La grève prend de l’altitude

Par Luc Renaud

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L’Oisans vit au rythme des vacances. Celles des autres. Une activité saisonnière dont l’équilibre est mis en cause par une réforme restrictive des droits à l’assurance chômage. Au risque de fragiliser toute l’économie des massifs. Yvan Belledouche est secrétaire du syndicat CGT des 2 Alpes. Il nous explique ses craintes... et le combat des saisonniers.

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Aux 2 Alpes, les salariés étaient en grève le 15 février dernier à l'appel de la CGT et de FO. Droits des saisonniers. Et, aux 2 alpes, garantie des accords passés avec la Compagnie des Alpes.

« Vous devriez com­men­cer à cher­cher un vrai tra­vail, voi­là ce que m’a dit une conseillère de Pôle emploi. Ce à quoi je lui ai deman­dé si elle par­tait en vacances. » Yvan Bel­le­douche est sai­son­nier aux 2 Alpes. Sans son tra­vail – un vrai tra­vail – pas de ski. Et l’été, beau­coup moins de choses à faire sur le lit­to­ral.

Sai­son­nier n’est pas un métier. Nom­breuses sont les pro­fes­sions sai­son­nières. Yvan tra­vaille aux remon­tées méca­niques, d’autres sont pis­teurs, « ce sont deux branches très dif­fé­rentes ». Avec cha­cune leurs qua­li­fi­ca­tions. « Sur mon ins­tal­la­tion, 18000 per­sonnes passent chaque jour d’ouverture. » Ce qui requiert une atten­tion de chaque ins­tant. « A l’oreille, je sais com­ment ça marche », témoigne Yvan. Qua­li­fi­ca­tions et for­ma­tions, pour les pis­teurs secou­ristes par exemple. Des métiers que l’on aime, où l’on est soli­daire. « Pis­teur, pas­sé un cer­tain âge, on laisse les plus jeunes devant. »

Sai­son­nier, c’est en revanche un point com­mun à tous : la sai­son, jus­te­ment. C’est-à-dire l’impossibilité d’occuper toute l’année sur un même poste de tra­vail. « En haute sai­son, l’hiver, la sta­tion emploie 430 sala­riés, dont 120 per­sonnes qui sont là toute l’année, l’été, les sai­son­niers sont une cen­taine. » Ce que font les autres ? « Il y a beau­coup de cas de figure, cer­tains res­tent ici et tra­vaillent pour l’essentiel dans le bâti­ment, les char­pentes, tout ce qu’on ne fait pas en hiver, d’autres se déplacent dans d’autres zones tou­ris­tiques, beau­coup le lit­to­ral. »

Yvan insiste sur un point. Ces sai­son­niers des sta­tions, les 2 Alpes, l’Alpe d’Huez et d’autres de moindre dimen­sion repré­sentent un poids éco­no­mique impor­tant dans un ter­ri­toire où vivent 10 000 habi­tants. D’où l’inquiétude.

« La Grave m’appelle pour savoir comment faire grève »

Inquié­tude liée à la réforme de l’assurance chô­mage qui entre en vigueur au 1er avril – après les élec­tions muni­ci­pales. Réforme qui aura un effet offi­ciel­le­ment chif­fré par l’Unedic : pour les sai­son­niers, une baisse de l’indemnisation de 8 à 50 % selon les cas. Le méca­nisme qui abou­tit à ce résul­tat, c’est d’abord l’allongement de la durée de tra­vail néces­saire pour ouvrir des droits à indem­ni­sa­tion. Avant la réforme, il fal­lait avoir tra­vaillé quatre mois au cours des 28 mois pré­cé­dents. Après, ce sera six mois au cours des 24 mois pré­cé­dents. Plus grave, il fau­dra tra­vailler six mois pour rechar­ger ses droits, là où un mois suf­fi­sait. Ajou­tons encore que l’indemnité jour­na­lière sera cal­cu­lée sur un reve­nu moyen men­suel et non plus sur le salaire jour­na­lier, autre­ment dit en comp­tant les jours de repos. « La CGT a chif­fré entre 40 et 50% la perte d’indemnité pour un bis­ai­son­nier été hiver s’il ne trouve rien dans les deux inter­sai­sons ; un sai­son­nier qui ne tra­vaille pas deux mois par an per­dra autour de 20 % de chô­mage », explique Yvan Bel­le­douche.

« Nous sommes direc­te­ment tou­chés, com­mente Yvan Bel­le­douche, mais c’est aus­si toute l’économie de l’Oisans qui est fra­gi­li­sée, la pos­si­bi­li­té pour tout le monde de vivre ici qui est en cause. » Car si les sai­son­niers et leur familles, faute de reve­nus partent s’installer ailleurs, ce sera le per­son­nel qua­li­fié et dis­po­nible au pied levé en début de sai­son qui ne sera plus là.

Leur com­bat est d’intérêt géné­ral. Il se mène au quo­ti­dien. Aux 2 Alpes, la pré­sence syn­di­cale a per­mis d’obtenir des accords d’entreprise plus favo­rables aux sala­riés. Le régime de la par­ti­ci­pa­tion et de l’intéressement par exemple. Des cri­tères objec­tifs ont été négo­ciés, ce qui écarte les « primes au mérite » qui pou­vaient lais­ser place à toutes les dérives. Et être uti­li­sés comme ins­tru­ments de divi­sion entre sala­riés. Pas négli­geables, puisque ce régime peut repré­sen­ter un sup­plé­ment de res­sources de 1 500 euros pour un bis­ai­son­nier, soit presque un mois de salaire sup­plé­men­taire. Accords dont le syn­di­cat CGT demande la garan­tie dans le cadre de la reprise de la ges­tion des 2 Alpes par la Sata, la socié­té qui gère l’Alpe d’Huez voi­sine.

Et le syn­di­cat CGT des 2 Alpes est ain­si deve­nu un point de repère en OIsans. Les sala­riés de l’Alpe d’Huez s’intéressent aux actions entre­prises de l’autre côté de la Romanche. Jusqu’à la Grave et à ses val­lons de la Meije – eux aus­si gérés par la Sata. « Ils m’ont appe­lé pour savoir com­ment ils pou­vaient se mettre en grève le 15 février », se réjouit Yvan Bel­le­douche.


Par­mi les reven­di­ca­tions de la grève du 15 février, celle du main­tien de l’accord d’entreprise des 2 Alpes.

Les 2 Alpes changent de patron

Dans la course aux dernières décennies de ski, les 2 Alpes abandonnent la Compagnie des Alpes qui n’en est pas vraiment fâchée. Explications.

L’affaire est sur les rails. Dès la sai­son pro­chaine, les 2 Alpes – l’une des plus impor­tantes sta­tion fran­çaise avec deux cent vingt kilo­mètres de pistes – va chan­ger de délé­ga­taire. Jusqu’alors gérée par la Com­pa­gnie des Alpes, elle va pas­ser dans le giron de la Socié­té d’aménagement tou­ris­tique de l’Alpe d’Huez, la Sata. Une tran­si­tion vou­lue par les com­munes des 2 Alpes (issue de la fusion entre celles du Mont-de-Lans et de Venosc) et de Saint-Chris­tophe-en-Oisans alors même que la délé­ga­tion cour­rait jusqu’en 2023. La CDA a jugé insuf­fi­sante la pro­fi­ta­bi­li­té d’une pour­suite de l’exploitation compte tenu des inves­tis­se­ments deman­dés par les élus.

Les rai­sons de ce divorce vou­lu par les com­munes ? Des inves­tis­se­ments limi­tés, prin­ci­pa­le­ment. « Le maté­riel est vieillis­sant », constate Yvan Bel­le­douche. La CDA s’est conten­tée du res­pect d’un cahier des charges négo­cié à mini­ma, pré­voyant 6 mil­lions d’euros d’investissement annuels là où le seul télé­siège débrayable de Pierre Grosse en coûte 13.

Le projet de liaison des deux grandes stations de l’Oisans

La CDA, mas­to­donte inter­na­tio­nal, est-elle en train de sai­sir l’occasion d’un désen­ga­ge­ment des domaines skiables fran­çais ? « A l’origine, c’était une com­pa­gnie d’État créée pour moder­ni­ser les sta­tions », explique Yvan Bel­le­douche. Aujourd’hui, c’est une mul­ti­na­tio­nale sou­cieuse de ren­ta­bi­li­té.

Les élus ont donc fait le choix du local avec la Sata de l’Alpe d’Huez voi­sine. Sata dont la pré­si­dence est assu­rée par les élus de la com­mune d’Huez. L’enjeu est d’importance, rien de moins que l’avenir des sta­tions confron­tées à des sai­sons rac­cour­cies faute de neige. Le ski d’été – avec son gla­cier, les 2 Alpes compte le plus impor­tant domaine skiable d’été en Europe – vit ses der­nières sai­sons.

Pour l’heure, c’est la fuite en avant. Gagner de l’argent tant que c’est encore pos­sible. Le pro­jet de liai­son entre les domaines de l’Alpe et des 2 Alpes par des­sus la Romanche illustre ce choix. « C’est une vitrine, qui sera pour par­tie finan­cée sur fonds publics, et qui per­met­tra d’afficher des chiffres impres­sion­nants en kilo­mètres de pistes pour atti­rer la clien­tèle étran­gère et rem­plir les héber­ge­ments », com­mente Yvan Bel­le­douche. Car la ges­tion des immeubles est deve­nue une nou­velle source de pro­fit pour les exploi­tants de domaines skiables.

Alors, d’ici vingt ans, il sera temps de réflé­chir à ce que devien­dront les équi­pe­ments deve­nus sans objet, faute de neige.

Le recentrage de la Compagnie des Alpes

Le chan­ge­ment de stra­té­gie remonte à 2002. La Com­pa­gnie des Alpes – créée en 1989 par l’État et dont la Caisse des dépôts détient encore 39,9 % du capi­tal – déci­dait alors d’investir dans les parcs de loi­sirs. Aujourd’hui, le ski (Serre Cha­va­lier, Val d’Isère, la Plagne…) repré­sente 52 % de son acti­vi­té et les parcs de loi­sirs (Futu­ro­scope, Asté­rix, musée Gré­vin…) 45,1 %. Sou­cieuse de ren­ta­bi­li­té, la CDA lorgne vers la Chine des JO de 2022. Le pro­jet d’une entrée du groupe chi­nois Fosun dans le capi­tal de la CDA a été aban­don­né au pro­fit d’un « par­te­na­riat indus­triel » pré­voyant notam­ment la construc­tion d’une piste de ski en salle à proxi­mi­té de Shan­ghai. Avec un chiffre d’affaires en hausse de 6,6 % à 854 mil­lions et un béné­fice accru de 8,8 % à 62,2 mil­lions d’euros, la CDA a connu une sai­son record en 2018 2019.

Le domaine skiable était fer­mé aux trois quart, le 15 février.

Aux 2 Alpes, la piste de la grève

Une grève comme on n’en avait pas vu depuis long­temps dans les sta­tions de ski fran­çaises. Et qui pour­rait connaître de pro­chains déve­lop­pe­ments. Récit de ce qu’est pas­sé aux 2 Alpes.

Le Jan­dry express fer­mé. Au total, les trois quart du domaine fer­mé. C’était le 15 février et ce n’était pas pour cause d’avalanche : ce 15 février était jour de grève natio­nale dans les remon­tées méca­niques.

Près de la moi­tié des 430 sala­riés de la sta­tion étaient en grève, aux 2 Alpes, à l’appel de la CGT et de FO. « Le mou­ve­ment a été bien sui­vi aux caisses, note Yvan Bel­le­douche, délé­gué CGT, c’est rare, ce sont très majo­ri­tai­re­ment des femmes qui sont en pre­mière ligne de la pré­ca­ri­té et qui ont peu de contacts avec les autres, iso­lées der­rière les vitres ». Plus de la moi­tié en grève. Un mou­ve­ment sui­vi au niveau natio­nal dans tous les mas­sifs avec notam­ment un ras­sem­ble­ment à l’entrée de Mou­tiers, en Taren­taise.

Aux 2 Alpes, grève, mais aus­si mani­fes­ta­tion. Là encore, peu fré­quent. Avec des sala­riés venus de l’Alpe‑d’Huez et la Grave. Et puis des sala­riés de l’hôtellerie, aus­si. « Nous en avons pro­fi­té pour dis­cu­ter avec les tou­ristes, raconte Yvan Bel­le­douche, nous défen­dons bien sûr nos métiers, mais si nous ne pou­vons plus en vivre, alors ça aura des consé­quences pour toute la filière tou­risme ».

Les sai­son­niers ont pu ain­si expli­quer les rai­sons de leur mou­ve­ment. La réduc­tion de leurs droits au chô­mage, notam­ment. Une régres­sion qui concerne tous les sai­son­niers. Une autre inquié­tude concerne plus par­ti­cu­liè­re­ment les sai­son­niers qui tra­vaillent en sta­tion, celle de l’article 16 de la conven­tion col­lec­tive.

Expli­quons. Le gou­ver­ne­ment – qui ne manque pas une occa­sion de rogner les droits – veut réduire dras­ti­que­ment le nombre de conven­tions col­lec­tives. Et donc sup­pri­mer celle des remon­tées méca­niques pour la fondre dans un ensemble de branches rele­vant du tou­risme ou des trans­ports. En niant com­plè­te­ment les spé­ci­fi­ci­tés du tra­vail en sta­tion. Or l’article 16 – un conquis, bien sûr – de la conven­tion actuelle pré­voit une prio­ri­té à l’embauche en début de sai­son pour ceux qui ont tra­vaillé l’année d’avant. « Ça donne un peu de sta­bi­li­té aux sai­son­niers et ça per­met aus­si aux patrons de pou­voir comp­ter sur des sala­riés for­més d’une année sur l’autre », note Yvan Bel­le­douche. Au point que les patrons du sec­teur – Domaines skiables de France et le nom de leur syn­di­cat patro­nal –, hésitent entre le pro­blème posé par ce risque de perte de com­pé­tence et l’avantage de pou­voir choi­sir des sala­riés crai­gnant pour leur réem­bauche.

A l’heure où ces lignes sont écrites, d’autres mou­ve­ments étaient envi­sa­gés. Et plus for­cé­ment un same­di, jour d’arrivée et de départ en sta­tion, jour où les pistes sont moins fré­quen­tées.

Référence syndicale

Le syn­di­cat CGT au 2 Alpes, ce sont plus d’une dizaine de syn­di­qués. Soit 10% du per­son­nel per­ma­nent. La CGT a obte­nu un tiers des suf­frages aux der­nières élec­tions pro­fes­sion­nelles. Au delà des chiffres, le syn­di­cat des 2 Alpes est deve­nu ces der­nières années un point de repère pour les sala­riés des sta­tions de l’Oisans, jusqu’à la Grave. Et les 2 Alpes, c’est la sta­tion de réfé­rence en terme d’accord d’entreprise.

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