MC2 — Grenoble – Vaisseau familles. Original et percutant !
Par Régine Hausermann
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Une volonté assumée de vulgarisation
Les quatre comédiennes regardent le public entrer tout en discutant sur le plateau du Petit Théâtre encombré de meubles et d’objets : une armoire, un grand lit, des portants remplis de vêtements colorés à cour et à jardin, de grandes tentures blanches au sol, une grande échelle à l’arrière-plan… L’une, un livre en main, se gratte la tête comme si elle éprouvait des difficultés à comprendre ce qu’elle lit.
La salle remplie, encore éclairée, elles s’avancent au-devant de la scène, nous regardant, cherchant à établir un contact. Marie-Ange Gagnaux nous lit alors un extrait de l’ouvrage en cours de lecture. Est-ce une analyse de la philosophe italienne Silvia Federici qui s’inscrit dans la tradition du féminisme radical et du féminisme matérialiste ? De la sociologue et féministe allemande Maria Mies ? De Françoise Héritier ou de Geneviève Pruvost ? Noms d’intellectuel·les ayant travaillé sur la famille, comme un certain Michel, cité plus tard … Michel Foucauld, évidemment !
« Nous aimons à dire que nous faisons des spectacles pour donner l’envie aux spectateur·trice·s de lire les livres qui nous ont bousculées. »
Mais priorité au spectacle
Les quatre jeunes femmes se transforment pour jouer les différents types de familles humaines. L’armoire leur sert alors de vestiaire d’où elles émergent méconnaissables, assumant un personnage masculin ou féminin, jeune ou vieux, portant des vêtements adaptés au contexte. Du Moyen Age à la période contemporaine, elles s’amusent à fabriquer les modes de fonctionnement de la famille — de la famille élargie à la famille nucléaire — questionnant leurs logiques de reproduction, d’habitation, de relations, de hiérarchie.
Elles vont plus loin en imaginant ce que pourrait être une famille humaine adoptant les modes de reproduction de certains animaux. La séquence où une biologiste se transforme en reine des termites est poétique et hilarante. Savez-vous vous que la reine pond un œuf toutes les deux secondes durant une moyenne de quinze ans ! Calculez le nombre d’individus mis au monde ! Plus de deux milliards. La salle rit et s’émerveille de la beauté des costumes, de l’inventivité des dialogues et des situations.
Dans le tableau final, les draps et couvertures de transforment en voiles dressées sur le lit devenu bateau pour emporter les quatre comédiennes vers de nouvelles recherches sur la famille. Comme le jeu théâtral, les dialogues et la mise en scène sont toniques, drôles, percutants, inventifs. Un beau travail collectif applaudi par le public, très jeune ce soir-là.
Le collectif Marthe
Au départ comédiennes, Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher et Itto Mehdaoui ont fondé le Collectif Marthe en 2018, poussées par le désir d’écrire leurs propres récits, leurs propres rôles, leurs propres règles du jeu. Et sur les questions des féminismes. Mais le répertoire disponible est maigre. Elles décident alors de s’inspirer d’ouvrages théoriques et de matériaux de recherches divers, de reparcourir des histoires oubliées, tues, cachées, petites, insignifiantes. Elles se définissent comme « chercheuses » d’un théâtre qui interroge la façon dont la pensée traverse le corps. Sans trop se prendre au sérieux, elles tricotent une théâtralité singulière à partir de l’entrelacement du ressenti et de la théorie. A l’image des magnifiques tissus et tentures de Vaisseau familles.
Dès leurs débuts, elles ont mené de nombreux ateliers auprès de publics divers pour transmettre leurs méthodes de création, dans leurs variations et leurs tâtonnements, et toujours animées par le souci d’une horizontalité de partage des savoirs.