La Rampe-Echirolles – Spirito. D’Est en Ouest, le souffle puissant de l’âme populaire
Par Régine Hausermann
/
Trente-et-un choristes, un harpiste et une cheffe
Tout de noir vêtues ils et elles entrent en silence des deux côtés de la scène où François Pernel le harpiste est déjà installé entre ses deux harpes de petite dimension. Puis Nicole Corti se dirige vers le pupitre. Le concert commence, sans applaudissements, dans l’attente et l’écoute.
Les voix des sopranos s’élèvent d’abord, évoquant la fatigue de l’exilé « las d’errer et de se cacher », cherchant un lit pour la nuit, dans Esti Dal – Chant du soir – du compositeur hongrois Zoltan Kodaly (1882–1967). Le chœur enchaîne avec les Chants populaires slovaques de Bela Bartok, hongrois comme Kodaly et son exact contemporain. Vers l’âge de vingt ans, tous deux ont sillonné les villages de Hongrie et de Roumanie, recueillant des centaines de mélodies et de chants populaires, les transcrivant et les enregistrant. Ce qui en fait des pionniers de l’ethnomusicologie.
Les dix-sept femmes choristes quittent leur estrade et s’avancent en arc de cercle, plus près de la cheffe, pour un répertoire plus enlevé. Derrière elles, les quatorze hommes choristes resteront à l’arrière plan – physiquement et musicalement – quasiment jusqu’à la fin, donnant l’impression d’une volonté de privilégier les voix féminines.
Saut vers l’Ouest et le Moyen Age avec Mariam matrem virginem, extrait du Livre Vermeil de Montserrat, manuscrits de la fin du XIVe siècle, conservés au monastère de Montserrat1 en Catalogne. Voix aériennes pour une danse lente célébrant Marie, la vierge mère. Retour à l’Est au XXe siècle sur le même registre avec Bogoroditse Devo de Sergueï Rachmaninov, l’Ave Maria en russe.
Le harpiste François Pernel intervient en solo ou en accompagnement des chants. Loin des sonorités éthérées attachées à l’instrument, le musicien semble le transformer, le rapprochant d’autres instruments à cordes, plus populaires. Jamais nous n’avions entendu la harpe sonner ainsi. Une belle surprise !
Le concert se poursuit avec des airs des Français Maurice Ohana et Francis Poulenc, du Britannique Benjamin Britten, avant de se terminer avec deux mélodies des Beatles, Yesterday and All you need is love. Cordiale et généreuse, Nicole Corti s’est tournée vers le public pour l’inviter à reprendre en chœur All you need is love !
Un concert original et enveloppant
A un moment où les contingences économiques privilégient les petits ensembles vocaux, Nicole Corti souhaite maintenir le grand chœur de trente-deux choristes et plus pour aborder le grand répertoire a cappella. C’est pourquoi elle réunit le Chœur de chambre Spirito et le Jeune chœur symphonique en une formation qui donne toute son amplitude sonore au répertoire choisi. Ce qui n’empêche pas des moments plus intimistes de duo ou de quatuor interprétés par des choristes femmes à la voix et à l’énergie prenantes. Souvent les choristes changent de position sur scène. Ils en sortent même, comme on le voit assez souvent au théâtre, rarement en concert, montant dans les escaliers des gradins, chantant en enveloppant le public. « Notre objectif consiste à faire converger un chœur qui est riche en harmoniques sonores avec un public placé dans une situation où il recevra le résultat de la vibration, explique Nicole Corti dans un entretien. »
Une belle soirée, harmonieuse, virtuose, réservant de belles surprises au public.
1 Si vous n’avez pas regardé la série La Mesias sur Arte, un conseil, ne la ratez pas. L’action se passe près de Montserrat. Un frère et une sœur se confrontent à leur enfance traumatique sous l’emprise d’une mère abusive devenue catholique fanatique. Disponible jusqu ‘en novembre 2025.