Vencorex. Les syndicats sonnent l’alarme sur la sécurité et la dépollution du site
Par Manuel Pavard
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La cession est désormais matérialisée. Après le délibéré rendu, le 10 avril, par le tribunal de commerce de Lyon attribuant la reprise (très) partielle de Vencorex à BorsodChem / Wanhua, les autorisations préfectorales ont été fournies à PDC Chemical, filiale française du repreneur, le 14 avril à minuit. Néanmoins, « la gestion de la sécurité et des rejets environnementaux n’est pas encore effective par leur organisation », avertissent Séverine Dejoux et Denis Carré, élus CGT au CSE, dans un courrier adressé, ce mardi 15 avril, à la préfète de l’Isère, à la Dreal, à l’inspection du travail et au maire de Pont-de-Claix.

Ce sont ainsi toujours les salariés de Vencorex qui assurent la sécurité de la plateforme chimique de Pont-de-Claix, site classé Seveso seuil haut et accueillant encore des entreprises en activité. Or, ceux-ci n’ont pas encore signé les conventions de mise à disposition — souhaitée par la direction — auprès de PDC Chemical, « toutes les garanties ne leur ayant pas été apportées sur leurs conditions de travail pendant cette période », expliquent les représentants du personnel. Lesquels ont « des doutes sur le fait que suffisamment de salariés le feront puisque la plupart d’entre eux ne seront pas repris et seront bientôt licenciés ».
« Cette phase transitoire n’a pas été anticipée »
La CGT, qui rappelle avoir alerté à de multiples reprises sur « l’impréparation de PDC Chemical », a l’impression que « cette phase transitoire n’a pas été anticipée ». D’où des questions suscitant une profonde inquiétude. « Qui va donner les ordres en termes de sécurité ? Qui gèrerait un accident avec déploiement d’une cellule de crise ? », s’interroge le syndicat.
De fait, les risques sont bien réels. « La sécurité des salariés de Vencorex (et tous les autres) travaillant sur la plateforme n’est pas garantie en cas d’accident ou de d’incident nécessitant intervention des secours », estiment Séverine Dejoux et Denis Carré, qui ont donc « déclenché un danger grave et imminent », indiquent-ils dans la lettre. Par ailleurs, « aucun salarié de PDC Chemical ne semble aujourd’hui en charge des analyses environnementales », poursuivent-ils. C’est pourquoi les élus CGT ont également lancé, ce mardi 15 avril, « un droit d’alerte santé publique et environnement ».
« Nous ne comprenons pas comment un jugement a pu ordonner une cession alors que l’organisation de la sécurité n’est pas effective sur une plateforme Seveso seuil haut. »
Séverine Dejoux et Denis Carré, élus CGT au CSE de Vencorex
Devant un tel état des lieux, la décision du tribunal de commerce leur paraît encore plus déconnectée de la réalité et des enjeux concrets. Séverine Dejoux et Denis Carré le répètent en conclusion du courrier, tous deux ne comprennent pas « comment un jugement a pu ordonner une cession alors que l’organisation de la sécurité n’est pas effective sur une plateforme Seveso seuil haut ».

La CGT n’élude pas non plus les conséquences potentielles à plus long terme — la casse sociale n’étant pas la seule implication négative de cette situation. Quid en effet du devenir de ce vaste site s’étendant sur 120 hectares ? C’est en ce sens qu’est intervenu ce mercredi 16 avril l’avocat — et conseiller régional écologiste — Pierre Janot, qui s’exprimait au nom des syndicats de Vencorex (CGT, CFDT, CFE-CGC) et des associations France nature environnement (FNE) et Santé environnement Rhône-Alpes (Sera).
Vencorex, PTT GC et Solvay doivent assumer la dépollution
« Le ministre de l’Industrie Marc Ferracci imagine un redéploiement de cette plateforme, mais le sujet est indissociable de la dépollution du site », souligne Me Janot. Soit une énorme opération, associée à de lourds enjeux sur les plans de l’environnement et de la santé publique, et dont le coût pourrait, selon différentes sources, approcher le milliard d’euros.
Le redéploiement envisagé poserait en outre deux soucis majeurs, expose l’avocat. D’une part, « le démantèlement des unités de production. D’après la carte, il n’y a qu’une très faible partie des 120 hectares qui continuera à être exploitée. Ce qui pose un problème de sûreté, de sécurité et de maintenance du site », déplore-t-il, évoquant le lien avec le danger grave et imminent lancé par la CGT. D’autre part, « la dépollution des terrains », problème très ancien qui « date de l’enfouissement de 1959 à 1976 ».
Qui Pierre Janot vise-t-il ? En premier lieu, les industriels, en vertu notamment de la loi Alur qui impose une obligation de dépollution aux exploitants. Malheureusement, le « montant symbolique d’1,5 million d’euros » provisionné à cet effet par Vencorex est loin d’être suffisant, d’autant que cette somme risque de ne jamais être débloquée « du fait de la cessation de paiements ». L’avocat et les responsables syndicaux et associatifs se tournent donc également vers la maison-mère, le groupe thaïlandais PTT Global Chemical, toutefois sans grandes illusions.
Près de 76 000 tonnes de déchets enfouis, « une bombe à retardement chimique »
Outre Vencorex, une autre entreprise de la plateforme chimique de Pont-de-Claix est elle aussi ciblée : la société Solvay, propriétaire des terrains où sont enfouis quelque 76 000 tonnes de déchets chimiques et organiques (dont 30 000 tonnes de dioxines), depuis la fin des années 1970. À la demande de la sénatrice communiste Annie David — qui pointait déjà à l’époque « une bombe à retardement chimique » — ces déchets ont été recouverts en 2017 d’un « sarcophage » permettant de les isoler du sol et d’éviter une infiltration dans la nappe phréatique.

Mais qui va entretenir cet aménagement maintenant ? Un point crucial car la « porosité » de l’ouvrage pourrait conduire les déchets à se déverser dans les nappes et in fine dans le Drac, craignent Me Janot et Philippe Dubois, président de FNE Isère. Pour eux, Solvay doit procéder à leur enlèvement. Dépolluer le site relève en effet ici de la santé publique car il existe un risque de « mise en danger de la vie d’autrui », affirme l’avocat. Et celui-ci de rappeler que pour les riverains des plateformes de Pont-de-Claix et Jarrie, il est déjà « interdit de manger les légumes issus de son potager ».
Appliquer le principe « pollueur-payeur »
Concernant le coût de la dépollution, tous sont unanimes : c’est aux industriels d’assumer cette facture environnementale colossale. « Est-ce qu’on applique le principe pollueur-payeur ? C’est ce que nous souhaitons faire », assène Pierre Janot, rappelant que « ces sociétés ont bénéficié d’aides de l’État et gagné beaucoup d’argent ».
Pour lui, comme pour les syndicats et associations, « la pollution n’est pas un mistigri » que les entreprises pourraient « refiler aux collectivités et donc aux contribuables », tout en se dédouanant. Hors de question d’être le dindon de la farce !