Grenoble. Hommage aux femmes kurdes

Par Edouard Schoene

/

Image principale
Rue Félix-Poulat, des manifestants portent les portraits des militantes kurdes assassinées à Paris.
Deux évènements de solidarité avec les femmes kurdes se tenaient à Grenoble, ces jeudi 9 et vendredi 10 janvier 2025, à l'initiative de l'Association iséroise des amis des Kurdes (Aiak). Un rassemblement et une rencontre destinés notamment à rendre hommage aux trois militantes kurdes assassinées en janvier 2013 à Paris. Un triple homicide toujours impuni, douze ans après.

Dans un contexte local très ten­du en Tur­quie et en Syrie se tenaient deux ren­contres de soli­da­ri­té avec les femmes kurdes à Gre­noble, à l’initiative d’Aiak et de diverses orga­ni­sa­tions. Avec tout d’abord un ras­sem­ble­ment rue Félix-Pou­lat, jeu­di 9 jan­vier. L’occasion de rendre hom­mage aux trois mili­tantes kurdes assas­si­nées, le 9 jan­vier 2013, au siège du Conseil démo­cra­tique kurde en France (CDK‑F), dans le 10e arron­dis­se­ment de Paris : Sakine Can­siz, co-fon­da­trice du Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK), Fidan Dogan (Roj­bin), repré­sen­tante du Congrès natio­nal du Kur­dis­tan (KNK) — struc­ture basée à Bruxelles — et du Centre d’in­for­ma­tion du Kur­dis­tan à Paris, et Ley­la Say­le­mez, res­pon­sable des orga­ni­sa­tions de la jeu­nesse kurde.

Invi­té le 10 jan­vier par Aiak, Elie Guillou, écri­vain et musi­cien, a offert un spec­tacle ins­pi­ré de son séjour au Kur­dis­tan.

Douze ans après le triple assas­si­nat, le sen­ti­ment d’impunité́ règne plus que jamais. Comme si la France cher­chait à jeter aux oubliettes ce crime poli­tique, à l’instar de tant d’autres qui jalonnent son his­toire contem­po­raine. L’as­sas­sin pré­su­mé est décé­dé sans pro­cès, mais dif­fé­rents élé­ments indiquent que le ser­vice de ren­sei­gne­ments turc, le MIT, est impli­qué dans cette sombre affaire.

Grâce à la per­sé­vé­rance des familles des trois vic­times, le dos­sier du triple meurtre a pu être rou­vert en 2019 pour « com­pli­ci­té d’assassinats en rela­tion avec une entre­prise ter­ro­riste » et « asso­cia­tion de mal­fai­teurs ter­ro­riste cri­mi­nelle ». La jus­tice fran­çaise a tou­te­fois des dif­fi­cul­tés à avan­cer, des pièces essen­tielles étant clas­sées « secret défense ».

Un ras­sem­ble­ment a ren­du hom­mage aux mili­tantes kurdes assas­si­nées, le 9 jan­vier, rue Félix-Pou­lat.

C’est à la fois pour hono­rer la mémoire de ces trois mili­tantes et pour récla­mer jus­tice que ce ren­dez-vous annuel est orga­ni­sé à Paris et dans plu­sieurs villes de France. Et notam­ment à Gre­noble où Aiak et 27 asso­cia­tions, syn­di­cats et par­tis ont de nou­veau affi­ché leurs reven­di­ca­tions, jeu­di 9 jan­vier. À savoir « la levée du secret défense dans l’enquête de ces assas­si­nats poli­tiques pour pou­voir faire la pleine lumière sur ces assas­si­nats » ; « l’arrêt des mesures d’intimidation et de répres­sion contre les militant.es kurdes oppo­sants au pré­sident turc Recep Tayyip Erdoğan ».

Nouvel attentat contre les Kurdes à Paris, en 2022

Le 23 décembre 2022, alors que les res­pon­sables kurdes étaient entiè­re­ment affai­rés aux pré­pa­ra­tifs du dixième anni­ver­saire de ce triple assas­si­nat, trois autres militant·es kurdes ont été froi­de­ment assassiné·es, dans un atten­tat ter­ro­riste visant le siège du CDK‑F. Un bilan qui aurait même pu être bien plus lourd. Une réunion avec les haut·es dirigeant·es kurdes, pré­vue sur les lieux pour pré­pa­rer la mani­fes­ta­tion du 9 jan­vier, a en effet été repous­sée d’une heure au der­nier moment.

Par­mi les vic­times, figurent Emine Kara, figure emblé­ma­tique du Mou­ve­ment des femmes kurdes, ain­si que le jeune chan­teur kurde Mîr Per­wer, réfu­gié en France suite à une condam­na­tion par la jus­tice turque à une peine de pri­son en rai­son de son enga­ge­ment pour la culture kurde. La troi­sième vic­time est Abdur­rah­man Kizil, un sexa­gé­naire qui fré­quen­tait régu­liè­re­ment l’association.

L’As­so­cia­tion isé­roise des amis des Kurdes (Aiak) était à l’i­ni­tia­tive de ces deux jour­nées d’hom­mage.

Pour Mary­vonne Mathéoud, pré­si­dente d’Aiak, « tant que les com­man­di­taires du triple assas­si­nat du 9 jan­vier 2013 ne seront pas jugés et condam­nés, l’attentat poli­tique du 23 décembre 2022 res­te­ra éga­le­ment impu­ni. Toute la lumière doit être faite, tant sur la pre­mière affaire que sur la deuxième qui endeuille et meur­trit une fois de plus notre com­mu­nauté », exige-t-elle.

Le Rojava, « expérience démocratique unique au Moyen-Orient »

En ce début d’année, les regards sont bien sûr bra­qués sur la Syrie. « Nous célé­brons avec le peuple syrien la chute du régime de Bachar El Assad, ayant pro­vo­qué la mort de cen­taines de mil­liers de Syriens, la des­truc­tion mas­sive des infra­struc­tures, empri­son­né et tor­tu­ré des dizaines de mil­liers de per­sonnes », sou­ligne Mary­vonne Mathéoud. « Cepen­dant, l’avenir est très incer­tain pour la Syrie et la région : risques de frag­men­ta­tion avec les inter­ven­tions armées de la Tur­quie et d’Israël, inter­ro­ga­tions sur ce que fera le nou­veau pou­voir vis à vis des droits des femmes et des mino­ri­tés. »

Aiak sou­tient ain­si « les reven­di­ca­tions pour l’unité du pays et pour un État démo­cra­tique, laïque et civil, garan­tis­sant l’égalité des droits entre les femmes et les hommes ». D’où l’appel à défendre le Roja­va, « sym­bole de la résis­tance kurde », qui consti­tue « une expé­rience démo­cra­tique unique au Moyen-Orient ».

La mili­tante rap­pelle la lutte vic­to­rieuse contre l’État isla­mique en 2015, notam­ment à Koba­né. « Les com­bat­tantes et com­bat­tants du Roja­va ont mis en place sur le ter­ri­toire libé­ré une socié­té démo­cra­tique, mul­tieth­nique, fémi­niste, où les femmes et les hommes sont à pari­té à tous les niveaux (conseil muni­ci­pal, admi­nis­tra­tion, armée, …), où toutes les per­sonnes vivent à éga­li­té de droits, quelle que soit leur appar­te­nance cultu­relle, langue et reli­gion », explique-t-elle.

Mary­vonne May­théoud, pré­si­dente d’Aiak, a lon­gue­ment pris la parole lors du ras­sem­ble­ment.

Mary­vonne May­théoud dénonce éga­le­ment la « guerre impla­cable » menée par Anka­ra contre les Kurdes. « Les milices de l’Armée natio­nale syrienne, armées et appuyées par le pou­voir turc, notam­ment avec des drones, pro­fitent du chaos pour atta­quer le Roja­va. Des dizaines de mil­liers de per­sonnes ont déjà été dépla­cées », s’alarme-t-elle.

Aiak appelle donc la France à « exi­ger le retrait des forces d’occupation étran­gère du pays, en par­ti­cu­lier la Tur­quie et Israël ». Mais aus­si à « sou­te­nir les efforts de tran­si­tion paci­fique, basée sur la jus­tice, le droit et la prise en compte des aspi­ra­tions de toutes les com­po­santes du peuple syrien, en res­pec­tant ses mino­ri­tés et les caté­go­ries les moins pro­té­gées de sa popu­la­tion ». Et enfin à « garan­tir le droit aux Syrien·nes refugié.es en France de pou­voir res­ter si iels le sou­haitent et se rendre tem­po­rai­re­ment en Syrie sans perdre leur sta­tut ».

Solidarité avec les femmes kurdes en Turquie, Syrie et Iran

Ven­dre­di 10 jan­vier, au len­de­main du ras­sem­ble­ment, se tenait une ren­contre en soli­da­ri­té avec les femmes kurdes de Tur­quie, d’I­ran et Syrie, au siège de la fédé­ra­tion PCF de l’Isère, à l’initiative d’Aiak. Par­mi les inter­ve­nants, Auré­lien (UCL) a évo­qué le cas des quelque 2,5 mil­lions de Kurdes de Syrie, soit près de 12 % de la popu­la­tion du pays.

Une ren­contre s’est tenue le 10 jan­vier salle Ray­mond-Péri­net­ti, au siège du PCF Isère.

« Les auto­ri­tés locales de régions kurdes en Syrie ont pro­mul­gué un décret garan­tis­sant aux femmes les mêmes droits que les hommes, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) », pré­cise-t-il. « Un décret aux allures « d’affront » pour les enne­mis dji­ha­distes qui sévissent dans la région. Les femmes yézi­dis, issues d’une mino­ri­té kurde, sont d’ailleurs les pre­mières tou­chées par l’État isla­mique. Enle­vées, vio­len­tées, cer­taines ont réus­si à s’échapper. Elles témoignent des hor­reurs qu’elles ont subies. »

Zoreh (LDH Iran), aux côtés d’Au­ré­lien (UCL) et Mary­vonne Mathéoud (Aiak).

Zoreh (Ligue des droits de l’Homme Iran) est ensuite inter­ve­nue sur la situa­tion en Iran et les luttes en lien avec le mou­ve­ment « Femmes, vie, liber­té ». Elle déplore le nombre fara­mi­neux d’exécutions, notam­ment au sein des mino­ri­tés kurdes et baloutches, et — fait nou­veau — de nom­breuses femmes.

Après une nou­velle prise de parole de Mary­vonne Mathéoud, sur la place des femmes dans la socié­té kurde en Tur­quie, et une pause repas, l’assistance a écou­té avec une grande atten­tion un spec­tacle de récits et chants d’Elie Guillou, auteur et musi­cien, autour de son ouvrage L’homme tem­pé­ré (éd La belle étoile, 2023).

Elie Guillou a lu des pas­sages de son livre « L’homme tem­pé­ré ».

« Un jeune homme s’éveille à la part tra­gique du monde. Il y raconte la colère face à l’indifférence, la honte face à l’impuissance. Mais aus­si la dou­leur à l’épreuve de la dou­ceur. » Ce récit est issu d’un séjour, en 2021 dans le sud-est de la Tur­quie. Les spec­ta­teurs ont salué una­ni­me­ment un spec­tacle d’une grande finesse.

Partager cet article

Avant de partir

Votre soutien compte pour nous

Le Travailleur alpin vit depuis 1928 grâce à l’engagement de ses lecteurs. Aujourd’hui encore, ce média propose un autre regard sur vos espoirs, vos luttes, vos aspirations. Une voix unique dans la presse d’information départementale.

Pour protéger l’indépendance du Travailleur alpin, assurer son développement, vos dons nous sont précieux – nous assurons leur traitement en partenariat avec la fondation l’Humanité en partage.

Merci d’avance.

Faire un don défiscalisé maintenant

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *