Christiane Rossi, déléguée CGT à la clinique mutualiste : « Nous ne laisserons pas faire ! »

Adrea mutuelle, majoritaire au sein de l’Union mutualiste pour la gestion du groupement hospitalier mutualiste, a diligenté une étude en vue de la vente de la clinique mutualiste de Grenoble. Le passage au privé de ce fleuron de l’hospitalisation mutualiste suscite d’importantes réactions. Enjeux et décryptage.

 » Il n’existe donc pas à ce jour de décision de cession, concernant une partie ou même l’ensemble des activités de l’Union Mutualiste », déclarait en juillet dernier Pierre Szlingier directeur du cabinet et des relations institutionnelles d’Adrea mutuelle, à notre confrère La Tribune. La vente au privé lucratif des activités de la clinique mutualiste de Grenoble (et des différentes structures qui l’accompagnent) a pourtant été évoqué dès février 2019. L’ancien président du groupement hospitalier mutualiste (GHM) dont fait partie la clinique, Christian Jarry, en a témoigné publiquement : « Le président d’Adréa mutuelle m’avait déjà annoncé sa volonté de vendre le groupe. Fin février, il a demandé à participer à un CA où il a annoncé aux membres du conseil, aux côtés de son directeur financier, qu’il avait trouvé un acheteur privé lucratif et que tout pourrait être finalisé d’ici fin 2020 », indique-t-il.

Que s’est-il passé entre férvier et juillet  2019 ? « La rumeur a commencé à circuler, note Chirstiane Rossi, déléguée CGT, et une assemblée générale a été convoquée par la direction en avril pour rassurer mais aussi pour confirmer que la recherche d’investisseurs privés était en cours ». Des membres de la communauté médicale s’en sont inquiétés et la contestation du projet est remontée jusqu’au conseil d’administration : Adréa mutuelle – majoritaire au sein de la direction du GHM –, mutuelle présidé par Patrick Brothier, a dû écarter trois de ses délégués au sein du CA de l’Union mutualiste pour la gestion du groupement hospitalier mutualiste (UMG-GHM). Inquiétudes « au point que l’assemblée générale du personnel qui devait avoir lieu début juillet ne s’est finalement pas tenue », indique Christiane Rossi.

Ce qui a changé aussi, c’est une décision du conseil d’administration de l’UMG-GHM, en date du 8 avril. La direction d’Adréa mutuelle vouait faire adopter une délibération dans laquelle on pouvait lire : « décide de faire procéder à une étude visant la cession des activités de l’UMGGHM à une autre structure (…) A cet effet, le conseil d’administration mandate le cabinet Erst & Young… » Or, ce 8 avril, les administrateurs en ont modifié la rédaction. Le texte adopté est ainsi libellé : « autorise Adréa mutuelle à diligenter une étude – auprès du cabinet de son choix – visant la cession des activités ».

Bref, ça coince, et c’est sans doute ce qui a conduit cet été la direction d’Adréa mutuelle à indiquer que la vente n’était pas à l’ordre du jour. Une étude, seulement.

La clinique mutualiste rembourse les dépassements d’honoraires

« C’est sûr que c’est tellement énorme, la Mut vendue au privé, que personne ne veut y croire parmi le personnel, d’autant que les agents ont fait beaucoup d’efforts ces dernières années et que l’équilibre financier est quasiment atteint », note Christiane Rossi qui ajoute : nous avons informé les salariés des éléments en notre possession et nous verrons ce qu’il en est en septembre pour décider de ce que nous allons faire ».
Car l’enjeu est d’importance. 1 080 salariés et 200 médecins ; l’un des deux plus importants centre d’hospitalisation mutualiste avec celui de Nantes. Mais plus encore.

«  Le risque, c’est celui du développement d’une santé à deux vitesses », explique Christiane Rossi. Les médecins qui travaillent au sein du groupement mutualiste sont pour moitié salariés, libéraux pour l’autre. Les dépassements d’honoraires, que la loi contraint l’établissement à accepter, sont pris en charge soit par la mutuelle du patient, soit par l’éta-blissement hospitalier, ce qui est n’est pas le cas dans les cliniques privées lucratives. Établissements qui n’assurent pas non plus de missions de service public comme les urgences 24h/24. Dans ces conditions, la vente au privé lucratif serait un recul pour l’accès à la santé en Isère.

Et tout cela intervient dans un contexte de concentration de l’hospitalisation privée. D’origine stéphanoise, le groupe C2S a racheté sept cliniques en Rhône-Alpes et Franche-Comté depuis 2015, dont la clinique Belledonne à Saint-Martin-d’Hères en juin dernier. C2S est soutenu par le fonds d’investissement Eurazeo, qui gère 17,7 milliards d’euros d’actifs et intervient de New York à Shanghaï. Et C2S « n’exclut pas » de nouveaux regroupements, « à moyen terme ». Reste donc à « regrouper », dans l’agglomération grenobloise, la clinique des Cèdres et la Mut…

« La Mut, c’est le travail de générations de mutualistes, pied à pied, depuis son ouverture en 1958, et c’est un atout pour la santé », souligne Christiane Rossi. « Nous ne laisserons pas faire. »

Où en est-on ?

Ce qui a officiellement été décidé, pour l’heure, l’a été par le conseil d’administration de l’UMG-GHM, le 8 avril dernier. Une délibération, adoptée à l’unanimité, « autorise Adréa mutuelle à diligenter à ses frais une étude – auprès du cabinet de son choix – visant la cession des activités de l’UMG-GHM à une autre structure. Le cabinet ren-dra compte de l’avancée de ses travaux devant le conseil d’administration de l’union lors des prochaines réunions ».

Un hôpital sous perfusion ?

C’est la thèse des promoteurs de la vente des activités du groupement hospitalier. Pour ces derniers, il faudrait sortir d’un logique de subventions à la clinique mutualiste et assurer une gestion plus rigoureuse. Le problème, c’est que les comptes du groupement sont pratiquement à l’équilibre en 2018 et que la SCIMI se porte comme un charme. Point besoin de subventions, donc.

L’autre argument, c’est l’augmentation des obligations légales en matière de risque prudentiel. Des réserves obli-gatoires qu’Adréa mutuelle a l’obligation de constituer. Mais Adréa n’a communiqué aucun chiffre à ce sujet.

La Mut, qui décide ?

La clinique mutualiste – mais aussi la clinique de Chartreuse à Voiron, des laboratoires d’analyse, centres dentaires… – est gérée par l’Union mutualiste pour la gestion du groupe hospitalier mutualiste (UMG-GHM), structure créée en 2008. Son conseil d’administration est composé de délégués de deux unions mutualistes : Adréa mutuelle, majoritaire avec six administrateurs qu’elle désigne et la Mutualité française Isère services de
soins et d’action mutualiste (MFI-SSAM), avec quatre administrateurs.  La décision de vendre relève de l’UMG-GHM, les représentants d’Adréa y étant majoritaires.

Les bâtiments sont gérés par une société immobilière mutualiste, en excellente santé.

Une note interne qui avance des explications

Jérôme Alexandre est à l’initiative d’une pétition en ligne contre la vente de la clinique mutualiste. C’est aussi un ancien membre du conseil d’administration de l’UMG-GHM, débarqué par Adréa mutuelle pour prises de position non conformes.

Il est l’auteur d’une note interne qu’il conclut en ces termes : « je ne porterai pas la honte d’avoir détruit ce que temps d’autres avant nous ont construit ». Note qui démontre la bonne santé financière de l’ensemble constitué par le groupement hospitalier et la Société civile immobilière de la mutualité de l’Isère (SCIMI) – qui gère ses bâtiments –, et la bonne opération réalisée par la vente de l’ancienne clinique des bains, rue Thiers. Et estime que le but d’une éventuelle cession n’est pas à chercher ailleurs que dans la volonté de « renflouer les fonds propres d’Adréa mutuelle » pour en accroître le poids au sein d’Aesio.

Cette note pose également une question : « à quoi servent les réserves financières de la SCIMI » (bénéficiaire de près de deux millions d’euros en 2017), société dont l’objet est de « porter les murs et aider au développement du GHM ? »

Pascal Dupas, CGT santé, et Robert Rabatel, ancien administrateur mutualiste.

Un statut, celui de service privé d’intérêt collectif

La CGT souligne que l’ensemble mutualiste contribue à la permanence du service public. Et refuse une vente au privé lucratif.

« Le groupement hospitalier mutualiste de Grenoble, dont la Mut’ fait partie, c’est un statut, celui d’établissement se santé privé d’intérêt collectif, qui gère un service public; il n’est pas question pour la CGT que cet ensemble passe au privé lucratif. » Pascal Dupas, responsable de la CGT santé et Robert Raba-tel, ancien administrateur de du groupement, rappellent que la clinique mutualiste demeure aujourd’hui le seul établissement, avec l’hôpital public, qui échappe au secteur privé. La clinique travaille étroitement avec le CHU, assure des urgences en continu, constitue un pôle de dimension nationale en cancérologie notamment…

Pascal Dupas note que le groupement hospitalier mutualiste vient de réaliser l’acquisition de la clinique Chartreuse, à Voiron. « Cette clinique va être installée au premier étage de l’hôpital de Voiron – actuellement en construction – qui va lui-même fusionner avec le CHU de Grenoble à partir du 1er janvier prochain. Vendre au privé, ce serait installer le système de santé lucratif au sein même de l’hôpital public. »

Une clinique dans les murs de l’hôpital de Voiron

Le syndicat souligne par ailleurs que la convention collective des personnels des cliniques privées n’offre pas les mêmes garanties que celle du secteur non lucratif. « Nous risquerions de constater une fuite des professionnels du groupement mutualiste vers d’autres établissements. »

Le syndicat est donc mobilisé pour que l’établissement demeure dans le giron de l’économie sociale et solidaire. « Cette vente ne doit pas avoir lieu, soulignent Pascal Dupas et Robert Rabatel, et si Adréa souhaite se désengager, ce doit être au profit d’autres mutuelles, voire d’une intégration au sein de l’hôpital public. »

La CGT a fait écrit aux maires pour leur faire part de son inquiétude et leur demander d’intervenir.

signatures

sur la pétition sur la pétition en ligne « Non à la vente par Adréa mutuelle des cliniques mutualistes de Grenoble au privé lucratif ». Chiffre totalisé le 24 août 2019.

« Une offre qui peut disparaître »

Le docteur Nicolas Albin, responsable médical de l’Institut de cancérologie Daniel Hollard, a pris position publiquement. Il écrit notamment : « Dans le domaine du cancer, sur le site du GHM, nous mettons à disposition de la population une offre de soins globalisée (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, médecine polyvalente, soins continus, soins palliatifs… ) qui peut disparaître ou être notablement amputée en cas de rachat privé lucratif. »

La ville de Grenoble « attentive »

Mondane Jactat, adjointe à la santé de la ville de Grenoble, a rencontré les dirigeant d’Adréa mutuelle. Elle indique que « cette vente ne doit pas favori-ser la venue d’établissements qui spéculeraient sur la santé, s’adressant de fait unique-ment aux plus riches ». Elle précise que les dirigeants d’Adréa « se sont engagés à ce que le futur repreneur soit évalué avant tout sur des cri-tères relatifs au projet médi-cal et aux valeurs que celui-ci porterait, avant de considérer les aspects financiers ». La ville restera attentive à ce qu’une « offre accessible à tous soit maintenue ».

Adréa mutuelle

La mutuelle a été créée en 1999 par la fusion de trois mutuelles rhône-alpines. Le groupe s’élargit et compte huit mutuelles (dont la Caisse chirurgi-cale mutualiste de l’Isère et des Hautes-Alpes, les Mutuelles de Savoie ou les Mutuelles de l’Ain…) qui fusionnent et prennent chacune l’appellation d’Adréa. Adréa mutuelle des Alpes et du Dauphiné, par exemple. En 2016, le groupe se rapproche de deux autres mutuelles, Apréva mutuelle et EOVI MCD, pour fonder le groupe Aésio. Adréa mutuelle emploie 1 241 salariés et a réalisé un chiffre d’affaires en santé de 683 millions d’euros en 2018.

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