Métropole grenobloise. La ZFE qui coince
Par Luc Renaud
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« Nous ne sommes pas un club d’automobilistes en colère, si nous sommes en colère, c’est face à l’aberration de la ZFE Crit’air. » Le décor était planté. Pour Jean-Philippe Moutarde, qui présentait la soirée, pas question de minimiser l’impact de la pollution sur la santé publique, non plus que de regretter le tout voiture en ville. « Ce que nous contestons, c’est l’efficacité de la ZFE du point de vue de l’environnement et l’injustice sociale qu’elle représente. »
Où l’on rappelle que la majorité des particules fines est émise par les chauffages au bois non conforme et que ce sont les particules fines qui sont à l’origine de la majorité des décès prématurés imputables à la pollution. Où l’on se souvient également que les particules fines émises par la circulation routière le sont certes par les moteurs anciens, mais aussi par le roulement des pneus et les plaquettes de frein, quelle que soit la motorisation du véhicule qui les utilise.
Mieux vaut être riche et bien portant
L’injustice fait l’objet d’un autre volet de la contestation. Avec une image qui résume la situation : le cadre possesseur d’un gros véhicule hybride Crit’air 1 qui roule 40 000 km par an pourra rouler en ville là où l’aide soignante qui roule 15 000 km dans sa voiture Crit’air 3 sera interdite d’agglomération à partir de juillet 2025 (juillet 2023 concerne les Crit’air 5 et sans Crit’air). Ce qui concerne, selon les estimations, de 40 000 à 80 000 véhicules en 2025.

A l’issue de cette présentation, les prises de position des élus étaient très attendues.
Pour Vincent Fristot, adjoint au maire de Grenoble chargé des finances et de la transition énergétique, les choses sont claires : les problèmes de santé publique sont tels qu’il faut y aller. Et de relever l’épidémie en cours de bronchiolite ou le fonctionnement de ZFE dans d’autres métropoles européennes, tout en soulignant que le chauffage au bois n’est responsable que des deux tiers de la pollution aux particules fines, le tiers restant étant imputable à la circulation automobile. Ce qui rappelle la position du président écologiste de la métropole lyonnaise : les Crit’air 2, c’est-à-dire tous les Diesel, seront bannis de l’agglomération lyonnaise à compter de 2026. Et la vidéoverbalisation sera mise en place à Lyon dès que possible.
Un volontarisme qui ne répond guère aux critiques sur l’efficacité limitée de la ZFE contre la pollution.

Toute autre est l’approche de Pierre Verri, maire de Gières et vice-président de Grenoble Alpes métropole, chargé de l’air et du climat. Face aux habitants du quartier qui l’invitait, « concertation » est resté le maître mot de son discours. Il insistait sur le fait que les zones à faibles émissions sont une obligation légale. Mais la loi prévoit de nombreuses possibilités d’adaptation. ZFE permanente jour et nuit – un véhicule en stationnement dépourvu de la bonne vignette serait passible d’amende – ou ZFE temporaire, par exemple de 8h à 18h ? Quelles rues et avenues dans la ZFE, quelles autres non concernées ? « Nous pourrions décider de laisser l’accès aux parking relais à tous les véhicules », indiquait Pierre Verri pour illustrer son propos.
ZFE à géométrie variable
Il est même possible d’envisager une ZFE en fonction des professions ou des niveaux de revenus. Bref, de quoi comprendre les préoccupations de Bruno Malleval, directeur général adjoint de la métropole : « ce n’est pas le dossier le plus facile que j’aie à gérer », glissait-il.

Cela sans compter le volet social de l’affaire. Car les métropoles, à Grenoble comme ailleurs, prévoient d’ores et déjà des aides sur critères sociaux. De quoi permettre l’achat d’un véhicule à la motorisation moins polluante. « Pas forcément neuf, insistait Pierre Verri, nous réfléchissons à une aide aux achats d’occasion, aux changements de motorisation sur des véhicules anciens… » Mais, là encore, quel est le niveau de l’aide qui permettra à un salarié au Smic de changer de voiture ? Les chiffres de quelques milliers d’euros qui commencent à circuler sont loin du compte. D’autant que la ZFE métropolitaine concerne bien au-delà de la métropole.
La question des alternatives étaient bien évidemment au centre des débats. Avec un accord unanime sur le développement du vélo ou de la marche à pied chaque fois que c’est possible.
Le vélo ne fait pas tout
Ce qui ne résout pas tout. Laurent Terrier et Michel Szempruch participaient à la réunion au titre du collectif pour la gratuité des transports. Et c’est fort logiquement qu’ils intervenaient en faveur d’un développement des transports collectifs et d’une politique tarifaire allant vers la gratuité. « C’est une solution qui marche pour que le report modal soit effectif et que la voiture soit moins utilisée. » Ce qui suppose des investissements. La desserte cadencée de l’étoile ferroviaire grenobloise, le « RER grenoblois », verra le jour moyennant plus d’un milliard d’euros. Et, aujourd’hui, l’offre de transports en commun dans la région grenobloise demeure inférieure à ce qu’elle était avant la crise sanitaire. De l’État jusqu’au syndicat des mobilités de l’agglomération – le SMMAG – en passant par la région, compétente pour le chemin de fer, un authentique choc de la décision politique est indispensable pour que le réseau de transports s’adapte aux nécessités écologiques et sociales.
La phase publique de concertation initiée par la métropole se poursuit jusqu’au 9 décembre. Des décisions seront prises au printemps pour définir les contours de la ZFE à la sauce grenobloise. ZFE dont le principe et l’efficacité pour l’amélioration de la qualité de l’air sont vivement contestés.

Le problème de ces assemblées, c’est qu’elles sont finalement peu représentatives de la diversité des habitants. Dans les faits, beaucoup d’habitants ne croient plus à ces processus. L’expérience passée nous a montré parfois qu’elles servaient de tribune et de point d’appui à des carrières politiques. La politique, qu’elle soit locale ou nationale, a du mal à réellement prendre le temps de la construction de projets où l’on s’appuierait vraiment sur l’expertise réelle des habitants à propos de leurs problèmes. Le peu d’habitants qui y vont, en proportion de la population, sont vraiment admirables. Je respecte sincèrement leur détermination à ne pas lâcher le terrain politique. Mais leur laisse-t-on vraiment la possibilité de construire et de s’exprimer dans un cadre fait pour ça ? La réalité, c’est que de petites célébrités locales y trouvent une tribune et que les politiques en place peuvent cocher la case « démocratie participative ». Au final, c’est une ronde : des personnes du même profil s’échangent les strapontins et les micros du pouvoir, même au niveau local. Ça fait de belles photos, ça joue sur l’espoir sincère d’habitants de voir les choses changer. Mais, au final, c’est désespérant.
Les prochaines élections municipales à Grenoble, c’est en mars. Et déjà, ils collent, affinent leur stratégie d’accession au pouvoir pour remplacer le roi ou la reine local qu’on espère déchu. Mais, au final, c’est toujours la même tactique : on s’appuie sur les clivages, on insiste sur sa différence, ce n’est pas grave, ça marche, ça fera un beau bureau. Tant pis si les vraies gens paient.
La dernière municipalité de Grenoble, ce fut son erreur : malgré un réel appui populaire, elle a snobé les commerçants, pas dans son camp électoral. Résultat, il faut parfois marcher 15 minutes pour trouver une quincaillerie, même les bars historiques du centre-ville commencent à baisser le rideau. Pourquoi ? Parce qu’on s’appuie sur des camps, des idéologies, des viviers électoraux. Un maire, par exemple, c’est le maire de tous les habitants, tous sans exception. L’intérêt des adversaires politiques devrait compter aussi, puisque c’est l’intérêt de tous les habitants.
Bravo les vélos, moi je faisais déjà des vélorutions il y a quinze ans. Mais cette politique du tout-vélo contre les voitures, c’est absurde. Plus aucun artisan de la périphérie ne veut entrer dans Grenoble, va trouver un plombier dans ces conditions. Voiron a un vrai centre-ville dynamique parce qu’il y a des parkings. Grenoble, à part boire et manger, plus rien, sauf quelques héros du commerce comme un ou deux horlogers qui résistent. Et puis les rancœurs montent, et ce sont encore les habitants qu’on met face à face.
Je viens d’une ville de 15 000 habitants en Lorraine, le maire était de droite mais on ne s’en rendait même pas compte dans les quartiers, tant il y avait une vraie politique sociale, de vraies activités pour tous, une piscine super classe, des transports et tutti quanti. Tout le monde était écouté à la mairie, du plus humble au plus notable. Bien sûr, ça parlait haut et fort parfois, c’est un pays de la mine, le bassin houiller, mais il n’y avait aucune tension. Aux fêtes des voisins, tout le monde y allait et le bal du samedi en été, c’était une vraie communion. Il aurait pu être de gauche, le maire, ça n’aurait rien changé. Parce que c’était de la vraie politique. Elle vit encore parfois dans les villes moyennes, mais c’est plus rare.
Aujourd’hui, dans une ville comme Grenoble, pratiquement aucun politique n’a d’idée à s’en inspirer, non, c’est parti pour la bagarre. Dans 280 jours à peu près, les élections, ils sont tous prêts à en découdre, pleins d’Iznogouds au sourire ultra-brite, l’œil braqué déjà sur les sondages et les viviers politiques naissants. Mais l’intérêt des gens, il est où ? C’est désespérant. Bravo, messieurs, quelles sont belles ces photos, courage, plus que 280 jours !