Le 8 mai, manifestation contre le démantèlement d’EDF, sur le barrage de Saint-Egrève, en aval de Grenoble.
Saint-Egrève, son barrage sur l’Isère… et un beau symbole pour un rassemblement d’opposition au projet gouvernemental et européen Hercule, aujourd’hui « Grand EDF ». Le pays comme le climat ont besoin au contraire d’un service public qui organise l’accès à une énergie décarbonée et une filière industrielle de production.
C’est à l’appel du collectif « pour un véritable service public de l’énergie 38 » (*) que plus de deux cents manifestants se sont rassemblés le 8 mai de 11h à 14h pour bloquer le pont-barrage de Saint-Egrève et exprimer leur opposition au projet Hercule d’éclatement de l’entreprise EDF. Projet rebaptisé « Grand EDF » mais qui demeure dans son architecture, même si les reculs sur les flux financiers internes à l’entreprise sont à mettre au compte des luttes. Ce rassemblement s’inscrivait dans le cadre d’une mobilisation, étalée sur mai et juin, en divers sites comme Nantes, Gardanne, Flamanville, Gravelines, Laruns…
Le projet Hercule, c’est le découpage d’EDF en trois entités distinctes séparant les activités nucléaires, hydrauliques et énergies renouvelables, distribution et commercialisation, cette dernière immédiatement ouverte aux capitaux privés, le tout dans un cadre juridique qui laisse le champ libre à une réouverture du capital dans les trois entités. Ce projet, c’est aussi la liquidation du secteur industriel d’EDF, la filialisation de l’ingénierie… Pour François Auguste, porte-parole du collectif, c’est le « prélude à une privatisation de toute la filière énergie » avec le risque « de voir les prix augmenter, de rendre inégaux l’accès à l’énergie et les tarifs aux usagers ».
Un cadre juridique permettant la privatisation
Dans une rencontre avec la CGT mines-énergie le 20 avril, le ministre de l’économie Bruno Le Maire ne cachait pas qu’il y avait beaucoup de coups à prendre, y compris pour les usagers qui verront leur facture d’électricité augmenter. Pour Rudy Prépoleski, secrétaire départemental de la CGT mines-énergie, « l’égalité de traitement des usagers, la péréquation tarifaire, l’indépendance nationale et la sécurité d’approvisionnement seraient fragilisées ». Les collectivités territoriales verraient leurs interlocuteurs du service public remplacés par des représentants d’actionnaires privés prélevant leurs dividendes grâce à la mise à leur disposition d’un patrimoine commun financé par la collectivité.
L’interfédérale énergie CGT, CFDT, FO et CFE-CGC, « consciente que le statu quo n’est pas tenable pour EDF… demande au gouvernement de prendre en compte sa proposition de mettre en place… une commission pour concrétiser un projet ambitieux pour l’avenir d’EDF » prenant en compte la nécessaire réussite d’une transition énergétique dans l’intérêt des citoyens, afin de contribuer à la lutte contre la précarité énergétique et le réchauffement climatique par un report incitatif vers les énergies bas carbone, énergies dont le caractère de « bien de première nécessité » doit être reconnu.
Exprimant la très large unité réalisée autour de ces revendications, de nombreux intervenants ont pris la parole lors de ce rassemblement parmi lesquels Laurent Amadieu, maire de Saint-Egrève, Guillaume Gontard, sénateur, Eric Piolle, maire de Grenoble, Pierre Verri, vice-président de Grenoble Alpes Métropole, Benjamin Trocmé, conseiller départemental, Liliane Chevrier pour ATTAC, Pascale Lemaire pour les Gilets jaunes de l’Isère…
L’action doit se poursuivre dans la perspective d’une manifestation le 22 juin à Paris.
Liliane Chevrier, ATTAC
« Hercule, c’est l’éclatement d’EDF pour une privatisation selon la logique libérale inique : privatisation des profits et socialisation des pertes. C’est aussi la soumission d’EDF à une disposition négociée par le gouvernement avec l’autorité de la concurrence de l’Union européenne. Bruxelles, qui roule pour les milieux financiers, prend ainsi la direction des opérations. L’entreprise peut rester entièrement publique si la France le souhaite et veut empêcher la prise du pouvoir énergétique de notre pays par des intérêts privés ».
Pascale Lemaire, Gilets jaunes de l’Isère
« Les décideurs se permettent de tout foutre en l’air, ils se veulent les maîtres du monde, de nos vies et de celles de nos enfants. Ils vendent tous nos biens communs, privatisent nos services publics, bradent nos entreprises, tuent nos commerces, notre artisanat. Ce sont des prédateurs. Macron est un liquidateur serviteur de la pègre financière mondialiste. Les gilets jaunes ont choisi leur camp: l’humain et la vie d’abord ».
(*) Il est composé de CGT énergie, Sud énergie, ATTAC Isère, UNEF, Gilets jaunes, Cultures essentielles 38, Alternatiba, Pour une écologie populaire et sociale (PEPS) Isère, PCF, Génération.s, Parti de gauche, EELV, LFI, NPA…
Les propositions CGT en quatre axes
Sortie du marché pour un service public avec pour mission centrale la lutte contre le réchauffement climatique :
-sortir la production, le transport et la distribution /commercialisation de la concurrence.
– redonner à la nation le contrôle du secteur pour coordonner et planifier une transition énergétique réussie ;
– financer la lutte contre le réchauffement climatique via l’impôt des plus riches, souvent les plus consommateurs de biens carbonés, en doublant le taux d’imposition de la dernière tranche.
Tarif unique basé sur les besoins :
– revoir le mode de facturation et le financement du service public en supprimant le cloisonnement actuel production – transport – distribution et services facteur de surcoûts ;
– coût déterminé en fonction des besoins d’investissement, d’exploitation, de maintenance et de renouvellement des infrastructures. Il doit inclure celui des services de proximité avec les usagers.
Fiscalité plus juste :
– TVA abaissée, dans un premier temps, à 5,5 % pour l’électricité et le gaz, biens de première nécessité, suppression dans un second temps ;
– suppression de la taxe CSPE.
Solidarité renforcée et un droit fondamental d’accès à l’énergie. A l’instar de la loi sur l’eau, instaurer l’interdiction des coupures énergétiques.
Infos sur : energie-servicepublic.com ou sur fnme-cgt.fr
Didier Balmand et Laurie Geronimo, délégués CGT à GEG.
Nationaliser les pertes, privatiser les profits
La technique de la filialisation pour ouvrir le capital au privé. Ça marche déjà à Gaz électricité Grenoble (GEG), par exemple.
« Hercule », réaménagé en « grand EDF », c’est ce projet qui prévoit de séparer EDF en trois entités, avec une partie ouverte à la concurrence.
EDF Vert regrouperait les activités les plus profitables comme les énergies renouvelables (petite hydraulique, éolien, photovoltaïque…) ainsi que les réseaux électriques d’Enedis, et serait ouvert aux investisseurs privés. EDF Bleu, comprendrait les activités sensibles, nécessitant des investissements lourds, comme le nucléaire. Elle resterait publique. Enfin, EDF Azur serait une filiale d’EDF Bleu qui aurait la charge des barrages hydroélectriques dont les concessions seraient également mises en concurrence.
Pour Didier Balmand, délégué CGT à GEG, « ce qui coûte de l’argent ils veulent le nationaliser pour que les Français payent, mais ce qui rapporte ils le privatisent ».
Le racket de la vente à perte
La justification avancée, c’est la dette. 42 milliards d’euros. Une « dette creusée artificiellement par des décisions politiques », constate Rudy Prepolesky, secrétaire général de la CGT Energie Isère. Son origine, c’est l’obligation pour EDF de vendre à perte à ses concurrents l’électricité d’origine nucléaire, des investissements désastreux en Amérique du Sud ou en Allemagne, et le recours aux marchés financiers pour verser des dividendes.
A Grenoble, nous connaissons déjà une organisation du type « grand EDF », celle de Gaz électricité Grenoble (GEG) et de ses filiales. Avec des actionnaires privés aux côtés du public et la récente décision de leur verser plus d’un million d’euros de dividendes. Et une crainte qu’exprime Rudy, pour Grenoble : 80 % des eaux de surfaces sont actuellement gérées par les barrages. Qu’adviendrait-il si le service public disparaissait au profit de la rentabilité financière ? « Grand EDF » pose la question au niveau national.
Jérémy Loizzo
Sabir Ramic, délégué CGT de Photowatt, à Bourgoin-Jailleu.
Photowatt, les idées solaires des salariés
Les salariés de Photowatt agissent depuis des mois pour empêcher la fermeture et développer leur entreprise. Le point avec Sabir Ramic, délégué CGT.
Deux options sont sur la table. La première, proposée par l’Etat, consisterait à céder intégralement, pour un euro symbolique, Photowatt à ECM Technologies (fours industriels photovoltaïques entre autres) en y injectant des dizaines de millions d’euros d’argent public. Cette entreprise grenobloise qui a déjà racheté SEMCO (machines industrielles pour le photovoltaïque, dans l’Hérault) en 2016 détiendrait ainsi un savoir-faire complet. « Mais rien n’est fait : EDF n’est pas vraiment d’accord pour donner l’entreprise, ni même pour racheter les panneaux photovoltaïques à ECM pendant 3 à 5 ans comme celle-ci le demande », commente Sabir Ramic.
La seconde option, c’est le maintien dans le giron d’EDF et le développement de nouveaux projets. « Le choix de l’une ou l’autre option se fera très prochainement, mais sans qu’on nous ait demandé notre avis, à nous les salariés. »
Une filière régionale de l’énergie solaire
Des salariés qui se prononcent pour rester filiale EDF. « Ces mois de bataille contre la cession de Photowatt par EDF ont permis de rapprocher les points de vue. Salariés et syndicats (CGT et CFE-CGC), nous sommes tous d’accord pour le maintien à 100 % au sein d’EDF. Mais nous demandons à être entendus car nous souhaitons véritablement intervenir sur les choix futurs de production. »
Car les salariés ont des idées. « Nous pensons qu’il faut investir pour porter notre capacité de production à un GigaW (actuellement de 200 MegaW), seule façon d’atteindre l’équilibre. » Samir Ramic propose d’intégrer ce développement au sein d’une filière industrielle régionale du solaire constituée avec des entreprises complémentaires : FerroPem, ECM, STMicroelectronics, AURA digital Solaire… Le tout lié à un pôle public de l’énergie autour d’EDF-GDF.
« Nous demandons aussi que les plans de relance nationaux et européens prennent réellement en compte la filière des énergies décarbonées et renouvelables. »
Didier Gosselin
Le statut des gaziers électriciens
La CGT de Photowatt revendique le statut des électriciens et gaziers créé en 1946 par le ministre communiste Marcel Paul. Outre que ce statut offre des protections sociales inégalées, il porte également, souligne Sabir Ramic, une exigence démocratique tout à fait moderne visant à associer les travailleurs à la gestion de l’entreprise. Malgré le refus d’EDF, cette revendication reste à l’ordre du jour, insiste le délégué CGT.
Quelle lutte politique?
Pour les communistes berjalliens, la lutte pour Photowatt n’est pas nouvelle. Elus et militants sont intervenus en 2012 pour exiger son intégration dans la filière EDF. Aujourd’hui, ils proposent d’aller plus loin et d’exiger la mise en place de nouvelles institutions. Dotées de moyens financiers et de pouvoirs démocratiques, elles permettront d’agir sur les entreprises et les banques pour construire la réponse économique aux besoins sociaux et écologiques, sécuriser emplois et formation.