GF38. « Déçus, tristes et en colère », les Red Kaos tirent la sonnette d’alarme
Par Manuel Pavard
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L’exercice n’est pas habituel pour eux, plus adeptes de l’atmosphère surchauffée des tribunes que de l’ambiance feutrée des conférences de presse. Mais cette fois, il y avait urgence. « Aujourd’hui, on ne peut plus se taire parce qu’on a une responsabilité », explique Gerby, membre du Red Kaos 1994. « On ne peut pas toute l’année se revendiquer comme le syndicat des supporters et le porte-parole du public et quand il y a cette crise institutionnelle qui s’installe, ne pas être capable de passer devant la caméra pour s’en expliquer. »
Si Gerby, Silvio et Squale, trois des leaders du Red Kaos, ont décidé de s’adresser aux médias au nom de la tribune Ouest, mercredi 12 novembre, à l’Espace Midinette, à Saint-Martin-d’Hères, c’est bien effet parce que leur « club de cœur », le GF38, traverse « une crise majeure ». Une crise qui se veut « existentielle, institutionnelle et structurelle », précise le premier nommé, devant les quelques dizaines de supporters de la tribune Ouest présents ce soir-là (des ultras majoritairement affiliés au Red Kaos, mais également aux Diables bleus, sans oublier de simples abonnés), à deux pas du centre d’entraînement de la Poterne.
« Un sentiment de tristesse, de colère et de gâchis »
Pour bien comprendre les discours tenus par ces derniers et les mines graves observées dans le public, il faut appréhender le lien intime, et même passionnel, qui unit tout supporter ultra à son club. « Nous, le GF38, on en parle tous les jours, situe Silvio. Et donc en ce moment, c’est tous les jours qu’on a un sentiment de tristesse, de colère et de gâchis. »

Le mouvement de contestation actuel est ainsi né, confirme Gerby, de ce triple sentiment qui anime les ultras grenoblois, « déçus, tristes et en colère ». « Déçus » des dirigeants Stéphane Rosnoblet et Max Marty — respectivement président et directeur général du GF38 — qui, malgré des réunions régulières avec les groupes de supporters depuis trois ans, ont fait la « sourde oreille », les obligeant à « se positionner publiquement » aujourd’hui. « Tristes » devant le « désamour » qui s’installe autour du GF38 et son « capital sympathie en train de disparaître sous nos yeux », se désole-t-il, évoquant notamment l’affluence en chute libre au Stade des Alpes.
Enfin, « en colère contre Stéphane Rosnoblet ». Certes, le football français a traversé deux grosses crises, avec le Covid puis les droits TV, reconnaissent les Red Kaos. Néanmoins, ceux-ci ne comprennent pas « comment un investisseur qui a par ailleurs réussi dans ses activités professionnelles et qui, aujourd’hui, fait partie des 500 plus grosses fortunes de France, arrive de par sa politique depuis trois ans à plonger le club dans une espèce d’austérité financière ». Autrement dit à « mettre le GF38 à la diète ».
« Comment imaginer qu’on pourrait être en concurrence sportive avec des clubs qui, eux, ont des centres d’entraînement à la pointe de la technologie, des pelouses parfois hybrides, etc ? »
Gerby, membre du Red Kaos
Premier motif de discorde, les infrastructures. « La pierre angulaire du projet GF38, c’est la construction d’un nouveau centre d’entraînement et de formation à La Côte Saint-André, travaux qui ont débuté et qui sont d’ores et déjà à l’arrêt », déplore Gerby. Circonspects face aux raisons de cet arrêt et à l’absence de calendrier, les supporters réclament des « explications claires » à la direction.
Et que dire de « l’état déplorable de la pelouse » à La Poterne, où s’entraîne l’équipe première… Ce qui oblige les pros à devoir utiliser ponctuellement d’autres terrains de l’agglomération grenobloise. Une situation ubuesque, indigne d’un club de Ligue 2. Et qui a évidemment « un impact négatif sur les prestations sportives », selon les fidèles de la tribune Ouest. En effet, ironise Gerby, « comment imaginer qu’on pourrait être en concurrence sportive avec des clubs qui, eux, ont des centres d’entraînement à la pointe de la technologie, des pelouses parfois hybrides, etc ? »
Le GF38 devenu « un club tremplin »
Autre sujet, la politique sportive du GF38, qui est désormais considéré « uniquement comme un club tremplin », regrette le représentant du Red Kaos. Et celui-ci de citer « le turn-over dans l’effectif, la moyenne d’âge qui chute drastiquement, avec des joueurs beaucoup plus jeunes qu’avant » ou encore « la réticence des dirigeants à recruter des joueurs trentenaires ayant un peu bourlingué dans le championnat de France ». Réticence particulièrement « symptomatique », affirme-t-il. « Parce qu’évidemment, un joueur plus âgé, ce n’est pas un joueur sur lequel on peut capitaliser financièrement dans un ou deux ans. »

Pour les ultras isérois, le désamour du public envers l’équipe est « aussi lié à la politique sportive » du club. Gerby pose en effet la question : « Comment s’identifier à un effectif où il n’y a quasiment plus de joueurs grenoblois ? » Avec de jeunes joueurs « qui peuvent repartir à tout moment » et n’ayant aucune attache avec le club ou la région ?
Des supporters qui peinent à s’identifier aux joueurs
Ce manque de proximité avec les joueurs, que ce soit dans des espaces dédiés ou sur les réseaux sociaux, rend aussi les supporters moins indulgents. Surtout quand le style de jeu et les résultats — malgré l’embellie récente — ne sont pas au rendez-vous, beaucoup avouant avoir peut-être vu en début de saison « les pires matchs de [leur] vie de supporter ». Pourtant, tous acceptent de soutenir un club restant en Ligue 2. Mais pour décréter l’union sacrée, avoir « une histoire commune » et « une connexion » avec les joueurs est indispensable.
Malgré les critiques, les Red Kaos insistent sur la « modestie » de leur prise de parole. « On n’est pas des entraîneurs ni des RH », souligne Silvio. Ce qui ne l’empêche pas de constater nombre de carences dans le fonctionnement du GF38 : des salariés majoritairement « jeunes et inexpérimentés », « une campagne d’abonnement qui s’est résumée à un visuel sur Internet », une politique RSE abandonnée…
Manque « d’ancrage local »
Les ultras pointent également le problème de « l’incarnation du club » quasi inexistante de la part des dirigeants grenoblois. Si Max Marty prend parfois la parole, on ne voit presque jamais Stéphane Rosnoblet parler à la presse. Pas plus que les deux anciennes stars du football français des années 90, Marama Vahirua et Olivier Monterrubio, qui pourraient pourtant être « des têtes de gondole dans les médias ».
Idem pour « l’ancrage local. On a un club qui est censé rayonner sur le territoire mais qui est défaillant à ce niveau », déplore Silvio. Les exemples ne manquent pas, selon lui. Le GF38 était ainsi absent à la foire de Grenoble, qui vient de se terminer. « Comment ne pas se comparer au FCG et aux Brûleurs de loups qui, eux, y sont ? », s’interroge le supporter. Quant aux échanges avec les clubs de l’agglomération, « il y en a très peu », regrette-t-il.
« Le football n’est pas qu’une marchandise »
Un mot revient souvent pour qualifier le GF38 et plus particulièrement Stéphane Rosnoblet : « déconnecté ». Et ce, y compris pour le prix des places au Stade des Alpes avec, « depuis 2022, une augmentation d’environ 35 % pour un nouvel abonnement en tribune Ouest », observe Squale. Soit « le cinquième club le plus cher de Ligue 2 » dans cette catégorie. Difficile à justifier, d’après lui, au vu du « manque d’animations » avant et après les matchs, des « files d’attente interminables » et bien sûr du faible spectacle sur la pelouse.

Membre historique du Red Kaos, Squale a connu plusieurs périodes de vaches maigres et ne peut qu’admettre la « pauvreté » des résultats et du palmarès du GF38.« Mais l’attractivité d’un club, ce n’est pas que le résultat, c’est aussi la dimension émotionnelle, estime-t-il. La passion ne peut pas se construire sur l’ambition minimaliste du passage devant la DNCG. » Squale en appelle ainsi à un certain « romantisme » : « Le football n’est pas qu’une marchandise et il est du devoir d’un club de ramener des étoiles dans les yeux des enfants. »
Des questions à Stéphane Rosnoblet
Un objectif dont le GF38 semble bien loin aujourd’hui, comme l’illustrent notamment les affluences en baisse (moins 20 % par rapport à la saison dernière). Certes, les supporters grenoblois reconnaissent certains aspects positifs, comme le fait que le club soit « financé par des capitaux français ou ne fasse pas partie d’une multipropriété » ainsi que des finances relativement saines, permettant justement le passage réussi devant la DNCG. Néanmoins, « depuis trois ans, on régresse », constate Gerby.
Si les Red Kaos sortent du bois, c’est pour poser plusieurs questions, à Stéphane Rosnoblet, détaille-t-il : « Quel est le projet ? Est-il en capacité de développer le club ? Est-ce qu’il ne veut pas ou ne peut pas donner plus ? A‑t-on vocation à rester un club tremplin ? » Pour l’instant, les ultras ne demandent pas le départ du président : « On veut lui faire prendre conscience que le chemin suivi n’est pas le bon. »
Toutefois, leur patience a des limites et la pression pourrait bien grimper d’un cran d’ici quelques mois. Gerby ne le nie pas : « Si en fin de saison, rien n’a bougé, on considèrera que Stéphane Rosnoblet n’est plus capable d’assurer seul les intérêts du club. » Et dans ce cas, les Red Kaos tiendront « un autre discours ».


