Grenoble. Une fresque en hommage à Lilian Dejean illumine le marché de l’Estacade

Par Manuel Pavard

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Nessé devant son œuvre quasi finalisée, jeudi 24 juillet, à l'entrée du marché de l'Estacade, sur un mur bordant le cours Jean-Jaurès.
Le visage souriant de Lilian Dejean accueille les visiteurs du marché de l'Estacade depuis cette fin juillet. Une fresque réalisée par l'artiste Nessé, sur un mur du pont ferroviaire, rend aujourd'hui hommage à l'agent municipal grenoblois, tué par balle en septembre 2024. Une œuvre qui touche profondément sa famille et ses proches, tout comme les passants.

Pour la famille de Lilian Dejean, « il n’y a pas de mots », assure Nes­sé. « Lilian est enter­ré en Gua­de­loupe mais ici, ils peuvent se retrou­ver avec lui. Son frère me l’a dit, main­te­nant quand il aura un petit moment, il vien­dra se poser là pour voir son frère, le regar­der. » L’ar­tiste de rue gre­no­blois rap­porte, avec une émo­tion et une fier­té non feintes, les com­pli­ments reçus des proches de l’agent muni­ci­pal assas­si­né. Les­quels ont sou­te­nu et accom­pa­gné son pro­jet depuis le départ.

Ce jeu­di 24 juillet, Nes­sé (Jérôme Fabre de son vrai nom) met la touche finale à sa pein­ture murale, enta­mée le week-end der­nier, sur un mur du mar­ché de l’Es­ta­cade, à l’angle de l’a­ve­nue de Vizille et du cours Jean-Jau­rès. La fresque repré­sente Lilian Dejean vêtu d’un tee-shirt blanc, la main sur le cœur et le visage fen­du d’un large sou­rire. À côté du por­trait, plu­sieurs coco­tiers sym­bo­li­sant sa Gua­de­loupe ado­rée, terre d’o­ri­gine de sa famille, et une cita­tion de l’an­cien syn­di­ca­liste CGT, trans­mise par son petit frère : « Quand on veut, on peut ; quand on peut, on fait ; quand on fait, on doit ; quand on doit, on gagne ».

L’i­dée d’une telle œuvre a ger­mé chez Nes­sé qua­si­ment dès le len­de­main du meurtre de Lilian Dejean, ce funeste 8 sep­tembre 2024. Témoin d’un acci­dent de voi­ture bou­le­vard Jean-Pain, à deux pas du Stade des Alpes et de l’hô­tel de ville de Gre­noble, l’agent de la pro­pre­té urbaine, alors en ser­vice, avait ten­té d’empêcher le délit de fuite du chauf­fard. Mais ce der­nier avait dégai­né une arme de poing et ouvert le feu, puis pris la fuite — avant d’être inter­pel­lé fin novembre au Por­tu­gal. Tou­ché au tho­rax, le père de deux enfants, âgé de 49 ans, avait suc­com­bé à ses bles­sures quelques heures plus tard, sa mort pro­vo­quant une émo­tion consi­dé­rable à Gre­noble.

« Ce pont, ça repré­sente la ‘trime’ : les che­mi­nots, les gens du mar­ché qui se lèvent à 3 heures du matin, les habi­tants du quar­tier… »

Jérôme Fabre, alias Nes­sé.

Très tou­ché par le décès de celui qu’il « connais­sait un peu » et croi­sait régu­liè­re­ment, Nes­sé avait aus­si « de très bons amis qui étaient des amis per­son­nels de Lilian ». Il a donc contac­té l’un d’entre eux à la suite du drame. « Je lui ai deman­dé ce qu’il pen­sait de des­si­ner son por­trait, raconte le mura­liste. J’ai pen­sé tout de suite à ce lieu car il y avait un mur vide et car c’é­tait sym­bo­lique : c’est l’en­trée du mar­ché, un endroit où Lilian tra­vaillait très sou­vent. J’ai dit à mon pote d’en tou­cher un mot à la famille, qui m’a contac­té et a choi­si une image qu’elle m’a don­née. » Ne res­tait plus alors qu’à trou­ver le cré­neau néces­saire sur son plan­ning.

Fresque en hom­mage à Lilian Dejean réa­li­sée par l’ar­tiste Nes­sé, sur un mur du mar­ché de l’Es­ta­cade.

Avec un tel sujet et un empla­ce­ment aus­si stra­té­gique, la fresque pou­vait dif­fi­ci­le­ment pas­ser inaper­çue. Illus­tra­tion, ce jeu­di comme les jours pré­cé­dents, Jérôme Fabre est sans cesse inter­rom­pu — à son grand plai­sir — par les éloges des pas­sants. « Bra­vo, c’est mer­veilleu­se­ment réus­si et ça m’é­meut vrai­ment », le féli­cite ain­si une habi­tante du quar­tier. Au même moment, des agents de la ville klaxonnent bruyam­ment, le pouce levé en direc­tion de l’ar­tiste. De fait, c’est aus­si pour hono­rer le tra­vail de tous ces employés muni­ci­paux qu’il a réa­li­sé cette œuvre.

Auteur de nom­breuses oeuvres ornant les murs du mar­ché de l’Es­ta­cade, Nes­sé a par exemple réa­li­sé cet hom­mage au che­mi­not Jean Moli­na.

Le visage de Lilian Dejean vient d’ailleurs rejoindre les nom­breux autres por­traits des­si­nés au fil des ans — pour la plu­part par Nes­sé — tout le long de l’Es­ta­cade, sous la voie fer­rée. « Ce pont, ça repré­sente la ‘trime’ : les che­mi­nots, les gens du mar­ché qui se lèvent à 3 heures du matin, les habi­tants du quar­tier », sou­ligne-t-il, évo­quant, dans le choix de ses sujets, un « hom­mage à la classe ouvrière et aux immi­grés » qui ont construit cette ville.

« Le destin a merdé »

Nes­sé balaye du regard le pont fer­ro­viaire où « il ne reste plus que 200 mètres de mur à peindre, et pas les plus visibles ». Puis, il revient aux deux por­traits par­ta­geant le même mur : Ricar­do di Aldo, per­son­nage emblé­ma­tique du mar­ché de l’Es­ta­cade, dis­pa­ru éga­le­ment en 2024, et bien sûr Lilian Dejean. Dans quelques semaines, on com­mé­mo­ra le pre­mier anni­ver­saire de son tra­gique décès.

Le temps passe, pour­tant « les sou­ve­nirs du drame sont encore vifs, constate l’ar­tiste. Ça ne se répa­re­ra jamais. Ce n’est même pas une baffe, un coup de cou­teau… Deux balles ! Là, on peut dire qu’il y a une injus­tice. Le des­tin a mer­dé (sic) ! »

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