GF38. « Déçus, tristes et en colère », les Red Kaos tirent la sonnette d’alarme

Par Manuel Pavard

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Silvio, Squale et Gerby (de gauche à droite), trois des leaders du Red Kaos et de la tribune Ouest, ont pris la parole devant la presse, le 12 novembre, à Saint-Martin-d'Hères. © Manuel Pavard
Les supporters de la tribune Ouest du Stade des Alpes, majoritairement représentés par le Red Kaos, ont tenu une conférence de presse, mercredi 12 novembre, pour évoquer la situation et l'avenir du GF38. Des ultras grenoblois qui s'inquiètent et s'insurgent face à la "crise majeure" vécue par leur club de cœur, objet d'un "désamour" croissant de la part du public. Dans leur viseur, la politique de la direction et plus particulièrement le président Stéphane Rosnoblet qu'ils interpellent directement, espérant créer un électrochoc.

L’exer­cice n’est pas habi­tuel pour eux, plus adeptes de l’at­mo­sphère sur­chauf­fée des tri­bunes que de l’am­biance feu­trée des confé­rences de presse. Mais cette fois, il y avait urgence. « Aujourd’­hui, on ne peut plus se taire parce qu’on a une res­pon­sa­bi­li­té », explique Ger­by, membre du Red Kaos 1994. « On ne peut pas toute l’an­née se reven­di­quer comme le syn­di­cat des sup­por­ters et le porte-parole du public et quand il y a cette crise ins­ti­tu­tion­nelle qui s’ins­talle, ne pas être capable de pas­ser devant la camé­ra pour s’en expli­quer. »

Si Ger­by, Sil­vio et Squale, trois des lea­ders du Red Kaos, ont déci­dé de s’a­dres­ser aux médias au nom de la tri­bune Ouest, mer­cre­di 12 novembre, à l’Es­pace Midi­nette, à Saint-Mar­tin-d’Hères, c’est bien effet parce que leur « club de cœur », le GF38, tra­verse « une crise majeure ». Une crise qui se veut « exis­ten­tielle, ins­ti­tu­tion­nelle et struc­tu­relle », pré­cise le pre­mier nom­mé, devant les quelques dizaines de sup­por­ters de la tri­bune Ouest pré­sents ce soir-là (des ultras majo­ri­tai­re­ment affi­liés au Red Kaos, mais éga­le­ment aux Diables bleus, sans oublier de simples abon­nés), à deux pas du centre d’en­traî­ne­ment de la Poterne.

« Un sentiment de tristesse, de colère et de gâchis »

Pour bien com­prendre les dis­cours tenus par ces der­niers et les mines graves obser­vées dans le public, il faut appré­hen­der le lien intime, et même pas­sion­nel, qui unit tout sup­por­ter ultra à son club. « Nous, le GF38, on en parle tous les jours, situe Sil­vio. Et donc en ce moment, c’est tous les jours qu’on a un sen­ti­ment de tris­tesse, de colère et de gâchis. »

Plu­sieurs dizaines de sup­por­ters du GF38 (essen­tiel­le­ment des ultras du Red Kaos) étaient pré­sents à l’Es­pace Midi­nette, pour la confé­rence de presse. © Tri­bune Ouest / Face­book

Le mou­ve­ment de contes­ta­tion actuel est ain­si né, confirme Ger­by, de ce triple sen­ti­ment qui anime les ultras gre­no­blois, « déçus, tristes et en colère ». « Déçus » des diri­geants Sté­phane Ros­no­blet et Max Mar­ty — res­pec­ti­ve­ment pré­sident et direc­teur géné­ral du GF38 — qui, mal­gré des réunions régu­lières avec les groupes de sup­por­ters depuis trois ans, ont fait la « sourde oreille », les obli­geant à « se posi­tion­ner publi­que­ment » aujourd’­hui. « Tristes » devant le « désa­mour » qui s’ins­talle autour du GF38 et son « capi­tal sym­pa­thie en train de dis­pa­raître sous nos yeux », se désole-t-il, évo­quant notam­ment l’af­fluence en chute libre au Stade des Alpes.

Enfin, « en colère contre Sté­phane Ros­no­blet ». Certes, le foot­ball fran­çais a tra­ver­sé deux grosses crises, avec le Covid puis les droits TV, recon­naissent les Red Kaos. Néan­moins, ceux-ci ne com­prennent pas « com­ment un inves­tis­seur qui a par ailleurs réus­si dans ses acti­vi­tés pro­fes­sion­nelles et qui, aujourd’­hui, fait par­tie des 500 plus grosses for­tunes de France, arrive de par sa poli­tique depuis trois ans à plon­ger le club dans une espèce d’aus­té­ri­té finan­cière ». Autre­ment dit à « mettre le GF38 à la diète ».

« Com­ment ima­gi­ner qu’on pour­rait être en concur­rence spor­tive avec des clubs qui, eux, ont des centres d’en­traî­ne­ment à la pointe de la tech­no­lo­gie, des pelouses par­fois hybrides, etc ? »

Ger­by, membre du Red Kaos

Pre­mier motif de dis­corde, les infra­struc­tures. « La pierre angu­laire du pro­jet GF38, c’est la construc­tion d’un nou­veau centre d’en­traî­ne­ment et de for­ma­tion à La Côte Saint-André, tra­vaux qui ont débu­té et qui sont d’ores et déjà à l’ar­rêt », déplore Ger­by. Cir­cons­pects face aux rai­sons de cet arrêt et à l’ab­sence de calen­drier, les sup­por­ters réclament des « expli­ca­tions claires » à la direc­tion.

Et que dire de « l’é­tat déplo­rable de la pelouse » à La Poterne, où s’en­traîne l’é­quipe pre­mière… Ce qui oblige les pros à devoir uti­li­ser ponc­tuel­le­ment d’autres ter­rains de l’ag­glo­mé­ra­tion gre­no­bloise. Une situa­tion ubuesque, indigne d’un club de Ligue 2. Et qui a évi­dem­ment « un impact néga­tif sur les pres­ta­tions spor­tives », selon les fidèles de la tri­bune Ouest. En effet, iro­nise Ger­by, « com­ment ima­gi­ner qu’on pour­rait être en concur­rence spor­tive avec des clubs qui, eux, ont des centres d’en­traî­ne­ment à la pointe de la tech­no­lo­gie, des pelouses par­fois hybrides, etc ? »

Le GF38 devenu « un club tremplin »

Autre sujet, la poli­tique spor­tive du GF38, qui est désor­mais consi­dé­ré « uni­que­ment comme un club trem­plin », regrette le repré­sen­tant du Red Kaos. Et celui-ci de citer « le turn-over dans l’ef­fec­tif, la moyenne d’âge qui chute dras­ti­que­ment, avec des joueurs beau­coup plus jeunes qu’a­vant » ou encore « la réti­cence des diri­geants à recru­ter des joueurs tren­te­naires ayant un peu bour­lin­gué dans le cham­pion­nat de France ». Réti­cence par­ti­cu­liè­re­ment « symp­to­ma­tique », affirme-t-il. « Parce qu’é­vi­dem­ment, un joueur plus âgé, ce n’est pas un joueur sur lequel on peut capi­ta­li­ser finan­ciè­re­ment dans un ou deux ans. »

La tri­bune Ouest pour les 30 ans du Red Kaos, en avril 2025, face au Paris FC. © Fran­cky / Red Kaos

Pour les ultras isé­rois, le désa­mour du public envers l’é­quipe est « aus­si lié à la poli­tique spor­tive » du club. Ger­by pose en effet la ques­tion : « Com­ment s’i­den­ti­fier à un effec­tif où il n’y a qua­si­ment plus de joueurs gre­no­blois ? » Avec de jeunes joueurs « qui peuvent repar­tir à tout moment » et n’ayant aucune attache avec le club ou la région ?

Des supporters qui peinent à s’identifier aux joueurs

Ce manque de proxi­mi­té avec les joueurs, que ce soit dans des espaces dédiés ou sur les réseaux sociaux, rend aus­si les sup­por­ters moins indul­gents. Sur­tout quand le style de jeu et les résul­tats — mal­gré l’embellie récente — ne sont pas au ren­dez-vous, beau­coup avouant avoir peut-être vu en début de sai­son « les pires matchs de [leur] vie de sup­por­ter ». Pour­tant, tous acceptent de sou­te­nir un club res­tant en Ligue 2. Mais pour décré­ter l’u­nion sacrée, avoir « une his­toire com­mune » et « une connexion » avec les joueurs est indis­pen­sable.

Mal­gré les cri­tiques, les Red Kaos insistent sur la « modes­tie » de leur prise de parole. « On n’est pas des entraî­neurs ni des RH », sou­ligne Sil­vio. Ce qui ne l’empêche pas de consta­ter nombre de carences dans le fonc­tion­ne­ment du GF38 : des sala­riés majo­ri­tai­re­ment « jeunes et inex­pé­ri­men­tés », « une cam­pagne d’a­bon­ne­ment qui s’est résu­mée à un visuel sur Inter­net », une poli­tique RSE aban­don­née…

Manque « d’ancrage local »

Les ultras pointent éga­le­ment le pro­blème de « l’in­car­na­tion du club » qua­si inexis­tante de la part des diri­geants gre­no­blois. Si Max Mar­ty prend par­fois la parole, on ne voit presque jamais Sté­phane Ros­no­blet par­ler à la presse. Pas plus que les deux anciennes stars du foot­ball fran­çais des années 90, Mara­ma Vahi­rua et Oli­vier Mon­ter­ru­bio, qui pour­raient pour­tant être « des têtes de gon­dole dans les médias ».

Idem pour « l’an­crage local. On a un club qui est cen­sé rayon­ner sur le ter­ri­toire mais qui est défaillant à ce niveau », déplore Sil­vio. Les exemples ne manquent pas, selon lui. Le GF38 était ain­si absent à la foire de Gre­noble, qui vient de se ter­mi­ner. « Com­ment ne pas se com­pa­rer au FCG et aux Brû­leurs de loups qui, eux, y sont ? », s’in­ter­roge le sup­por­ter. Quant aux échanges avec les clubs de l’ag­glo­mé­ra­tion, « il y en a très peu », regrette-t-il.

« Le football n’est pas qu’une marchandise »

Un mot revient sou­vent pour qua­li­fier le GF38 et plus par­ti­cu­liè­re­ment Sté­phane Ros­no­blet : « décon­nec­té ». Et ce, y com­pris pour le prix des places au Stade des Alpes avec, « depuis 2022, une aug­men­ta­tion d’en­vi­ron 35 % pour un nou­vel abon­ne­ment en tri­bune Ouest », observe Squale. Soit « le cin­quième club le plus cher de Ligue 2 » dans cette caté­go­rie. Dif­fi­cile à jus­ti­fier, d’a­près lui, au vu du « manque d’a­ni­ma­tions » avant et après les matchs, des « files d’at­tente inter­mi­nables » et bien sûr du faible spec­tacle sur la pelouse.

Les membres du Red Kaos fêtant leurs 15 ans d’a­mi­tié avec le Red Star en février 2025. © Manuel Pavard

Membre his­to­rique du Red Kaos, Squale a connu plu­sieurs périodes de vaches maigres et ne peut qu’ad­mettre la « pau­vre­té » des résul­tats et du pal­ma­rès du GF38.« Mais l’at­trac­ti­vi­té d’un club, ce n’est pas que le résul­tat, c’est aus­si la dimen­sion émo­tion­nelle, estime-t-il. La pas­sion ne peut pas se construire sur l’am­bi­tion mini­ma­liste du pas­sage devant la DNCG. » Squale en appelle ain­si à un cer­tain « roman­tisme » : « Le foot­ball n’est pas qu’une mar­chan­dise et il est du devoir d’un club de rame­ner des étoiles dans les yeux des enfants. »

Des questions à Stéphane Rosnoblet

Un objec­tif dont le GF38 semble bien loin aujourd’­hui, comme l’illus­trent notam­ment les affluences en baisse (moins 20 % par rap­port à la sai­son der­nière). Certes, les sup­por­ters gre­no­blois recon­naissent cer­tains aspects posi­tifs, comme le fait que le club soit « finan­cé par des capi­taux fran­çais ou ne fasse pas par­tie d’une mul­ti­pro­prié­té » ain­si que des finances rela­ti­ve­ment saines, per­met­tant jus­te­ment le pas­sage réus­si devant la DNCG. Néan­moins, « depuis trois ans, on régresse », constate Ger­by.

Si les Red Kaos sortent du bois, c’est pour poser plu­sieurs ques­tions, à Sté­phane Ros­no­blet, détaille-t-il : « Quel est le pro­jet ? Est-il en capa­ci­té de déve­lop­per le club ? Est-ce qu’il ne veut pas ou ne peut pas don­ner plus ? A‑t-on voca­tion à res­ter un club trem­plin ? » Pour l’ins­tant, les ultras ne demandent pas le départ du pré­sident : « On veut lui faire prendre conscience que le che­min sui­vi n’est pas le bon. »

Tou­te­fois, leur patience a des limites et la pres­sion pour­rait bien grim­per d’un cran d’i­ci quelques mois. Ger­by ne le nie pas : « Si en fin de sai­son, rien n’a bou­gé, on consi­dè­re­ra que Sté­phane Ros­no­blet n’est plus capable d’as­su­rer seul les inté­rêts du club. » Et dans ce cas, les Red Kaos tien­dront « un autre dis­cours ».

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