MC2 — Grenoble – Vaisseau familles. Original et percutant !

Par Régine Hausermann

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Image principale
©Jean-Louis Fernandez
Jeudi 16 janvier 2025 – Deuxième des cinq représentations du spectacle créé à la MC2 par les quatre complices du Collectif Marthe. Un collectif résolument féminin et féministe qui poursuit son travail inventif et engagé, alliant l’intime et le politique, s’appuyant sur des textes théoriques et des enquêtes de terrain. Après le mythe de la sorcière, l’autodéfense, le cyber-féminisme, les luttes d’émancipation des années 70 en France, le Collectif creuse le thème de la famille.

Une volonté assumée de vulgarisation

Les quatre comé­diennes regardent le public entrer tout en dis­cu­tant sur le pla­teau du Petit Théâtre encom­bré de meubles et d’objets : une armoire, un grand lit, des por­tants rem­plis de vête­ments colo­rés à cour et à jar­din, de grandes ten­tures blanches au sol, une grande échelle à l’arrière-plan… L’une, un livre en main, se gratte la tête comme si elle éprou­vait des dif­fi­cul­tés à com­prendre ce qu’elle lit.

Pho­to R.H.

La salle rem­plie, encore éclai­rée, elles s’avancent au-devant de la scène, nous regar­dant, cher­chant à éta­blir un contact. Marie-Ange Gagnaux nous lit alors un extrait de l’ouvrage en cours de lec­ture. Est-ce une ana­lyse de la phi­lo­sophe ita­lienne Sil­via Fede­ri­ci qui s’inscrit dans la tra­di­tion du fémi­nisme radi­cal et du fémi­nisme maté­ria­liste ? De la socio­logue et fémi­niste alle­mande Maria Mies ? De Fran­çoise Héri­tier ou de Gene­viève Pru­vost ? Noms d’intellectuel·les ayant tra­vaillé sur la famille, comme un cer­tain Michel, cité plus tard … Michel Fou­cauld, évi­dem­ment !

« Nous aimons à dire que nous fai­sons des spec­tacles pour don­ner l’envie aux spectateur·trice·s de lire les livres qui nous ont bous­cu­lées. »

©Jean-Louis Fer­nan­dez

Mais priorité au spectacle

Les quatre jeunes femmes se trans­forment pour jouer les dif­fé­rents types de familles humaines. L’armoire leur sert alors de ves­tiaire d’où elles émergent mécon­nais­sables, assu­mant un per­son­nage mas­cu­lin ou fémi­nin, jeune ou vieux, por­tant des vête­ments adap­tés au contexte. Du Moyen Age à la période contem­po­raine, elles s’amusent à fabri­quer les modes de fonc­tion­ne­ment de la famille — de la famille élar­gie à la famille nucléaire — ques­tion­nant leurs logiques de repro­duc­tion, d’habitation, de rela­tions, de hié­rar­chie.

Elles vont plus loin en ima­gi­nant ce que pour­rait être une famille humaine adop­tant les modes de repro­duc­tion de cer­tains ani­maux. La séquence où une bio­lo­giste se trans­forme en reine des ter­mites est poé­tique et hila­rante. Savez-vous vous que la reine pond un œuf toutes les deux secondes durant une moyenne de quinze ans ! Cal­cu­lez le nombre d’individus mis au monde ! Plus de deux mil­liards. La salle rit et s’émerveille de la beau­té des cos­tumes, de l’inventivité des dia­logues et des situa­tions.

Dans le tableau final, les draps et cou­ver­tures de trans­forment en voiles dres­sées sur le lit deve­nu bateau pour empor­ter les quatre comé­diennes vers de nou­velles recherches sur la famille. Comme le jeu théâ­tral, les dia­logues et la mise en scène sont toniques, drôles, per­cu­tants, inven­tifs. Un beau tra­vail col­lec­tif applau­di par le public, très jeune ce soir-là.

La reine des ter­mites ©Jean-Louis Fer­nan­dez

Le collectif Marthe

Au départ comé­diennes, Cla­ra Bon­net, Marie-Ange Gagnaux, Auré­lia Lüscher et Itto Meh­daoui ont fon­dé le Col­lec­tif Marthe en 2018, pous­sées par le désir d’écrire leurs propres récits, leurs propres rôles, leurs propres règles du jeu. Et sur les ques­tions des fémi­nismes. Mais le réper­toire dis­po­nible est maigre. Elles décident alors de s’inspirer d’ouvrages théo­riques et de maté­riaux de recherches divers, de repar­cou­rir des his­toires oubliées, tues, cachées, petites, insi­gni­fiantes. Elles se défi­nissent comme « cher­cheuses » d’un théâtre qui inter­roge la façon dont la pen­sée tra­verse le corps. Sans trop se prendre au sérieux, elles tri­cotent une théâ­tra­li­té sin­gu­lière à par­tir de l’entrelacement du res­sen­ti et de la théo­rie. A l’image des magni­fiques tis­sus et ten­tures de Vais­seau familles.

Dès leurs débuts, elles ont mené de nom­breux ate­liers auprès de publics divers pour trans­mettre leurs méthodes de créa­tion, dans leurs varia­tions et leurs tâton­ne­ments, et tou­jours ani­mées par le sou­ci d’une hori­zon­ta­li­té de par­tage des savoirs.

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