Des écoles à la métropole… Le combat pour la réquisition des logements vacants

Par Manuel Pavard

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À l’heure où nous bouclions ce numéro, près de 150 sans-logis occupaient encore le siège de la métropole de Grenoble tandis qu’enseignants et parents se mobilisaient dans les écoles et collèges pour héberger les élèves à la rue. Des avancées étaient toutefois attendues début janvier, fruit des négociations menées avec les mairies sur la réquisition des logements vides.

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Les occupants du siège de la métropole au départ d'une manifestation en direction de la mairie de Grenoble, le 24 novembre 2025, afin d'interpeller les pouvoirs publics sur la réquisition des logements vides.

Mer­cre­di 24 décembre 2025. Si la plu­part des Gre­no­blois sont alors en pleins pré­pa­ra­tifs du réveillon, d’autres n’ont en revanche pas du tout la tête à la fête. Les familles occu­pant le siège de la métro­pole s’apprêtent en effet à pas­ser la soi­rée de Noël dans ces locaux où elles dorment toutes les nuits, depuis le 19 novembre. Livreurs à vélo, aides à la per­sonne, femmes enceintes, enfants en bas âge… Au total, ce sont 143 per­sonnes sans-logis qui se ser­raient dans le bâti­ment, place André-Mal­raux, à l’heure où nous écri­vions ces lignes. Toutes « lais­sées à l’abandon alors que la France est à l’arrêt », déplore Garance, mili­tante de Droit au loge­ment (DAL). Et vic­times des « len­teurs admi­nis­tra­tives ».

Quelques signaux posi­tifs sont néan­moins per­cep­tibles en cette veille de Noël. Deux familles avec enfants ont ain­si été relo­gées à Pont-de-Claix, le 19 décembre. Et la situa­tion glo­bale devrait se décan­ter à la ren­trée sco­laire, selon l’ensemble des acteurs. « Des négo­cia­tions sont en cours entre la métro­pole et les CCAS d’une dizaine de villes », confirme Garance, citant Gre­noble, Saint-Martin‑d’Hères, Mey­lan, Seys­si­net-Pari­set, Gières… Com­munes qui ont pris « un enga­ge­ment oral ». Pro­blème, « le temps poli­tique et le temps admi­nis­tra­tif ne sont pas le temps de l’urgence sociale », sou­ligne Fran­çoise Bre­fort, membre de l’exécutif du PCF Isère. Et ce, d’autant que les condi­tions de vie sur place deviennent de plus en plus pré­caires, notam­ment en matière d’hygiène et de nour­ri­ture. Il faut dire qu’une grande par­tie des occu­pants sont des livreurs à vélo, venus avec leur famille. Beau­coup ne peuvent plus tra­vailler et, n’étant pas sala­riés, se retrouvent pri­vés de res­sources.

La majo­ri­té de ces familles vivaient aupa­ra­vant à la Vil­le­neuve, dans des appar­te­ments vides du bailleur social Actis, acca­pa­rés par des mar­chands de som­meil. Les­quels leur relouaient ces loge­ments à prix d’or. Régu­liè­re­ment mena­cées par ces der­niers, les familles ont ensuite été expul­sées à la demande d’Actis (en deux vagues, les 28 octobre et 18 novembre). La double peine. Ayant déjà l’expérience de la lutte col­lec­tive, via le syn­di­cat CGT des livreurs à vélo, ces exi­lés ont atter­ri au siège métro­po­li­tain, avec le sou­tien du DAL 38, des syn­di­cats (CNT, CGT, FSU, Soli­daires) et d’associations comme la Cisem.

« La pré­fec­ture se défausse sur les col­lec­ti­vi­tés et crée elle-même des ten­sions. »

Très vite, une reven­di­ca­tion majeure a émer­gé : la réqui­si­tion des loge­ments vacants. L’occasion d’interpeller Éric Piolle, qui s’était enga­gé en mai der­nier à appli­quer cette mesure. Mais aus­si les autres muni­ci­pa­li­tés, inci­tées à « emboî­ter le pas » à la mai­rie de Saint-Martin‑d’Hères, qui avait accep­té d’héberger des per­sonnes dans un hôtel vide de la com­mune… À condi­tion que les autres villes prennent leur part. Le prin­cipe ? « La métro­pole est en lien avec l’Établissement public fon­cier local (EPFL) qui met à dis­po­si­tion son bâti dans les com­munes, puis les CCAS prennent le relais pour la ges­tion », explique Garance.

Le DAL, lui, réclame tou­jours la réqui­si­tion d’une aile du bâti­ment de l’ex-cité uni­ver­si­taire du Rabot, « immé­dia­te­ment habi­table ». Une pro­prié­té de l’État. Lequel est jus­te­ment aux abon­nés absents dans ce dos­sier. « L’hébergement d’urgence et la lutte contre le mal-loge­ment rele­vant des com­pé­tences de l’État, c’est inad­mis­sible que la pré­fec­ture se défausse sur les col­lec­ti­vi­tés et crée elle-même des ten­sions », tacle le secré­taire dépar­te­men­tal du PCF Isère Jéré­mie Gio­no, accu­sant la pré­fète de vou­loir « désta­bi­li­ser la gauche », à l’ap­proche des muni­ci­pales.

L’inaction de l’État est éga­le­ment l’une des causes du mou­ve­ment lan­cé depuis 2022 dans les écoles gre­no­bloises pour mettre à l’abri plus de 90 familles sans toit et leurs enfants. Une mobi­li­sa­tion rejointe cet hiver par les ensei­gnants et parents d’élèves de plu­sieurs col­lèges. Car « on se retrouve, dans les col­lèges, avec de plus en plus d’élèves dor­mant à la rue, dans des voi­tures, des caves », déplore Thi­baut Michoux, repré­sen­tant du Snes-FSU et de l’intersyndicale « enfants migrant·es à l’école ». Or, si les occu­pa­tions d’écoles sont tolé­rées par la ville de Gre­noble, le dépar­te­ment n’a pas la même man­sué­tude pour les col­lèges. Ce qui pousse les per­son­nels à la débrouille. Au col­lège Ver­cors, ceux-ci ont ain­si pas­sé une nuit sous des tentes, aux côtés d’une famille deman­deuse d’asile, qui a fini par obte­nir un héber­ge­ment. Et au col­lège Fan­tin-Latour, Syl­vie Ali­beu, ensei­gnante, a logé chez elle pen­dant trois semaines une mère et ses deux filles ango­laises, qui auraient pour­tant dû être héber­gées en Cada. « Je conti­nue à les accueillir pen­dant les vacances mais nor­ma­le­ment, ce n’est pas à nous, ensei­gnants, de les prendre en charge », s’insurge-t-elle.

Pour Raphaël Beth (DAL), la solu­tion reste la réqui­si­tion. Il invite les mai­ries à « finan­cer les héber­ge­ments, puis envoyer la fac­ture à l’État. Les tri­bu­naux suivent », assure-t-il. Comme au Pays basque où l’État a été condam­né à rever­ser 1 mil­lion d’euros à la com­mu­nau­té d’agglomération pour « carence » dans l’accueil des per­sonnes migrantes !

Michelle Daran, pré­si­dente de l’association Un Toit pour tous.

Un Toit pour tous. Répondre aux besoins

Un Toit pour tous, association iséroise née en 1993, a pour mission de favoriser l’accès et le maintien dans un logement décent des personnes à faibles ressources.

Les demandes de loge­ment social conti­nuent de croître : 37 000 deman­deurs en Isère, dont 20 000 dans l’agglomération gre­no­bloise, soit une aug­men­ta­tion de près de 40 % depuis 2015.

« Pour­tant, seule une demande sur cinq peut être satis­faite, contre une sur trois en 2015 », déplore Michelle Daran, pré­si­dente d’Un Toit pour tous. « Aujourd’hui le loge­ment social s’engorge : on en construit beau­coup moins. Dans le social, le « très social » est très réduit », pré­cise-t-elle.

L’association gère près de 850 loge­ments — essen­tiel­le­ment dans l’agglomération gre­no­bloise et le Voi­ron­nais — et pro­pose du loge­ment très social aux plus modestes. Elle pro­cède à de l’acquisition-réhabilitation via sa coopé­ra­tive fon­cière soli­daire et pro­pose en paral­lèle à des pro­prié­taires soli­daires de gérer leur bien. Ce sont plus de 2 200 per­sonnes qui sont ain­si logées et/ou accom­pa­gnées par l’association.

« Une action déve­lop­pée autour de trois outils », détaille la pré­si­dente. À savoir Un Toit pour tous-Déve­lop­pe­ment (coopé­ra­tive asso­ciée avec le bailleur social Plu­ra­lis), Ter­ri­toires (agence immo­bi­lière à voca­tion sociale) et l’Observatoire de l’hébergement et du loge­ment (cel­lule d’observation et d’analyse).

Michelle Daran a‑t-elle un mes­sage à adres­ser aux ins­ti­tu­tions ? « Pour faire face aux besoins, il est néces­saire d’augmenter signi­fi­ca­ti­ve­ment la part consa­crée au loge­ment dans le bud­get inves­tis­se­ment de la Métro­pole gre­no­bloise ! »

Le mal-logement en chiffres

En 2024, en France : 4,2 mil­lions de per­sonnes non ou mal-logées ; 2,7 mil­lions de ménages en attente d’un loge­ment social ; 350 000 per­sonnes sans domi­cile.

En Isère : 38 977 ménages en attente d’un loge­ment social (soit près de cinq demandes pour une attri­bu­tion) ; 4 455 demandes pour un héber­ge­ment d’urgence (soit près de six demandes pour une attri­bu­tion) ; 11 772 ménages sans domi­cile per­son­nel (64 % héber­gés par leur entou­rage, 17 % héber­gés en struc­ture, 16 % dépour­vus de loge­ment, 1 % en habi­tat pré­caire type squat, cam­ping ou autre).

2200

per­sonnes

sont logées et/ou accom­pa­gnées par Un Toit pour tous, dont envi­ron 1 100 enfants. L’association gère par ailleurs 807 loge­ments, sans comp­ter les quelque 260 loge­ments confiés par des pro­prié­taires soli­daires. Elle mène des actions pour pro­duire du loge­ment très social, loger et accom­pa­gner, inter­pel­ler et mobi­li­ser, pro­duire de la connais­sance, s’inscrire dans un réseau de par­te­naires.

Municipales 2026

En novembre der­nier, les Ren­contres orga­ni­sées par l’association ont débou­ché sur des pro­po­si­tions aux futurs élus de l’agglomération gre­no­bloise en vue des muni­ci­pales :
• Uti­li­ser tous les moyens pour aug­men­ter la construc­tion de loge­ments sociaux.
• Agir sur l’existant sans construire.
• Ampli­fier la démarche de la poli­tique du loge­ment d’abord de la Métro : l’hébergement est une exi­gence huma­ni­taire qui condi­tionne la digni­té et la réin­ser­tion des per­sonnes les plus vul­né­rables.

Cela implique :
• Une vigi­lance sur la gou­ver­nance et la mise en œuvre des plans d’action.
• Trois prio­ri­tés d’action : car­to­gra­phier les besoins ; agir simul­ta­né­ment sur l’existant et sur la pro­duc­tion ; mobi­li­ser des moyens.

L’agglomération gre­no­bloise est concer­née par l’encadrement des loyers.

Aider à la construction

Répondre à la demande de logements sociaux, lutter contre la hausse des loyers, rénover l’habitat ancien… Un grand absent, l’État.

Se loger, un par­cours du com­bat­tant ? Plus que jamais une réa­li­té en Isère. Une situa­tion dont on connaît les causes, comme le manque de loge­ments sociaux aux­quels 70 % de la popu­la­tion peut pré­tendre. Pour­tant, compte tenu des ponc­tions opé­rées par l’État sur les bailleurs sociaux, le nombre de loge­ments mis en construc­tion ne per­met pas d’envisager une amé­lio­ra­tion rapide.

Dans la métro­pole gre­no­bloise, le plan local de l’habitat 2025–2030 pré­voit la construc­tion de 876 loge­ments par an dont 450 sociaux. Des objec­tifs qu’il fau­dra atteindre et que l’on peut mettre en regard avec les quelque 20 000 demandes de loge­ment social en ins­tance – même si ces demandes intègrent les sou­haits de muta­tion au sein du parc.

Dans leur pro­gramme muni­ci­pal, les com­mu­nistes gre­no­blois pré­voient une aide aux bailleurs sociaux pour leur per­mettre d’accéder à des ter­rains à des prix acces­sibles per­met­tant l’augmentation du rythme des construc­tions. Cela implique éga­le­ment un enga­ge­ment de l’établissement public fon­cier local – struc­ture régie par le conseil dépar­te­men­tal pour inter­ve­nir sur les pro­prié­tés fon­cières – aux côtés des bailleurs sociaux pour faci­li­ter l’émergence de pro­grammes com­pre­nant une part impor­tante de loge­ments dits PLAI PLUS, à l’attention des ménages les plus en dif­fi­cul­té.

La construc­tion n’est pas le seul levier mobi­li­sable. L’amélioration de la qua­li­té des loge­ments en est un autre. Des dis­po­si­tifs métro­po­li­tains comme Mur Mur contri­buent ain­si aux réno­va­tions ther­miques. D’importants pro­grammes de réno­va­tion urbaine sont en cours, notam­ment à Gre­noble et Échi­rolles.

Agir pour l’accès au loge­ment, c’est aus­si lut­ter contre la hausse des loyers. Dans l’agglomération gre­no­bloise, un dis­po­si­tif d’encadrement des loyers est à l’œuvre : les loyers au-delà de 120 % du loyer de réfé­rence sont inter­dits. Et rien qu’à Gre­noble, 10 000 loge­ments sont vacants dont 2 200 depuis plus de deux ans.

Logement en crise

Envi­ron 37 000 demandes de loge­ment social sont en ins­tance en Isère, dont 20 000 dans l’agglomération gre­no­bloise (+ 40 % depuis 2015). Actuel­le­ment, une demande sur cinq peut être satis­faite. À cela s’ajoute le niveau éle­vé des loyers dans le parc pri­vé sans oublier la satu­ra­tion des héber­ge­ments d’urgence. La crise du loge­ment, en Isère comme dans d’autres dépar­te­ments, affecte l’ensemble de la chaîne.

Non aux « ghettos de riches »

La loi Soli­da­ri­té et renou­vel­le­ment urbain (SRU) – que l’on doit à un ministre com­mu­niste – impose que le loge­ment social repré­sente un quart de l’offre. Façon d’empêcher la consti­tu­tion de ghet­tos où se concentrent les plus aisés. À Gre­noble, ce seuil vient d’être atteint : 25,14 % fin 2024. Compte tenu de la situa­tion, les com­mu­nistes gre­no­blois pro­posent dans leur pro­gramme muni­ci­pal de pour­suivre l’effort pour atteindre la barre des 30 %. À Saint-Martin‑d’Hères et Échi­rolles, ce chiffre se situe autour de 40 %.

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