Une délégation iséroise au Tribunal permanent des peuples ; la Turquie mise en accusation

Par Edouard Schoene

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Isabelle, Maryvonne et Aimée, de la délégation dauphinoise à Bruxelles.
Une délégation de l’association AIAK (Association iséroise des amis des Kurdes) a assisté les 5 et 6 février au Tribunal permanent des peuples (TPP), réuni à Bruxelles. Le TPP, fondé le 24 juin 1979 à Bologne, est un tribunal d'opinion qui s’appuie sur le droit international. Il a examiné les crimes de guerre présumés commis par la Turquie au Rojava (2018 -2024), en mettant en lumière les attaques ciblées contre les infrastructures civiles, les populations locales et les violations des droits humains. Le TPP n’a pas de pouvoir juridique contraignant, mais son rôle est d’exposer les preuves de violation du droit international et de mettre les institutions internationales face à leurs responsabilités.

Cinq accu­sés étaient appe­lés à la barre : le pré­sident Recep Tayyip Erdo­gan ; Hulu­si Akar, ministre de la défense de 2018 à 2023 ; Hakan Fidan, chef des ser­vices de ren­sei­gne­ment turcs pen­dant la période et actuel­le­ment ministre des affaires étran­gères ; Yaşar Güler, chef de l’é­tat-major géné­ral pen­dant la période et actuel­le­ment ministre de la défense et le géné­ral Ümit Dün­dar. Aucun n’était pré­sent.

Les pro­cu­reurs et témoins ont livré des infor­ma­tions, vidéos, pho­tos assez insup­por­tables à écou­ter et à voir tant la bru­ta­li­té des forces d’occupation turques et de ses alliés est sans pitié. Il en res­sort que tout est fait pour dépla­cer les popu­la­tions kurdes et les éloi­gner du Roja­va (Nord-Est de la Syrie).

Le tri­bu­nal a pris connais­sance de témoi­gnages et des docu­ments.

À Afrin, la popu­la­tion kurde est dépla­cée et rem­pla­cée par d’autres eth­nies. Le modèle de cette colo­ni­sa­tion est notam­ment ins­pi­ré par l’agression mili­taire de Chypre. En 1974, la Tur­quie enva­hit une par­tie de Chypre. Depuis, elle occupe illé­ga­le­ment un tiers du ter­ri­toire. L’État d’Erdogan orga­nise des cam­pagnes de publi­ci­té pour inci­ter la popu­la­tion turque à emmé­na­ger sur la par­tie occu­pée de l’île.

La Tur­quie a opé­ré une colo­ni­sa­tion en fai­sant venir 400 000 Turk­mènes, de la région d’Alep notam­ment des Arabes d’Oms, de Damas. La colo­ni­sa­tion éco­no­mique s’organise, par les trans­ferts des pro­duc­tions d’Afrin vers la Tur­quie ; la pro­duc­tion d’huile d’olive notam­ment. Un obser­va­teur indique que ces dépla­ce­ments de popu­la­tion ont été négo­ciés entre les pou­voirs turques, russes et le régime syrien. La popu­la­tion kurde est pas­sée à Afrin de 95% à 25%.

La col­lu­sion entre l’ar­mée turque et l’Ar­mée natio­nale syrienne.

Par­mi les témoi­gnages enten­dus, celui du bom­bar­de­ment, le 2 décembre 2019, par la Tur­quie, de la ville de Tel Rifat. Des enfants kurdes sont frap­pés par des éclats d’obus. Huit enfants de moins de 15 ans et deux adultes sont assas­si­nés. L’attaque fait dix-sept bles­sés. L’obus a été tiré depuis la ville d’Azaz, une ville sous contrôle de l’Armée natio­nale syrienne, sous contrôle des auto­ri­tés turques. De nom­breuses per­sonnes sont por­tées « dis­pa­rues » ces der­nières années. Un pro­cu­reur fait état de 300 000 per­sonnes qui ont du fuir Afrin en 2018. Les femmes, selon de mul­tiples témoi­gnages, sont tout par­ti­cu­liè­re­ment visées pour être empri­son­nées, vio­lée et mas­sa­crées. Les menaces sur l’environnement sont nom­breuses, tels les bom­bar­de­ments turcs sur le  bar­rage de Tish­rin.

« Les attaques menées par la Tur­quie sur le ter­ri­toire syrien, sans l’au­to­ri­sa­tion du Conseil de sécu­ri­té des Nations unies, consti­tuent un crime inter­na­tio­nal d’a­gres­sion. Les bom­bar­de­ments, les tirs d’o­bus, les frappes de drones, les atro­ci­tés contre les civils, les dépla­ce­ments for­cés et l’in­gé­nie­rie démo­gra­phique par le rem­pla­ce­ment des popu­la­tions, la des­truc­tion des infra­struc­tures éner­gé­tiques, l’atteinte à l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en eau, les dégâts envi­ron­ne­men­taux, la des­truc­tion du patri­moine cultu­rel et des éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment, le recours au viol, à la tor­ture et à la déten­tion secrète sont tous contraires au droit inter­na­tio­nal, consti­tuent des crimes contre l’hu­ma­ni­té et des crimes de guerre, et sont indi­ca­tifs d’un géno­cide. Il ne nous appar­tient pas, en tant que Tri­bu­nal des peuples, et cer­tai­ne­ment pas à ce stade, de nous pro­non­cer sur des nuances juri­diques. Nous pou­vons cepen­dant expri­mer notre hor­reur et notre indi­gna­tion face à ce que nous avons enten­du. Et nous pou­vons ajou­ter que le sché­ma tend à confir­mer les témoi­gnages selon les­quels l’ob­jec­tif est de chas­ser le peuple et la culture kurdes. »

Décla­ra­tion pré­li­mi­naire du tri­bu­nal (son juge­ment sera ren­du dans quelques semaines)
Le  bar­rage de Tish­rin.

Pour cette audience, le tri­bu­nal était com­po­sé de sept juges venus du monde entier, douze pro­cu­reurs, et il a enten­du un dizaine de témoins. Le Tri­bu­nal per­ma­nent des peuples a été mis en place par neuf struc­tures (juri­diques, uni­ver­si­taires asso­cia­tives) avec le sou­tien maté­riel de plus de trente orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales.

La délé­ga­tion d’AIAK était com­po­sé de Mauve, Aimée Gou­jon, Mary­vonne Mathéoud, Isa­belle Métral et Édouard Schoene.

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