« L’atout du Vercors, ce sont ses habitants et sa nature »
Par Simone Torres
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Le parc naturel régional du Vercors, un territoire préservé, à l’activité multiforme, un rêve pour beaucoup de citadins, d’amoureux de la nature, un fantasme de liberté et de vie saine… à l’heure de l’urgence écologique, rencontre avec un habitant qui vit et travaille sur le plateau. Entre fantasme et réalité…
Un parc naturel a pour vocation de protéger et mettre en valeur de grands espaces ruraux habités, dont l’équilibre est fragile. Il est géré par un comité syndical qui vote les grandes orientations et le budget annuel, pour valoriser et protéger un patrimoine naturel, culturel et humain. Bénéficier du classement en parc naturel régional induit une image de marque de qualité et reconnue. L’image d’un endroit où il fait bon vivre.
Manuel Rapp, technicien forestier, non seulement habite, mais travaille dans le parc, ce qui n’est pas le cas de tout le monde ici. Venu d’une vallée industrielle sinistrée des Vosges, il découvre le territoire il y a cinq ans.
« Villard-de-Lans c’est 5 000 habitants environ, 12 000 sur le plateau, et 25 000 lits touristiques potentiellement occupés, cinq fois plus que le nombre d’habitants. Le Vercors, c’est aussi un milieu naturel exceptionnel, préservé. » Si l’agriculture ou la forêt sont des activités traditionnelles, ce ne sont plus les moteurs de l’économie locale. L’activité économique phare, c’est le tourisme. « L’hiver, sur des périodes courtes, c’est une fréquentation touristique plus importante que l’été. Mais le tourisme estival est plus étalé dans le temps. Des études récentes montrent que les bénéfices générés par l’activité estivale en montagne sont plus importants que ceux que génère l’hiver. » Tout simplement parce qu’il y a énormément de dépenses en hiver, de charge sur les aménagements, d’argent public investi dans les canons à neige pour conforter l’activité…
« L’économie du tourisme, si elle a des inconvénients, a quand même l’avantage de faire vivre la communauté de communes. » L’impact pour les territoires est fort puisqu’il y a plus d’un million de personnes qui passe par an sur le plateau. « Dans le Vercors, il y a des activités traditionnelles comme l’exploitation forestière, la chasse, les gens qui cueillent des champignons, qui s’y promènent mais aussi du VTT électrique, de la course d’orientation, le vélo vert festival… enfin énormément d’événements, ce qui fait que c’est complexe et que c’est intéressant. »
Nous sommes au bout d’un cycle
Au-delà du ski, Villard-de-Lans est avant tout un village vivant. Un pourcentage non négligeable d’actifs descend travailler à Grenoble, mais Villard génère aussi de l’activité propre. Ce qui fait le dynamisme du du lieu. Des services publics, un lycée, un collège, un EHPAD… liés au fait que des gens vivent là en permanence. « Ça n’a rien à voir avec des stations exclusivement touristiques. Ici, il y a tout un tissu associatif qui fait des choses intéressantes et pas seulement tournées vers l’argent, le plaisir individuel. Il y a des habitants qui se soucient de choses plus nobles, plus collectives. Une réelle vie culturelle, associative, de belles initiatives et des associations très performantes. Par exemple la Recyclerie, une association qui choisit de reverser 22 000 euros par an au CCAS de la commune. »
Mais la vie est chère, on ne peut pas vivre avec un revenu au SMIC par foyer. Peu de locations et un immobilier très onéreux. « Il y a environ une dizaine de familles par an qui repartent, pour des raisons économiques, vivre ailleurs. Un cas classique : un couple avec enfants se sépare, l’un des deux doit aller en HLM. Les places sont rares. Je connais au moins quatre mères seules avec des enfants qui galèrent. À la longue, elles partent. Par la force des choses, les pauvres vont rester dans l’agglomération grenobloise, subir la canicule, et ceux qui se mettront au vert et pourront respirer seront riches. » Les saisonniers ont du mal à vivre. Certains se logent dans un camion, d’autres vivent en couple dans seize mètres carrés, parfois temporairement, en attendant mieux, mais le « en attendant » peut durer longtemps. Et sans les saisonniers le tourisme ne fonctionne pas.
« Le tourisme étant l’activité principale on a parfois tendance à occulter d’autres spécificités du territoire et en l’occurrence, sa richesse, sa diversité au sens naturel, sa biodiversité, et à mon sens, le défi pour les années à venir, c’est d’arriver à faire en sorte que le tourisme puisse générer de l’activité tout en respectant les milieux. L’avenir pour moi ce n’est pas de savoir si on va continuer à faire du ski. Si c’est encore la poule aux œufs d’or, on sait très bien qu’on est au bout d’un cycle. La montagne, la nature, ne sont pas un terrain de jeu. C’est un espace dans lequel les gens peuvent prendre du plaisir mais c’est aussi un écosystème qu’il faut préserver. »
Quand la ville découvre la montagne
La ville de Fontaine s’est dotée d’une centre de loisirs à Saint-Nizier. Pour permettre aux écoliers de décourvrir une montagne qu’ils ont sous les yeux… et ne connaissent pas toujours.
Fontaine, dans l’agglo. Saint-Nizier, à une demi-heure. Deux mondes, la ville et la montagne. Entre lesquels Fontaine a voulu lancer un pont. « A l’origine une ferme à Saint-Nizier, transformée en hôtel à la faveur des J.O. de 1968, acheté par la ville de Fontaine et ouvert comme centre de loisirs en 1977 », indique Laurent Jadeau, adjoint à l’éducation, enfance et petite enfance.
« Aujourd’hui, tous les Fontainois de CM1 et CM2 passent une semaine au ski et en étudiant avec leurs enseignants le milieu montagnard ; accompagnés de moniteurs et d’animateurs nature employés par la ville », se réjouit Laurent Jadeau. Un effort réel pour la ville, en période d’étranglement par l’Etat, puisque le coût annuel de fonctionnement de cet équipement s’élève à 120 000 euros. Un choix. « Permettre aux habitants, en particulier les enfants, de découvrir pleinement cet espace montagnard qu’ils ont ‘‘sous les yeux’’ sans, bien souvent, en avoir la possibilité d’une réelle pratique. » De fait, le coût pour les familles est de 36 euros la semaine, tout compris : forfaits, cours de ski, repas, animation nature, transports…
Le climat étant ce qu’il est devenu – et deviendra –, la ville réfléchit à des évolutions : « Nous étudions les possibilités de développer l’utilisation de cet espace. Avec la région, le parc du Vercors et la métropole, nous envisageons d’en faire un centre montagne, dédié aux activités de pleine nature et à l’éducation à l’environnement ».
Toujours avec le souci d’ouvrir la montagne – et la nature – à ceux qui n’y ont pas toujours accès.
Édouard Schoene
Le Vercors face au plan Parker
C’est à l’automne prochain que la vingtaine de salariés à l’année et la centaine de saisonniers affectés au fonctionnement des vingt-deux remontées mécaniques – desservant 125 kms de pistes – ainsi qu’aux deux restaurants du domaine de Villard-Corrençon, seront fixés sur leur sort. Après un an de négociations, Tony Parker, le joueur le plus titré de l’histoire du basket français, déjà propriétaire de l’ASVEL – le club de Lyon-Villeurbanne –, est devenu le 13 mai dernier l’actionnaire majoritaire de la Société d’équipement de Villard-de-Lans et de Corrençon (SEVLC).
Le montant du rachat aux frères Victor et Daniel Huillier, résistants durant la Seconde guerre mondiale, n’excéderait pas dix millions d’euros. Sans dévoiler le détail de ses projets, le champion en retraite de la Ligue nord-américaine de basket professionnel a annoncé son intention de « créer de l’emploi et aider la jeunesse ». Notamment en impulsant de nouvelles activités d’été.
Le recrutement de Guillaume Ruel, maire-adjoint de Villard-de-Lans, comme directeur général chargé du développement et des relations publiques, atteste, selon ce dernier, d’une volonté de mener « un combat uni (…) pour le bien du plateau du Vercors ». Si ces déclarations suscitent de légitimes espoirs, c’est aux actes qu’il conviendra de juger de ces projets qui incluent une dimension immobilière avec la création de 500 logements.
Le Vercors dispose de trois atouts : une nature préservée, un équilibre entre agriculture et tourisme, et un visage humain. C’est à l’aune de ces trois caractéristiques que l’on pourra apprécier le souhait émis par Tony Parker d’éviter la démesure et de ne pas faire du Vercors un nouvel Hollywood.
François Simon
Enrichir la boîte à outils des associations
Contre vents et marées, Pierre Gagnat ne lâche pas le projet : permettre aux associations de profiter de l’expérience acquise dans le Vercors.
L’environnement, ce n’est pas toujours un chemin bordé de roses. Prenons le Centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) Vercors, que présidait Pierre Gagnat. « Nous avons dû nous dissoudre en mars 2018 », se désole-t-il. En cause, la rationalité budgétaire, sans doute. Le parc régional du Vercors a en effet repris à son compte les missions qu’il confiait au CPIE… missions elles-mêmes réduites faute de financement suffisants. « Nous attendions 250 000 euros sur un marché public qui n’a pas été renouvelé », précise Pierre Gagnat. Au CPIE Vercors, dix salariés en 2016, cinq début 2018, puis trois licenciements et deux salariés repris par le parc.
Mais là ne s’arrête pas l’histoire. les CPIE, c’est un réseau national, une union nationale composée de 78 associations qui emploient 900 salariés. On y adhère sur la base du respect d’une charte, qui souligne que les structures membres du réseau s’engagent sur des actions concrètes, sur le terrain.
D’où l’idée de Pierre Gagnat et de ceux qui l’accompagnent dans cette démarche : construire un projet dans le cadre de la Maison de la nature et de l’environnement de l’Isère (MNEI). « Nous avons trente ans d’expérience dans le Vercors, note Pierre Gagnat, ce savoir faire, nous souhaitons qu’il puisse bénéficier aux trente-neuf associations de la MNEI. » Le projet est bien avancé, il devrait permettre à la MNEI – financée par Grenoble et la métro mais confrontée au désengagement financier du département, conséquence de l’arrivée de la droite à sa tête – de rejoindre l’union nationale des CPIE et de bénéficier ainsi qu’un label et d’un échange d’expériences au niveau national. « Ce projet, c’est la perspective de développer notre activité dans les points forts des asso CPIE, comme la médiation entre les citoyens et les acteurs des politiques environnementales. » Ce projet repose ainsi sur trois axes : travailler avec les élus et les habitants, outiller pédagogiquement les associations adhérentes, donner à la MNEI le statut de pôle d’attractivité dans des projets partagés par nombre de structures constitutives de la maison.
« L’avenir est à la coopération », souligne Pierre Gagnat. Et le Vercors pourra ainsi continuer à bénéficier d’actions mises en œuvre par des militants qui y ont travaillé pendant des décennies. L’important, c’est que les choses avancent.
Edouard Schoene
L’environnement, pas sans les habitants
Dans la nébuleuse des associations environnementales, la marque de fabrique du réseau CPIE, c’est peut-être le pragmatisme. Deux axes essentiels : l’éducation à l’environnement pour tous, et l’accompagnement de projets de développement durable. Une méthode : associer les habitants concernés. Ainsi le dernier bilan d’activité du CPIE Vercors faisait-il état d’un programme, « Osons agir pour la participation et la concertation élus et habitants », déployé sur quinze territoires du massif. L’objectif, c’est de débattre, de comprendre et d’accompagner les élus pour que les décisions prises le soient « dans la dentelle »… un gage de leur efficacité. Toujours avec ce souci d’une information partagée, le CPIE Vercors a établi, avec habitants et associations, un atlas de la transition énergétique listant les actions existantes.