Chauffage urbain. La poule aux œufs d’or ?
Par Luc Renaud
/
Le chauffage urbain, à Grenoble, c’est une affaire qui marche. Second réseau en France, utilisation chaque année accrue d’énergies renouvelables... et bénéfices records. Ces bons résultats sont-ils une bonne nouvelle pour les actionnaires ou pour les usagers ? Enjeu d’importance, au moment où de très importants investissements sont programmés.
Les chiffres sont magnifiques. Sur la saison 2016–2017, la Compagnie de chauffe intercommunale de l’agglomération grenobloise a enregistré un bénéfice net après impôt de 3,6 millions d’euros, en hausse de 50 % sur l’exercice précédent. La CCIAG vend du chauffage, mais aussi de l’électricité, du froid, des téléalarmes… Les résultats du seul chauffage urbain (61 % de son activité) sont eux aussi couleur de grand beau temps. Le résultat courant avant impôt s’établit à 1,9 million d’euros, en hausse de 43 % sur l’hiver 2015–2016. Encore faut-il préciser que 5,5 millions d’euros ont été prélevés sur le résultat (7,4 millions d’euros avant ce transfert) pour être affectés au pré-financement de la construction de la centrale Biomax, sur la Presqu’île.
Comment en est-on arrivé là, bien au delà des prévisions budgétaires ? Un peu par hasard. L’hiver dernier a été plus froid que celui qui l’a précédé. Hausse mécanique de la consommation… et du chiffre d’affaire. Mais la température est très loin d’expliquer à elle seule l’explosion des bénéfices. L’essentiel, c’est la manière dont le calcul de la facturation aux usagers a été réalisé. Pour faire simple, la note est composée d’une partie fixe et d’une partie mobile liée au prix des combustibles. Ces combustibles, ce sont les ordures ménagères (36 % sur l’exercice), le bois (21 %), le charbon (17 %), le gaz (11 %), le fioul (6 %), le reste en farines animales. Leur prix évolue : plus 21 % pour le fioul par rapport à la saison précédente, plus 17 % pour le charbon, 1 % pour le bois, 0 % pour l’incinération.
Dans le panier de la chaudière grenobloise – le « mix énergétique » –, la part des énergies renouvelables augmente : elle atteint 60 %, en hausse constante – la moyenne nationale est de 40 %. Or la clé de répartition utilisée pour la facturation de l’hiver dernier présupposait un poids relatif plus important des énergies dont le prix a le plus augmenté. D’où un résultat financier très bénéficiaire pour la CCIAG… et ses actionnaires.
Car la compagnie de chauffe grenobloise est une société d’économie mixte. La métropole et plusieurs communes de l’agglo y sont majoritaires. Dalkia est le plus important de ses actionnaires privés. Véolia figure également au capital.
Les représentants des usagers dans les instances de concertation de la CCIAG ne manquent d’ailleurs pas une occasion de demander une transparence accrue dans la présentation des comptes. Qui paie quoi pour qui ? Quel sera le coût du chauffage dans les années à venir ?
Pour les représentants des usagers, pas toujours facile de s’informer
Un souci que partage Patrick Durand, élu communiste à la métro et membre de la commission chargée de ce dossier. « La CCIAG n’a pas vocation à régler des dividendes », dit-il en préambule. Pas question de laisser la situation en l’état. « Nous sommes intervenus pour que soient adaptés les systèmes de facturation à l’heureuse évolution du mix énergétique », précise-t-il. Adaptation en cours, même si le règne de la technocratie permet difficilement au citoyen de contrôler cette évolution. Le R1uve, le R1b… des formules à trois facteurs avec dénominateurs…
Les enjeux à venir sont pourtant considérables. « Les élus communistes poursuivent un double objectif, commente Patrick Durand, la poursuite de la réduction des combustibles émetteurs de gaz à effet de serre et une tarification maintenue au plus bas pour assurer le développement du chauffage urbain, la meilleure solution écologique. »
Tout va bouger dans les années qui viennent. Des investissements considérables : la production de gaz par méthanisation des déchets alimentaires, l’entrée en service de Biomax, la reconstruction de l’usine d’incinération… Tout cela en liaison avec l’urbanisation, l’organisation des transports – « il n’est pas rationnel de brûler à Grenoble des ordures ménagères de Valence et d’envoyer traiter à Valence les déchets hospitaliers grenoblois, par exemple ».
« Il faut mettre tout cela sur la place publique, en débattre avec les salariés de la CCIAG comme de GEG, avec les usagers du service public, les informer effectivement, les associer aux décisions, veiller à ce que l’argent public n’aille pas gonfler les profits privés… » Pour Patrick Durand, c’est aujourd’hui un grand chantier démocratique qu’il faut ouvrir dans la métropole grenobloise.
Sources : Rapport du délégataire 2016/2017 Analyse du contrat de concession CCIAG relatif au chauffage urbain ; Rapport développement durable 2016/2017 CCIAG.
La plateforme va chauffer l’agglomération
Les calories excédentaires produites dans la plateforme chimique du Pont-de-Claix vont être utilisées par le réseau de chauffage urbain de l’agglomération grenobloise.
Côté salariés, c’est la satisfaction. « Ce sera une activité supplémentaire pour l’entreprise et ça contribue à sa pérennité », commente Sébastien Cavaillé, délégué syndical CGT. Qui n’est par ailleurs pas fâché de ce que « la plateforme chimique fasse la démonstration qu’elle peut agir contre le réchauffement climatique ».
Le système est simple. Sur la plateforme du Pont-de-Claix, Solvay est chargée des « utilitées ». L’entreprise fournit aux unités de production chimiques du site chauffage, électricité, eau déminéralisée, vapeur… des fluides indispensables à la production et au fonctionnement. En fonction des tensions sur le réseau électrique, Solvay fournit de l’énergie lors des pics de consommation. En ce qui concerne la production de vapeur, la gestion des flux est techniquement complexe. La conséquence, c’est qu’il arrive que des calories soient rejetées dans l’atmosphère. Gaspillage et réchauffement.
L’industrie contre le réchauffement, c’est possible
D’où l’idée de bon sens de raccorder l’unité de production de Solvay au réseau urbain. Une convention a été signée en ce sens entre Solvay et la métropole, gestionnaire du réseau par l’intermédiaire de la Compagnie de chauffage intercommunale de l’agglomération grenobloise (CCIAG). Ce qui permettra d’utiliser sur le réseau de chauffage en hiver les excédents issus de la plateforme et en été les calories produites par l’incinération des ordures ménagères… dont on ne sait pas trop que faire.
Une opération qui va de pair avec la mise aux normes de l’unité de production de chaleur de Solvay qui utilise désormais des combustibles moins polluants.
272
mégawatts
c’est la puissance moyenne journalière la plus élevée qui a été délivrée par le réseau de chauffe l’hiver dernier (242 MW en 2015–2016), avec un pic instantané à 350 MW. Le record historique a été de 406 MW en février 2012). Le bois et les ordures ménagères sont susceptibles de produire 150 MW d’énergie. Lorsque la demande franchit ce seuil, il faut faire appel au gaz, au charbon et au fioul. Cette demande dépasse 300 MW lors des pointes de froid. Le recours aux énergies fossiles a été nécessaire pendant la moitié des jours de l’hiver dernier. La mise en service de Biomax devrait permettre de limiter ce recours à un tiers des jours d’hiver. Six chaudières sont en service, les trois plus importantes étant Athanor (ordures ménagères), Poterne et Villeneuve.
Extension du réseau
La connexion au réseau urbain de la centrale de chauffe de la plateforme chimique offre des possibilités nouvelles pour l’utilisation du réseau au Pont-de-Claix, dans le quartier des papeteries. De même que l’ancien collège des Iles de Mars, aujourd’hui bâtiment communal, pourrait être raccordé au réseau de chauffe.
Sociétés d’économie mixte
La Compagnie de chauffage intercommunale de l’agglomération grenobloise et Grenoble électricité gaz sont deux sociétés d’économie mixtes majoritairement détenues par Grenoble Alpes métropole. Les élus désignés par la métropole pour siéger dans leurs conseils d’administration sont majoritairement grenoblois. La CCIAG est présidé par Hakim Sabri, adjoint aux finances de la ville de Grenoble, et GEG par Vincent Fristot, adjoint à l’urbanisme de la ville de Grenoble.
Biomax. On n’a pas de pétrole, mais on a du bois
C’est le plus gros investissement réalisé depuis 1992. 60 millions d’euros investis pour chauffer plus de 15 000 logements.
Le grand projet en cours, c’est la centrale au bois Biomax. Elle est en cours de construction sur la presqu’île, en bordure de l’autoroute A 480.
Cette unité de production de chaleur remplacera la centrale du CEA, encore en service et qui fonctionne au fioul lourd. La nouvelle centrale brûlera des plaquettes de bois et produira tout à la fois de la chaleur et de l’électricité à partir d’un générateur de vapeur. L’intégralité des capacités de production sera mobilisée sur le réseau de chaleur dans les périodes de froid.
Mise en service dans deux ans
La centrale consommera environ 85 000 tonnes de bois par an qui s’ajouteront aux quelque 100 000 tonnes annuelles brûlées dans les chaufferies de l’agglomération. La Compagnie de chauffe estime que ses approvisionnements sont réalisés à moins de cent kilomètres de Grenoble, notamment avec le pôle de stockage du bois ouvert à Goncelin en octobre 2015. L’utilisation du bois renforcera la part des énergies renouvelables utilisées par le chauffage grenoblois pour la porter à 70 %.
Le coût total de l’opération est estimé à 60 millions d’euros. La mise en service de Biomax devrait intervenir au cours du premier trimestre 2020. La centrale Biomax chauffera entre quinze et vingt mille logements, selon leur taille, et alimentera 10 000 logements en électricité.
Pour la participation citoyenne, la nécessité d’un statut de l’élu
« Ce sont des sujets complexes qui demandent d’y consacrer du temps. » Patrick Durand, élu communiste au Pont-de-Claix, est membre de la commission qui traite notamment des énergies, à la métropole. Qui se réunit tous les vendredis. « Les enjeux politiques et financiers sont considérables. » Raison de plus pour demander un véritable statut de l’élu qui donne la possibilité de se consacrer aux dossiers « et surtout de maîtriser suffisamment les sujets pour pouvoir en informer les citoyens et débattre avec eux des choix qui doivent être ceux de la collectivité ». Car si les élus locaux ne peuvent concilier vie professionnelle et travail au service de la collectivité, ce sont les techniciens qui font avancer des solutions. Solutions qui, faute de temps pour en débattre, ne sont pas toujours conformes aux choix politiques des citoyens.
170
kilomètres de tuyaux
constituent le réseau de l’agglomération, dont 94 à Grenoble et 25 à Echirolles. Avec La Tronche, Saint-Martin‑d’Hères, Eybens et Pont-de-Claix, six communes sont desservies. Gières et Fontaine disposent de réseaux autonomes. Le réseau grenoblois est le deuxième en importance après celui de Paris. 100 000 équivalent-logements sont raccordés, un tiers du total.
Prime au bois
Depuis le 28 septembre, la prime air bois a été doublée. Elle passe de 800 à 1 600 euros (et de 1 200 à 2 000 euros pour les habitants ayant de moindres ressources). C’est que le chauffage au bois est l’un des grands émetteurs de particules fines, l’un des coupables, avec les transports, des pics de pollution. En cause, l’ancienneté des équipements : les poêles de fabrication récente (postérieurs à 2002 en tout cas) sont très nettement moins polluants. D’où l’incitation – qui ne faisait pas recette jusqu’alors – au renouvellement du matériel. Le dossier est téléchargeable sur alec-grenoble.org ou
lametro.fr/primeairbois
Géothermie
La géothermie fait partie des pistes prometteuses pour le chauffage urbain. Au niveau de la Presqu’île, les conditions sont favorables pour puiser dans le sous-sol des calories exploitables par le réseau de chaleur.