-mars pour les deux spé­cia­li­tés et en juin pour la phi­lo et le « grand oral ». « En 2019–2020 du fait de la pan­dé­mie, il fut dif­fi­cile d’assurer tous les ensei­gne­ments et les épreuves n’ont pas eu lieu. C’est donc le contrôle conti­nu inté­gral sur la ter­mi­nale qui a été pris en compte pour l’obtention du bac », constate Sophie, en pre­nant sa cas­quette d’enseignante.

L’an­née du bac Blan­quer

L’année sco­laire 2020–2021 a été celle du nou­veau bac Blan­quer. « Nous avions devant nous des jeunes gens qui avaient sui­vi une seconde non adap­tée à la réforme, des lycéens qui avaient vécu un confi­ne­ment au prin­temps 2020 pen­dant leur pre­mière et donc qui arri­vaient « fra­giles » en ter­mi­nale. Les épreuves devaient avoir lieu en mars, ce qui ne nous lais­sait pas le temps de bou­cler le pro­gramme de pre­mière, trop lourd, d’autant plus que nous avions dû faire classe à des demi-groupes. »

Mais pour Sophie, il y a plus pré­oc­cu­pant que les effets de la crise sani­taire de 2020. « Cette nou­velle réforme, pour les maths, est sur­pre­nante mais sur­tout inadap­tée. »

Ce qu’on nous demande est impos­sible

Nombre de lycéens abordent la seconde « avec un petit niveau, voire aucune base solide en maths. 
Or en seconde, on leur demande d’apprendre plus, de démon­trer, de rai­son­ner. Impos­sible pour des jeunes qui ont un niveau trop faible et ils sont majo­ri­taires. Ce que l’on demande aux ensei­gnants est une mis­sion impos­sible, avec les temps d’enseignement alloués dans des classes hété­ro­gènes. »

Evi­dem­ment, la crise sani­taire n’a rien arran­gé. Dif­fi­cile à vivre pour les ensei­gnants. Aux dif­fi­cul­tés d’enseignement liées aux nou­veaux pro­grammes, s’ajoutaient des obli­ga­tions de télé­en­sei­gne­ment sans solu­tion infor­ma­tique réelle ou solide (logi­ciels, équi­pe­ments), le manque d’information…  « Nous rece­vions les infor­ma­tions par les médias et non par l’Éducation natio­nale, l’employeur. »

Au quo­ti­dien, la situa­tion était cri­tique. « Trois à quatre lycéens sur 35 fai­saient le job en dis­tan­ciel ! On a tous fait ce constat entre col­lègues. Quand nous avons dû reprendre en cours d’année des ensei­gne­ments en classe plus en dis­tan­ciel, on n’en pou­vait plus. La pres­sion des parents ne nous a pas aidés. »

Ce que nous avions fait ne ser­vait à rien

L’ambiance au lycée était anxio­gène par­mi les profs mais aus­si par­mi les élèves. « Avec la réforme Blan­quer, les lycéens de ma classe « Term spé maths » (6 heures par semaine) ne se voient que sur mon cré­neau de cours soit six heures par semaine. Ils ne se connaissent pas ou peu, l’ambiance de classe qui y est sou­vent au tra­vail et à l’entraide n’y est plus, et je ne peux être leur pro­fes­seur prin­ci­pal et ain­si les aider dans leur démarche d’orientation (comme aupa­ra­vant pour les ter­mi­nales scien­ti­fiques) car ils ne forment pas là une classe. »

Et puis il y a eu la déci­sion prise par le minis­tère en décembre 2020 : l’adaptation à la baisse des pro­grammes de la spé­cia­li­sa­tion mathé­ma­tiques. « Plu­sieurs col­lègues et moi nous sommes effon­drés : nous avions fait l’enseignement de ce qui deve­nait « non obli­ga­toire » dans les appren­tis­sages ; cette modi­fi­ca­tion de pro­gramme nous par­ve­nait beau­coup trop tard. »

Pour Sophie, « même sans l’épidémie de Covid, ces pro­grammes que nous avions à la ren­trée 2020 n’étaient pas viables ; les ins­pec­teurs le recon­nais­saient et d’ailleurs, dès juillet 2021 pour la ren­trée de sep­tembre, les pro­grammes ont été amé­na­gés avec une moins grande pres­sion pour pou­voir ache­ver ce qui est néces­saire en vue des épreuves de mars 2022. »

Le grand oral devant des profs d’une autre matière

Mais reve­nons au bac 2021, orga­ni­sé tant bien que mal en juin der­nier.

C’était le bap­tême du trop fameux « grand oral ». « Nous, les pro­fes­seurs, avons été for­més à cette nou­velle épreuve en toute hâte jusque au moins de juin. Une for­ma­tion, si l’on peut dire, limi­tée à quelques heures. Ont été convo­qués aux jurys beau­coup de col­lègues non for­més et ceux for­més ont été le plus sou­vent de réserve ! »

L’épreuve concer­nait tous les can­di­dats au bac, en ter­mi­nale, sur deux spé­cia­li­tés. L’élève devait avoir, par­mi les deux profs qui l’interrogeaient, au moins un ensei­gnant d’une de ses deux spé­cia­li­tés. « J’ai sur­veillé des élèves qui n’ont eu aucun prof de leur spé­cia­li­té devant eux. Bien sûr, on ne le leur a pas dit, mais ils l’ont com­pris en voyant les autres pas­ser. »
 Les can­di­dats étaient convo­qués sur une demi-jour­née et devait par­fois attendre plus de 3h sans avoir le droit d’accéder à papier, télé­phone, sty­lo… « Ces épreuves du grand oral ont été très contes­tées. » On com­prend.

Aujourd’hui, la classe a repris, dans les condi­tions d’une crise sani­taire qui se pour­suit. Et d’une crise de l’Education natio­nale qui, chaque année, creuse encore ses absur­di­tés. Au point que l’on pour­rait ima­gi­ner que c’est réflé­chi.

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