Une délégation iséroise au Tribunal permanent des peuples ; la Turquie mise en accusation
Par Edouard Schoene
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Cinq accusés étaient appelés à la barre : le président Recep Tayyip Erdogan ; Hulusi Akar, ministre de la défense de 2018 à 2023 ; Hakan Fidan, chef des services de renseignement turcs pendant la période et actuellement ministre des affaires étrangères ; Yaşar Güler, chef de l’état-major général pendant la période et actuellement ministre de la défense et le général Ümit Dündar. Aucun n’était présent.
Les procureurs et témoins ont livré des informations, vidéos, photos assez insupportables à écouter et à voir tant la brutalité des forces d’occupation turques et de ses alliés est sans pitié. Il en ressort que tout est fait pour déplacer les populations kurdes et les éloigner du Rojava (Nord-Est de la Syrie).

À Afrin, la population kurde est déplacée et remplacée par d’autres ethnies. Le modèle de cette colonisation est notamment inspiré par l’agression militaire de Chypre. En 1974, la Turquie envahit une partie de Chypre. Depuis, elle occupe illégalement un tiers du territoire. L’État d’Erdogan organise des campagnes de publicité pour inciter la population turque à emménager sur la partie occupée de l’île.
La Turquie a opéré une colonisation en faisant venir 400 000 Turkmènes, de la région d’Alep notamment des Arabes d’Oms, de Damas. La colonisation économique s’organise, par les transferts des productions d’Afrin vers la Turquie ; la production d’huile d’olive notamment. Un observateur indique que ces déplacements de population ont été négociés entre les pouvoirs turques, russes et le régime syrien. La population kurde est passée à Afrin de 95% à 25%.

Parmi les témoignages entendus, celui du bombardement, le 2 décembre 2019, par la Turquie, de la ville de Tel Rifat. Des enfants kurdes sont frappés par des éclats d’obus. Huit enfants de moins de 15 ans et deux adultes sont assassinés. L’attaque fait dix-sept blessés. L’obus a été tiré depuis la ville d’Azaz, une ville sous contrôle de l’Armée nationale syrienne, sous contrôle des autorités turques. De nombreuses personnes sont portées « disparues » ces dernières années. Un procureur fait état de 300 000 personnes qui ont du fuir Afrin en 2018. Les femmes, selon de multiples témoignages, sont tout particulièrement visées pour être emprisonnées, violée et massacrées. Les menaces sur l’environnement sont nombreuses, tels les bombardements turcs sur le barrage de Tishrin.
« Les attaques menées par la Turquie sur le territoire syrien, sans l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies, constituent un crime international d’agression. Les bombardements, les tirs d’obus, les frappes de drones, les atrocités contre les civils, les déplacements forcés et l’ingénierie démographique par le remplacement des populations, la destruction des infrastructures énergétiques, l’atteinte à l’approvisionnement en eau, les dégâts environnementaux, la destruction du patrimoine culturel et des établissements d’enseignement, le recours au viol, à la torture et à la détention secrète sont tous contraires au droit international, constituent des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, et sont indicatifs d’un génocide. Il ne nous appartient pas, en tant que Tribunal des peuples, et certainement pas à ce stade, de nous prononcer sur des nuances juridiques. Nous pouvons cependant exprimer notre horreur et notre indignation face à ce que nous avons entendu. Et nous pouvons ajouter que le schéma tend à confirmer les témoignages selon lesquels l’objectif est de chasser le peuple et la culture kurdes. »
Déclaration préliminaire du tribunal (son jugement sera rendu dans quelques semaines)

Pour cette audience, le tribunal était composé de sept juges venus du monde entier, douze procureurs, et il a entendu un dizaine de témoins. Le Tribunal permanent des peuples a été mis en place par neuf structures (juridiques, universitaires associatives) avec le soutien matériel de plus de trente organisations internationales.
La délégation d’AIAK était composé de Mauve, Aimée Goujon, Maryvonne Mathéoud, Isabelle Métral et Édouard Schoene.