Atos. « On se fait laminer ! » : pour la CGT, une seule solution, la nationalisation
Par Manuel Pavard
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Le sujet s’est déjà invité à plusieurs reprises dans les débats parlementaires, notamment à l’initiative des élus communistes et insoumis. Dernier épisode en date le 5 novembre 2025, lors des discussions sur le projet de budget 2026, avec un amendement déposé par le député LFI Aurélien Saintoul demandant « la nationalisation complète du groupe Atos ». Une revendication que la CGT porte, elle, depuis plus de deux ans sans discontinuer, à l’image de ses multiples interventions sur le sujet au Sénat et à l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui encore, « [sa] ligne n’a pas changé », assure Pascal Besson, coordinateur adjoint de la CGT Atos et représentant syndical au CSE, tout en reconnaissant un curieux paradoxe : « On défend la nationalisation pour sauver l’entreprise alors qu’une partie est vendue à l’État. » Il fait ici référence à la vente, pour 410 millions d’euros, de l’entité HPC (fabrication et gestion des supercalculateurs) — héritière de Bull — à l’Agence de participation de l’État (APE). Un accord annoncé en juin dernier mais qui sera effectif à partir du premier semestre 2026.
Vente à la découpe
À première vue, l’opération pourrait sembler plutôt bénéfique. L’État français fait ainsi l’acquisition d’une branche stratégique, vitale pour la dissuasion nucléaire et la recherche scientifique. Fabriqués à Angers, les supercalculateurs d’Atos sont notamment utilisés par le CEA pour la simulation nucléaire ou encore par Météo-France pour les prévisions météorologiques et les modélisations climatiques.
D’ailleurs, la CGT elle-même avait fait appel à l’État « pour combler la dette » faramineuse d’Atos — montée jusqu’à 5 milliards d’euros — et « pour défendre la souveraineté numérique » du pays. Mais, corrige Pascal Besson, « on voulait sauver l’ensemble de la boîte. Or, il s’agit là de vente à la découpe. » Nuance de taille.
Quid en effet des services restants ? Forfaits d’accompagnement chez les clients, régies, entretien des structures, maintenance opérationnelle des applications… De FranceConnect à l’Assurance maladie, en passant par la SNCF, la Caisse des dépôts ou EDF, de nombreux logiciels utilisés au quotidien par les Français sont gérés par Atos. Sans compter la sécurité informatique des collectivités territoriales.
« À Échirolles, c’est catastrophique »
Pascal Besson peine à cacher son dépit. Aujourd’hui, l’objectif à court terme de la CGT est de « sauver les meubles », avoue-t-il. Pas de résignation mais un constat lucide : « Le démantèlement était prévu, avec la vente de Worldgrid ; maintenant, c’est fait. » Atos a ainsi finalisé la vente de son activité Worldgrid (qui fournit des services d’ingénierie pour les entreprises du secteur de l’énergie et des services publics) à Alten, en décembre 2024, pour 270 millions d’euros. Sur le site d’Échirolles, qui comptait environ 1 000 salariés avant la cession, l’impact a été presque immédiat :« 500 personnes sont passées sous le giron d’Alten », précise le syndicaliste.

Avec la vente de HPC, ce sont en outre 1 200 à 1 300 salariés supplémentaires qui vont quitter les effectifs d’Atos, en France. « À Échirolles, c’est catastrophique », se désole Pascal Besson. Une hémorragie qui touche même la section syndicale CGT locale, « passée de vingt-deux avant la vente de Worldgrid, à douze, puis à deux après la cession de HPC ».
On observe « la même dépréciation » aux niveaux national et international. En septembre 2023, « le groupe Atos comptait 110 000 salariés, dont 11 000 en France ; aujourd’hui, l’effectif est en-dessous de 70 000, dont environ 9 600 en France » — chiffre qui tombera donc à un peu plus de 8 000 après le départ de HPC -, détaille la CGT Atos dans une lettre ouverte adressée aux salariés et aux dirigeants de l’entreprise ainsi qu’aux décideurs politiques, en septembre 2025. « On est en train de se faire laminer », résume Pascal Besson.
Pression, harcèlement, démissions forcées, licenciements abusifs
Malgré ce sombre tableau, la CGT conserve « toujours le même but : sauvegarder l’emploi ». À ce stade, la direction a évoqué un PSE de 135 emplois, qui concerne aux deux tiers les fonctions support (commerciaux, service communication, marketing…) et pour un tiers l’opérationnel. Néanmoins, la vague de départs sur l’année 2025 atteint en réalité « plusieurs centaines de personnes », dépassant largement les 135 postes annoncés, souligne le délégué syndical.
C’est notamment le résultat, selon lui, de « l’énorme pression mise sur les salariés », avec une charge de travail difficilement supportable et des effectifs allégés. Pascal Besson dénonce une stratégie délibérée de la direction : « Des salariés sont poussés à la démission, d’autres sont licenciés pour inaptitude alors qu’ils sont là depuis quinze ans… » Autre technique malveillante, des objectifs inaccessibles sont fixés, par exemple, à des commerciaux. L’échec inévitable fait alors office de prétexte pour engager une procédure de licenciement, au motif d’une insuffisance de résultats.
« Le harcèlement des salariés en intermission, les licenciements abusifs, les ruptures conventionnelles forcées, la discrimination liée à l’âge ou au sexe sont devenus le quotidien de nos collègues », accuse la CGT Atos dans sa lettre ouverte. « L’employeur mène un plan social à bas bruit et s’exempte de ses obligations en termes de formation, d’encadrement et de prévention des risques psycho-sociaux », ajoute le syndicat.
« Les marionnettes des actionnaires »
Difficile pourtant de parler d’économies quand les dirigeants profitent indûment des primes et parts variables, « même lorsque leurs entités sont en déficit », tandis que les honoraires de jetons de présence au conseil d’administration sont doublés. « En 2025, quatre-vingt-huit privilégiés ont bénéficié de ces largesses pour un montant de 5,5 millions d’euros, soit 62 500 euros par personne, alors que les négociations salariales ont abouti à une misérable revalorisation moyenne de 0.62 % pour les neuf mille salariés qui créent la richesse dans l’entreprise », s’insurge la CGT.

Pascal Besson, lui, n’est pas tendre avec la direction d’Atos : « Les gens aux manettes n’ont aucune vision globale. Ce ne sont pas des industriels mais des purs financiers qui ne connaissent rien au métier. » Depuis fin 2024, affirme-t-il, ces dirigeants ne sont que « les marionnettes » et même « le bras armé des actionnaires ».
Un plan de restructuration de la dette en trompe-l’œil
En cause, le plan de restructuration de la dette validé, fin 2024, par le tribunal de commerce, qui a entériné la reprise d’Atos par ses créanciers, devenus les principaux actionnaires du groupe. Une partie de la dette a donc été en partie effacée, celle-ci passant de 5 à 3 milliards d’euros environ. Un succès en trompe-l’œil. L’objectif de restructuration fixé à l’époque par la justice est en effet « déjà obsolète » un an plus tard, d’après la CGT, « puisque le plan d’affaire associé prenait en compte des activités rémunératrices qui ont été vendues depuis (WorldGrid et supercalculateurs) ».
Et même si la direction du groupe se félicitait alors de ne pas avoir d’échéance de remboursement de la dette avant 2029, les perspectives n’incitent guère à l’optimisme. « Rembourser près de 3 milliards de dette d’ici là, en l’état actuel des choses, Atos est incapable de le faire », estime Pascal Besson. Loin d’être sauvée, l’entreprise a au contraire été « livrée aux vautours de la finance pour un démantèlement en règle », s’indigne la CGT Atos.
« La conclusion la plus rationnelle, la nationalisation »
Dès lors, que peuvent espérer les salariés et que peut faire le syndicat ? « On va essayer de toute faire pour qu’il y ait le moins de licenciements possibles », indique le responsable syndical, promettant de « combattre le PSE par tous les moyens légaux ». Pour le reste, la France est-elle prête à brader ce qui reste d’Atos, donc la gestion des données des citoyens, au plus offrant ? Car c’est bien de la souveraineté numérique dont il s’agit.
Soutenue sur ce point par le PCF ou LFI, la CGT n’a en revanche « aucun soutien du gouvernement », déplore Pascal Besson. Sans grande surprise toutefois. « La souveraineté, ce n’est pas la tasse de thé de ce gouvernement », ironise-t-il. D’où la requête formulée par la CGT Atos dans sa lettre ouverte : « Le gouvernement refusant d’être clairvoyant sur la situation d’Atos, les représentants parlementaires doivent posent la question critique : quelle est la cartographie des risques pour la population française et les services d’État si Atos fait défaut ? Et d’en déduire la conclusion la plus rationnelle : la nationalisation. »


