Universités. Elles vont recruter comme une entreprise

Par Luc Renaud

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Sélection sociale. C’est le maître mot des décisions gouvernementales prises pour l’université. Avec la perspective d’une baisse du nombre de jeunes qui auront accès à l’enseignement supérieur et en sortiront avec un diplôme. Restera à se payer une école privée... pour ceux qui le pourront. Témoignages et analyses avec des étudiants grenoblois.

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Emmy, Maxime, Emeric, Max et Sylvain.

« On va entrer à l’université comme on entre sur le mar­ché du tra­vail ; CV, lettre de moti­va­tion… c’est la fac qui va recru­ter ses étu­diants, choi­sir ceux qu’elle estime les meilleurs, comme le patron recrute ses sala­riés ». Eme­ric Vibert, en mas­ter d’ingénierie méca­nique, résume la phi­lo­so­phie de la der­nière créa­tion gou­ver­ne­men­tale, Par­cour­sup. Ce dis­po­si­tif qui rem­place le trop célèbre Admis­sion post bac (APB) qui avait fait l’unanimité contre lui. « Ce n’est pas parce que ça ne mar­chait pas qu’il faut faire pire », com­mente Lucie, lycéenne à la Côte-Saint-André.

Au coeur du domaine uni­ver­si­taire, l’am­phi Louis Weil.

Car Par­cour­sup et les réformes des cur­sus lycéens et uni­ver­si­taires qui l’accompagne, c’est la consé­cra­tion de la sélec­tion sociale. En fin de troi­sième, pour les trois ans qui pré­cèdent le bac, le col­lé­gien devra choi­sir des domi­nantes dans sa for­ma­tion. « C’est la fin d’un socle com­mun de connais­sances qui per­mette de se réorien­ter, de chan­ger d’avis, de se décou­vrir un inté­rêt pour une matière qu’on connais­sait mal », constate Syl­vain Col­le­not, étu­diant sala­rié en deuxième année de socio­lo­gie. Le lycéen arrive au bac, affronte Par­cour­sup dès jan­vier et passe son bac en mai juin. Il doit alors prou­ver que son par­cours de for­ma­tion est com­pa­tible avec le for­ma­tion uni­ver­si­taire qu’il vou­drait suivre. Plus ques­tion de pas­ser un bac à domi­nante scien­ti­fique et de s’inscrire en lettres sous pré­texte qu’on s’est décou­vert une pas­sion pour la lit­té­ra­ture.

Entrer à la fac sur CV et lettre de motivation. Bientôt de recommandation ?

Mais c’est autre­ment plus grave. Emmy Marc, étu­diante en pre­mière année d’anglais, explique. « Le CV et la lettre de moti­va­tion, ça va don­ner un avan­tage au lycéen qui a des livres à la mai­son, des clas­siques qu’il pour­ra citer, au lycéen qui aura pu faire des stages inté­res­sants parce que ses parents ont des rela­tions, qui sort d’un lycée dont la fac qui recrute a bonne impres­sion, puisque le bac sera déli­vré beau­coup sur contrôle conti­nu… ». Selon que vous venez de la ban­lieue ou que vous êtes enfant d’ingénieurs, vous ne serez pas recru­té par la même uni­ver­si­té. Sélec­tion sociale XXL. Et créa­tion d’universités d’élite et de « fac pour pauvres », en fonc­tion des exi­gences – « les atten­dus » – des uni­ver­si­tés pour fran­chir Par­cour­sup. « J’ai pas­sé le bac par cor­res­pon­dance, ajoute Emmy, c’est plus dif­fi­cile d’étudier sans enca­dre­ment, avec les notes de mon dos­sier sco­laire, je n’aurais peut-être pas été prise à Gre­noble ».
Sélec­tion sociale à l’entrée, sélec­tion sociale dans la fou­lée, à la fac : le pro­blème de la fin de la com­pen­sa­tion des notes. Aujourd’hui, dans la plu­part des cas, une note infé­rieure à la moyenne dans une matière peut être com­pen­sée par un bonne note dans une autre matière. Un semestre insuf­fi­sant par un autre. Quand on tra­vaille pour finan­cer ses études, le cas de 46 % des étu­diants selon l’Observatoire de la vie étu­diante, il est impos­sible de par­ti­ci­per à tous les cours… et d’être bon par­tout. Plus lar­ge­ment, Syl­vain constate : « pour réduire les coûts, la fac mutua­lise : en licence, il faut faire de la socio, de la psy­cho et des sciences de l’éducation. C’est très dif­fé­rent et on n’est pas obli­gé de s’intéresser à la psy­cho quand on veut faire de la socio et inver­se­ment : l’absence de com­pen­sa­tion va induire une mul­ti­pli­ca­tion des échecs ».

Les aban­dons en cours de for­ma­tion, c’est ce qui est mis en avant pour jus­ti­fier la sélec­tion. Sauf que le gou­ver­ne­ment oublie que les aban­dons, ce sont sou­vent des réorien­ta­tions. Un chiffre est tabou : selon une étude de l’Organisation de coopé­ra­tion et de déve­lop­pe­ment éco­no­mique (OCDE), 80% des jeunes qui entrent dans le sys­tème uni­ver­si­taire fran­çais en res­sortent avec un diplôme. Tout sim­ple­ment le record des pays déve­lop­pés…
L’information com­mence à cir­cu­ler. Avec dif­fi­cul­té. « Les lycéens et leurs parents prennent peur, témoigne Lucie, moi, clai­re­ment, je crois que la pro­tes­ta­tion va gran­dir ; quand on sort du lycée Ber­lioz de la Côte-Saint-André, je ne sais pas à quelle fac on va avoir droit ». A Gre­noble, quelques lycées ont bou­gé, de pre­mières assem­blées géné­rales à la fac, des mani­fes­ta­tions ont eu lieu en février, avant les vacances. « Entre syn­di­cats – l’Unef, Sud étu­diant et la Licorne –, nous com­men­çons à tra­vailler ensemble ; on n’a pas le choix de la divi­sion », note Emmy, adhé­rente à la Licorne. Côté poli­tique, l’Union des étu­diants com­mu­nistes et le NPA sont actifs à la fac.
Le prin­temps pour­rait être mou­ve­men­té. 50 ans après mai 68.

Le res­tau­rant uni­ver­si­taire Dide­rot.

Pourquoi cette barrière à l’entrée de la fac

Nouveau bac, nouvelles règles à l’université… un objectif : individualiser formations et diplômes ; réduire les coûts par la sélection.

Gwe­naël Dela­val et Laurent Ter­rier.

Cohé­rence. De la classe de troi­sième au Code du tra­vail. Laurent Ter­rier ana­lyse. « L’ado de 15 ans cen­sé choi­sir un par­cours indi­vi­duel de for­ma­tion. Il obtient un bac « indi­vi­duel », qui n’est plus natio­nal, dépend de fait de son lycée. Il entre dans une fac qui vou­dra bien le prendre, sor­ti­ra avec un diplôme sans vraie valeur natio­nale. Sur le mar­ché du tra­vail, il res­te­ra un indi­vi­du sans diplôme recon­nu par une conven­tion col­lec­tive… tout cela va dans le même sens, celui de construire une rela­tion de gré à gré entre l’entreprise et le sala­rié ».
La créa­tion de Par­cour­sup est un des élé­ments du dis­po­si­tif. « L’un des argu­ments de cette sélec­tion, c’est le oui si, note Gwe­naël Dela­val, oui à l’inscription si le lycéen maî­trise telle et telle connais­sance — ce sont les ‘‘atten­dus’’, natio­naux et locaux. Avec, dit la ministre, la pos­si­bi­li­té de sorte de ‘‘cours de rat­tra­page’’ avant d’entrer en fac. Sauf que rien n’est orga­ni­sé pour ça et sur­tout aucun finan­ce­ment n’est pré­vu ». Reste la sélec­tion sèche.
Concer­nant les atten­dus, c’est d’ailleurs la bou­teille à l’encre. A Gre­noble, étu­diants et ensei­gnants, face à des infor­ma­tions contra­dic­toires, ne savent pas très bien si des « atten­dus locaux » par for­ma­tion sont ou non com­mu­ni­qués au minis­tère.
Sélec­tion à l’entrée de l’université, entre la licence et le mas­ter, au cours des études… le gou­ver­ne­ment cherche-t-il à dimi­nuer le nombre d’étudiants ? Trop d’étudiants, trop chers ? « Notre socié­té ne souffre pas de trop de connais­sances et de qua­li­fi­ca­tions, mais d’un gâchis de ces qua­li­fi­ca­tions », rap­pelle Gwe­naël Dela­val.

Financement de la recherche

« C’était un temps que je n’ai pas connu : les labo­ra­toires de recherche dis­po­saient d’un bud­get pour déve­lop­per leurs tra­vaux ». Gwe­naël Dela­val se fie à des témoi­gnages. Aujourd’hui, il connaît. « Nous sommes main­te­nant ‘‘modernes’’ : tous les pro­grammes de recherche sont finan­cés après réponse à des appels à pro­jets lan­cés par l’Agence natio­nale de la recherche. Votre labo est finan­cé si le dos­sier pré­sen­té est jugé meilleur qu’un autre ». Le pro­blème, c’est qu’une part impor­tante de l’activité des cher­cheurs consiste désor­mais à répondre à ces appels pour assu­rer le finan­ce­ment de leur acti­vi­té. Rem­plir des dos­siers, autant de temps per­du pour la recherche. Le sys­tème prend une ampleur nou­velle : aujourd’hui, une qua­ran­taine de per­sonnes tra­vaille dans un ser­vice de l’université Gre­noble Alpes pour aider les labos à répondre aux appels. Qua­rante per­sonnes en concur­rence avec d’autres ser­vices dans d’autres uni­ver­si­tés fran­çaises, qui tra­vaillent eux aus­si pour piquer le bud­get du voi­sin…
Et le même sys­tème se déve­loppe au sein même de l’UGA, entre labos gre­no­blois… les cher­cheurs évoquent le sens per­du de leur tra­vail.

5000

per­sonnes

tra­vaillent à l’université Gre­noble Alpes dont la moi­tié d’enseignants cher­cheurs. Il faut y ajou­ter les doc­to­rants et vaca­taires qui assurent une par­tie des cours. 65 000 étu­diants fré­quentent les uni­ver­si­tés gre­no­bloises.

Pas assez de profs

For­mer des étu­diants, c’est d’abord être capable de mettre des ensei­gnants devant eux. Profs en nombre insuf­fi­sant pour que ce soit pos­sible dans les TP d’informatique, par exemple…

« Je suis, en fait, contractuel à mi-temps »

Les premiers touchés par la réforme de l’université sont les étudiants-salariés.

Maxime Mar­ti­net.

Ta situa­tion d’étudiant-salarié ?
Maxime Mar­ti­net : J’ai 22 ans. Je suis étu­diant en troi­sième année de psy­cho­lo­gie et je tra­vaille au col­lège Jules Val­lès en tant qu’accompagnant d’éducateurs en situa­tion de han­di­cap. Mon tra­vail consiste à secon­der une pro­fes­seure de fran­çais ; je l’aide sur­tout pour la dis­ci­pline de ses deux classes de cin­quièmes.
Com­ment tes cours et ton tra­vail se répar­tissent-ils sur la semaine ?
M.M. : Je fais treize heures au col­lège, répar­ties sur trois jours, je suis en fait contrac­tuel à mi-temps ; et j’ai 24 heures de cours à la fac, dont douze heures en pré­sence obli­ga­toire. Le sta­tut d’étudiant-salarié est peu (voire pas) pris en compte par l’administration de la fac. Heu­reu­se­ment que je tra­vaille dans un éta­blis­se­ment public qui a été com­pré­hen­sif. Cela ne se passe pas comme ça pour tous les étu­diants sala­riés.
Je dois quand même faire l’impasse sur les cours magis­traux puisqu’ils tombent les jours pen­dant les­quels je tra­vaille. A cause de cela, je sais déjà qu’il y a au moins deux matières que je n’aurai pas tra­vaillées avant les exa­mens, faute d’assister aux cours, et de les rat­tra­per par manque de temps.
La réforme qui veut sup­pri­mer la com­pen­sa­tion d’une note par une autre ou d’un semestre par un autre, va avoir un impact direct sur ta sco­la­ri­té.
M.M. : Il fau­dra avoir la moyenne par­tout et tout le temps. Cela devient pro­blé­ma­tique puisqu’avec mon tra­vail je ne peux pas assu­rer par­tout.
Et quand bien même je passe avec la moyenne il reste à fran­chir « la sélec­tion mas­ter ». L’entrée en mas­ter sur dos­sier péna­lise aus­si les étu­diants-sala­riés qui obtiennent tout juste leur licence.

0

euros

C’est le mon­tant de la bourse de Maxime.

Privé de bourse

Après son bac en 2012, Maxime réus­sit un BTS infor­ma­tique. Puis se réoriente en licence de psy­cho­lo­gie. Il s’y épa­nouit, mais redouble sa pre­mière année. La bourse ne suit pas : elle saute en sep­tembre der­nier – une bourse d’échelon maxi­mum, c’est 550 euros par mois sur dix mois.
Les étu­diants ont droit à cinq bourses avant licence : deux ans de BTS, deux pre­mières années de licence, une deuxième année… en troi­sième année, Maxime n’y a plus droit. Il devra attendre l’entrée en mas­ter pour la rede­man­der. Même avec une bourse, il tra­vaille­ra à temps plein de mai à août pour se lais­ser « une marge ».

Le métier dont il rêve

Après sa licence de psy­cho, Maxime vou­drait entrer en mas­ter ensei­gne­ment-édu­ca­tion. Et deve­nir conseiller prin­ci­pal d’éducation. Il va subir la réforme « sélec­tion en mas­ter », ins­ti­tuée par Najat Val­laud-Bel­ka­cem, ministre de l’Education du gou­ver­ne­ment Hol­lande.
Les étu­diants sont triés à la fin de leur licence par exa­men des dos­siers sco­laires, concours ou entre­tiens. Les étu­diants-sala­riés sont les plus tou­chés. Maxime, même avec son expé­rience pro­fes­sion­nelle et sa licence, va être confron­té à la loi injuste de la sélec­tion. L’université ouverte à tous ?

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