Atos. « On se fait laminer ! » : pour la CGT, une seule solution, la nationalisation

Par Manuel Pavard

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Pascal Besson, coordinateur adjoint du syndicat CGT Atos, sur la terrasse du site d'Échirolles.
Après la cession de sa filiale Worldgrid fin 2024, Atos a annoncé en juin 2025 la vente de son entité HPC (fabrication et gestion des supercalculateurs) à l'Agence de participation de l'État. Des décisions entérinant la vente à la découpe du groupe, déplore la CGT, qui espérait préserver Atos dans son intégralité. Pour le syndicat, seule la nationalisation totale permettrait de sauver les activités et emplois restants - notamment sur le site d'Échirolles, lourdement touché. Il en va du bien-être des salariés et de la souveraineté numérique du pays.

Le sujet s’est déjà invi­té à plu­sieurs reprises dans les débats par­le­men­taires, notam­ment à l’i­ni­tia­tive des élus com­mu­nistes et insou­mis. Der­nier épi­sode en date le 5 novembre 2025, lors des dis­cus­sions sur le pro­jet de bud­get 2026, avec un amen­de­ment dépo­sé par le dépu­té LFI Auré­lien Sain­toul deman­dant « la natio­na­li­sa­tion com­plète du groupe Atos ». Une reven­di­ca­tion que la CGT porte, elle, depuis plus de deux ans sans dis­con­ti­nuer, à l’i­mage de ses mul­tiples inter­ven­tions sur le sujet au Sénat et à l’As­sem­blée natio­nale.

Aujourd’­hui encore, « [sa] ligne n’a pas chan­gé », assure Pas­cal Bes­son, coor­di­na­teur adjoint de la CGT Atos et repré­sen­tant syn­di­cal au CSE, tout en recon­nais­sant un curieux para­doxe : « On défend la natio­na­li­sa­tion pour sau­ver l’en­tre­prise alors qu’une par­tie est ven­due à l’É­tat. » Il fait ici réfé­rence à la vente, pour 410 mil­lions d’eu­ros, de l’en­ti­té HPC (fabri­ca­tion et ges­tion des super­cal­cu­la­teurs) — héri­tière de Bull — à l’A­gence de par­ti­ci­pa­tion de l’É­tat (APE). Un accord annon­cé en juin der­nier mais qui sera effec­tif à par­tir du pre­mier semestre 2026.

Vente à la découpe

À pre­mière vue, l’o­pé­ra­tion pour­rait sem­bler plu­tôt béné­fique. L’É­tat fran­çais fait ain­si l’ac­qui­si­tion d’une branche stra­té­gique, vitale pour la dis­sua­sion nucléaire et la recherche scien­ti­fique. Fabri­qués à Angers, les super­cal­cu­la­teurs d’A­tos sont notam­ment uti­li­sés par le CEA pour la simu­la­tion nucléaire ou encore par Météo-France pour les pré­vi­sions météo­ro­lo­giques et les modé­li­sa­tions cli­ma­tiques.

D’ailleurs, la CGT elle-même avait fait appel à l’É­tat « pour com­bler la dette » fara­mi­neuse d’A­tos — mon­tée jus­qu’à 5 mil­liards d’eu­ros — et « pour défendre la sou­ve­rai­ne­té numé­rique » du pays. Mais, cor­rige Pas­cal Bes­son, « on vou­lait sau­ver l’en­semble de la boîte. Or, il s’a­git là de vente à la découpe. » Nuance de taille.

Quid en effet des ser­vices res­tants ? For­faits d’ac­com­pa­gne­ment chez les clients, régies, entre­tien des struc­tures, main­te­nance opé­ra­tion­nelle des appli­ca­tions… De Fran­ce­Con­nect à l’As­su­rance mala­die, en pas­sant par la SNCF, la Caisse des dépôts ou EDF, de nom­breux logi­ciels uti­li­sés au quo­ti­dien par les Fran­çais sont gérés par Atos. Sans comp­ter la sécu­ri­té infor­ma­tique des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales.

« À Échirolles, c’est catastrophique »

Pas­cal Bes­son peine à cacher son dépit. Aujourd’­hui, l’ob­jec­tif à court terme de la CGT est de « sau­ver les meubles », avoue-t-il. Pas de rési­gna­tion mais un constat lucide : « Le déman­tè­le­ment était pré­vu, avec la vente de World­grid ; main­te­nant, c’est fait. » Atos a ain­si fina­li­sé la vente de son acti­vi­té World­grid (qui four­nit des ser­vices d’in­gé­nie­rie pour les entre­prises du sec­teur de l’éner­gie et des ser­vices publics) à Alten, en décembre 2024, pour 270 mil­lions d’eu­ros. Sur le site d’É­chi­rolles, qui comp­tait envi­ron 1 000 sala­riés avant la ces­sion, l’im­pact a été presque immé­diat :« 500 per­sonnes sont pas­sées sous le giron d’Al­ten », pré­cise le syn­di­ca­liste.

Le cam­pus Ise­ran, centre de recherche et déve­lop­pe­ment d’A­tos inau­gu­ré en 2022 à Échi­rolles.

Avec la vente de HPC, ce sont en outre 1 200 à 1 300 sala­riés sup­plé­men­taires qui vont quit­ter les effec­tifs d’A­tos, en France. « À Échi­rolles, c’est catas­tro­phique », se désole Pas­cal Bes­son. Une hémor­ra­gie qui touche même la sec­tion syn­di­cale CGT locale, « pas­sée de vingt-deux avant la vente de World­grid, à douze, puis à deux après la ces­sion de HPC ».

On observe « la même dépré­cia­tion » aux niveaux natio­nal et inter­na­tio­nal. En sep­tembre 2023, « le groupe Atos comp­tait 110 000 sala­riés, dont 11 000 en France ; aujourd’hui, l’effectif est en-des­sous de 70 000, dont envi­ron 9 600 en France » — chiffre qui tom­be­ra donc à un peu plus de 8 000 après le départ de HPC -, détaille la CGT Atos dans une lettre ouverte adres­sée aux sala­riés et aux diri­geants de l’en­tre­prise ain­si qu’aux déci­deurs poli­tiques, en sep­tembre 2025. « On est en train de se faire lami­ner », résume Pas­cal Bes­son.

Pression, harcèlement, démissions forcées, licenciements abusifs

Mal­gré ce sombre tableau, la CGT conserve « tou­jours le même but : sau­ve­gar­der l’emploi ». À ce stade, la direc­tion a évo­qué un PSE de 135 emplois, qui concerne aux deux tiers les fonc­tions sup­port (com­mer­ciaux, ser­vice com­mu­ni­ca­tion, mar­ke­ting…) et pour un tiers l’o­pé­ra­tion­nel. Néan­moins, la vague de départs sur l’an­née 2025 atteint en réa­li­té « plu­sieurs cen­taines de per­sonnes », dépas­sant lar­ge­ment les 135 postes annon­cés, sou­ligne le délé­gué syn­di­cal.

C’est notam­ment le résul­tat, selon lui, de « l’é­norme pres­sion mise sur les sala­riés », avec une charge de tra­vail dif­fi­ci­le­ment sup­por­table et des effec­tifs allé­gés. Pas­cal Bes­son dénonce une stra­té­gie déli­bé­rée de la direc­tion : « Des sala­riés sont pous­sés à la démis­sion, d’autres sont licen­ciés pour inap­ti­tude alors qu’ils sont là depuis quinze ans… » Autre tech­nique mal­veillante, des objec­tifs inac­ces­sibles sont fixés, par exemple, à des com­mer­ciaux. L’é­chec inévi­table fait alors office de pré­texte pour enga­ger une pro­cé­dure de licen­cie­ment, au motif d’une insuf­fi­sance de résul­tats.

« Le har­cè­le­ment des sala­riés en inter­mis­sion, les licen­cie­ments abu­sifs, les rup­tures conven­tion­nelles for­cées, la dis­cri­mi­na­tion liée à l’âge ou au sexe sont deve­nus le quo­ti­dien de nos col­lègues », accuse la CGT Atos dans sa lettre ouverte. « L’employeur mène un plan social à bas bruit et s’exempte de ses obli­ga­tions en termes de for­ma­tion, d’encadrement et de pré­ven­tion des risques psy­cho-sociaux », ajoute le syn­di­cat.

« Les marionnettes des actionnaires »

Dif­fi­cile pour­tant de par­ler d’é­co­no­mies quand les diri­geants pro­fitent indû­ment des primes et parts variables, « même lorsque leurs enti­tés sont en défi­cit », tan­dis que les hono­raires de jetons de pré­sence au conseil d’ad­mi­nis­tra­tion sont dou­blés. « En 2025, quatre-vingt-huit pri­vi­lé­giés ont béné­fi­cié de ces lar­gesses pour un mon­tant de 5,5 mil­lions d’eu­ros, soit 62 500 euros par per­sonne, alors que les négo­cia­tions sala­riales ont abou­ti à une misé­rable reva­lo­ri­sa­tion moyenne de 0.62 % pour les neuf mille sala­riés qui créent la richesse dans l’entreprise », s’in­surge la CGT.

Pas­cal Bes­son, ici dans son bureau syn­di­cal, à Échi­rolles, a des mots très durs pour la direc­tion d’A­tos.

Pas­cal Bes­son, lui, n’est pas tendre avec la direc­tion d’A­tos : « Les gens aux manettes n’ont aucune vision glo­bale. Ce ne sont pas des indus­triels mais des purs finan­ciers qui ne connaissent rien au métier. » Depuis fin 2024, affirme-t-il, ces diri­geants ne sont que « les marion­nettes » et même « le bras armé des action­naires ».

Un plan de restructuration de la dette en trompe-l’œil

En cause, le plan de restruc­tu­ra­tion de la dette vali­dé, fin 2024, par le tri­bu­nal de com­merce, qui a enté­ri­né la reprise d’A­tos par ses créan­ciers, deve­nus les prin­ci­paux action­naires du groupe. Une par­tie de la dette a donc été en par­tie effa­cée, celle-ci pas­sant de 5 à 3 mil­liards d’eu­ros envi­ron. Un suc­cès en trompe-l’œil. L’ob­jec­tif de restruc­tu­ra­tion fixé à l’é­poque par la jus­tice est en effet « déjà obso­lète » un an plus tard, d’a­près la CGT, « puisque le plan d’affaire asso­cié pre­nait en compte des acti­vi­tés rému­né­ra­trices qui ont été ven­dues depuis (World­Grid et super­cal­cu­la­teurs) ».

Et même si la direc­tion du groupe se féli­ci­tait alors de ne pas avoir d’é­chéance de rem­bour­se­ment de la dette avant 2029, les pers­pec­tives n’in­citent guère à l’op­ti­misme. « Rem­bour­ser près de 3 mil­liards de dette d’i­ci là, en l’é­tat actuel des choses, Atos est inca­pable de le faire », estime Pas­cal Bes­son. Loin d’être sau­vée, l’en­tre­prise a au contraire été « livrée aux vau­tours de la finance pour un déman­tè­le­ment en règle », s’in­digne la CGT Atos.

« La conclusion la plus rationnelle, la nationalisation »

Dès lors, que peuvent espé­rer les sala­riés et que peut faire le syn­di­cat ? « On va essayer de toute faire pour qu’il y ait le moins de licen­cie­ments pos­sibles », indique le res­pon­sable syn­di­cal, pro­met­tant de « com­battre le PSE par tous les moyens légaux ». Pour le reste, la France est-elle prête à bra­der ce qui reste d’A­tos, donc la ges­tion des don­nées des citoyens, au plus offrant ? Car c’est bien de la sou­ve­rai­ne­té numé­rique dont il s’a­git.

Sou­te­nue sur ce point par le PCF ou LFI, la CGT n’a en revanche « aucun sou­tien du gou­ver­ne­ment », déplore Pas­cal Bes­son. Sans grande sur­prise tou­te­fois. « La sou­ve­rai­ne­té, ce n’est pas la tasse de thé de ce gou­ver­ne­ment », iro­nise-t-il. D’où la requête for­mu­lée par la CGT Atos dans sa lettre ouverte : « Le gou­ver­ne­ment refu­sant d’être clair­voyant sur la situa­tion d’Atos, les repré­sen­tants par­le­men­taires doivent posent la ques­tion cri­tique : quelle est la car­to­gra­phie des risques pour la popu­la­tion fran­çaise et les ser­vices d’État si Atos fait défaut ? Et d’en déduire la conclu­sion la plus ration­nelle : la natio­na­li­sa­tion. »

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