Vencorex. L’offre chinoise préférée au projet de coopérative des salariés, 400 emplois sacrifiés
Par Manuel Pavard
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Le choc est à la hauteur de l’enjeu et du regain d’espoir qui animait les salariés de Vencorex depuis l’irruption du projet de reprise en société coopérative à intérêt collectif (SCIC). Selon les bruits de couloir, la tendance était pourtant plutôt à l’optimisme en début de matinée, à quelques heures du rendu du délibéré du tribunal de commerce de Lyon. Ceci grâce aux promesses de soutien engrangées depuis l’audience du 3 avril, à commencer par celle, annoncée mercredi 9 avril, d’un industriel indien disposé à investir près de 45 millions d’euros dans cette SCIC. Une proposition portée par les salariés et la Fédération nationale des industries chimiques (FNIC-CGT), rejoints par un nombre croissant de collectivités territoriales.

Malheureusement, la rumeur d’un scénario catastrophe a peu à peu pris de l’épaisseur en fin de matinée, ce jeudi 10 avril, avant d’être officiellement confirmée. Le tribunal a bel et bien tranché en faveur de l’offre de l’entreprise hongroise BorsodChem, filiale du groupe chinois Wanhua, écartant de facto le projet des salariés. Un vrai coup de massue pour ces derniers, qui avaient demandé au tribunal un délai supplémentaire de quatre semaines pour consolider un dossier garantissant le maintien des emplois et la pérennité de l’activité. Et ce, contrairement aux prévisions du nouveau repreneur, qui ne gardera que l’atelier Tolonates, avec 30 à 54 emplois (sur 460 au total à Vencorex).
« Une grande colère »
« Plus qu’une déception, c’est une grande colère que nous pouvons ressentir », lance Séverine Dejoux, élue CGT au CSE de Vencorex, qui a réagi à cette décision, ce jeudi après-midi, devant la plateforme chimique de Pont-de-Claix, aux côtés des autres porteurs du projet, dont son camarade CGT Denis Carré, le président de la Métropole de Grenoble et maire de Pont-de-Claix Christophe Ferrari, et le PDG de CIC Orio Olivier Six. Prenant « acte » du choix des juges, elle regrette néanmoins « tout le travail qui n’a pas été fait en amont. Pour notre part, je pense qu’on a fait notre part du travail », assène-t-elle.

Dans son viseur, comme dans celui des autres syndicalistes et élus présents, les services de l’État et le gouvernement, qui « n’ont pas entendu » leur appel à la nationalisation temporaire. Et qui se sont basés sur les chiffres fournis par la direction de l’entreprise, affirmant « qu’il fallait 300 millions d’euros pour sauver Vencorex ». Les regrets sont d’autant plus vifs qu’en finançant elle-même des études indépendantes, la CGT s’est rendu compte « qu’un projet indépendant alternatif était possible. On était à deux doigts d’y arriver », déplore Séverine Dejoux.
« Si on avait obtenu ces quatre semaines de report, on était en capacité de sauver cette plateforme. »
Séverine Dejoux, élue CGT au CSE de Vencorex
Visiblement, les juges n’ont pas été convaincus de leur capacité à réunir les 120 millions d’euros nécessaires à l’horizon 2029 (dont 20 millions de trésorerie pour le démarrage). Mais pour la représentante des salariés, il leur a surtout « manqué du temps ». « Si on avait obtenu ces quatre semaines de report, on était en capacité de sauver cette plateforme », assure ainsi Séverine Dejoux. « On a un ministre de l’Industrie qui a des belles paroles devant les médias, qui a peut-être fait semblant de soutenir un projet en disant qu’il allait mettre un euro d’argent public pour un euro d’argent privé. Mais au moment où il fallait s’engager, ils n’ont pas été là. »

Un « sentiment d’écœurement et de gâchis » qu’Olivier Six a lui aussi exprimé devant la presse. « Ce que j’ai vu depuis cinq ou six semaines, c’est vraiment tout ce qui fait qu’aujourd’hui on ne peut plus avoir d’industrie en France », se désole le PDG de CIC Orio, qui a rallié récemment le projet de coopérative des salariés. « On a un projet qui est viable, un marché qui existe — on ne dit pas qu’on va fermer une mine de charbon parce qu’il n’y a plus de charbon -, des salariés ultra motivés, des financements… Et malgré ça, ça a échoué ! »
« Il y en a qui auront à rendre des comptes »
Très ému, Christophe Ferrari a quant à lui décrit, la voix tremblante, « un jour noir pour notre territoire, pour notre métropole, pour le département de l’Isère et pour la région Auvergne-Rhône-Alpes ». Le président de la Métropole et maire de Pont-de-Claix évoque « un vrai sentiment d’injustice » devant la fermeture de la plateforme chimique, soit « 120 ans d’histoire qui vont s’arrêter ici ».
« Très en colère », Christophe Ferrari tire à boulets rouges sur le gouvernement. « J’ai l’intime conviction que pour le ministre de l’Industrie, cette affaire était pliée depuis le début. Je considère qu’il avait mis une croix rouge sur ce dossier en disant que de toute façon, ce site allait fermer. » Et de poursuivre : « Il y en a qui auront à rendre des comptes demain dans ce pays, sur ce qu’ils ont fait ou n’ont pas fait, sans aucun doute dans des bureaux bien planqués. »

L’élu métropolitain pointe ainsi la contradiction entre les paroles et les actes officiels, dans le contexte actuel. « C’est un monde à l’envers, nous marchons sur la tête », s’insurge-t-il. « Il n’y aura plus aucun discours crédible en matière de réindustrialisation de la France. En tout cas, je n’en croirai aucun à partir du moment où on décide de fermer ce fleuron ici. » Un sentiment de dépit, voire de trahison, partagé unanimement par les acteurs du projet.
« Il n’y aura plus aucun discours crédible en matière de réindustrialisation de la France. »
Christophe Ferrari, président de la Métropole et maire de Pont-de-Claix
À l’heure où Emmanuel Macron et l’ensemble des ministres parlent sans cesse de souveraineté industrielle, la pilule est d’autant plus difficile à avaler que l’activité de Vencorex avait, par effet domino, un impact considérable sur de nombreux secteurs stratégiques. Industrie spatiale, défense, dissuasion nucléaire… Sur la plateforme voisine de Jarrie, Arkema et Framatome dépendent toutes in fine du sel de Pont-de-Claix, respectivement pour les fusées Ariane ou missiles M51 et pour les centrales nucléaires.
Malgré la « profonde fierté » ressentie devant la mobilisation des salariés, Christophe Ferrari trouve « encore plus insupportable de perdre sur ce dernier mètre ». Pourtant, « tout était agrégé, il ne nous manquait que quelques heures », ajoute-t-il. Avant de s’interroger : « Comment est-ce possible qu’on n’ait pas pu avoir ces quelques heures qui permettaient tout simplement d’avoir un avenir radieux ici et prospère ? »

De son côté, Denis Carré, représentant CGT, n’hésite pas à cibler ouvertement le ministre de l’Industrie Marc Ferracci. « Quand on est un menteur, on n’a rien à faire au gouvernement », accuse-t-il, dénonçant le manque de respect dont a fait preuve l’exécutif envers les salariés de Vencorex. Un ministre qui, fustige le salarié, « nous envoie à France Travail, laisse tomber l’industrie, liquide les entreprises, donne notre savoir-faire et nos brevets aux Chinois ». Lesquels se retrouvent en pôle position sur le marché mondial, ayant évincé toute concurrence. Néanmoins, même dans cette situation, ni Marc Ferracci ni aucun autre ministre n’ont daigné se déplacer en Isère, s’étonne Christophe Ferrari.
« Il va y avoir un impact considérable »
Ce dernier fustige par ailleurs une vision à court terme qui n’a pas anticipé le coût de dépollution de la plateforme chimique de Pont-de-Claix. Un montant colossal, jamais précisément chiffré mais souvent évalué à plus d’un milliard d’euros. De fait, la décision rendue ce jeudi 10 avril par le tribunal de commerce est « celle qui aura le plus d’impact en termes de coût pour le contribuable français, le contribuable métropolitain, le contribuable isérois, le contribuable de cette région », souligne le président de la Métropole.
Quant au coût social, celui-ci s’annonce également très lourd. À ce jour, 136 salariés ont déjà reçu leur lettre de licenciement. Et pour les autres, quel avenir ? « C’est rechercher du travail dans un bassin qui est sinistré », répond Denis Carré. « Aujourd’hui, on sait aussi que Arkema supprime 150 emplois. Est-ce que vous avez vu d’autres entreprises de chimie dans le coin ? », demande-t-il. « Pas vraiment. Donc, aujourd’hui, c’est un avenir sinistre pour les salariés. »

Pour noircir encore un peu plus un tableau déjà bien sombre, à ces quelque 400 emplois directs s’ajoutent plusieurs milliers d’emplois indirects ou induits — sans doute plus de 5 000. « N’oubliez pas qu’il n’y a pas que Vencorex », rappellent ainsi Séverine Dejoux et Denis Carré. « On parle aussi de familles, des entreprises liées à Vencorex, des travailleurs d’autres communes, des clients, des fournisseurs, des commerçants… Il va y avoir un impact considérable ! »
Les élus insoumis et communistes déplorent le « soutien tardif » de la Région
Réagissant dans un communiqué diffusé ce jeudi 10 avril au soir, le groupe des élus insoumis et communistes au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes critique vivement le désengagement de l’État, qui « abandonne Vencorex et renonce à la souveraineté de la filière chimique française ». Il regrette également « le soutien tardif et insuffisant de la région Auvergne-Rhône-Alpes au projet de reprise porté par les salariés ».
« Nous déplorons une nouvelle fois que notre vœu présenté lors de l’assemblée régionale du 28 mars engageant la région à obtenir la nationalisation temporaire de l’entreprise n’ait pas été soutenu par la majorité régionale », poursuivent les élus insoumis et communistes. « À la suite de la décision du tribunal, tout doit être mis en œuvre à présent pour sécuriser l’avenir de l’ensemble des salariés de l’entreprise Vencorex », concluent-ils.