« Des habitants sont venus nous demander des pétitions pour les faire circuler »

Par Luc Renaud

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A Grenoble, pas moins de cinq bureaux de poste sur la sellette. Pour l’heure, ceux des Eaux claires et de Malherbe-Teisseire paraissent hors de danger. La fermeture de celui d’Alsace-Lorraine est annoncée. Stalingrad la Capuche et la Bajatière restent dans la ligne de mire du groupe La Poste. A Malherbe, la mobilisation de l’union de quartier a été décisive.

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Raymond Luce-Catinot, Jean-Marc Roselli, Georges Duclot et Michel Hugonin, membres du bureau de l’union de quartier Malherbe.

Ce sera le same­di 15 juin. La mani­fes­ta­tion par­ti­ra du bureau de poste Mal­herbe-Teis­seire – au croi­se­ment du bou­le­vard Jean-Per­rot et de l’avenue Mal­herbe – et se diri­ge­ra vers le centre ville, Cha­vant, Vic­tor Hugo, pour s’achever devant le bureau de poste d’Alsace Lor­raine.

Un par­cours qui ne doit rien au hasard. Le point de départ, c’est un bureau de poste sau­vé par la mobi­li­sa­tion et l’engagement de la muni­ci­pa­li­té. Cha­vant, c’est le siège de la poste à Gre­noble. Alsace-Lor­raine, c’est un bureau de poste qui devait fer­mer le 15 juin et dont la date de fer­me­ture annon­cée par la poste est aujourd’hui repous­sée au 24 août.

Le suc­cès de Mal­herbe-Teis­seire s’explique. Le bureau a été par­tiel­le­ment incen­dié lors des vio­lences urbaines de juin 2023. Bien­tôt un an, et aucune réha­bi­li­ta­tion n’a été entre­prise. « Nous avons réuni une assem­blée géné­rale le 17 octobre et des habi­tants sont venus nous trou­ver avec une ques­tion : « quand est-ce que ça va ouvrir ? » », se sou­vient Jean-Marc Rosel­li, pré­sident de l’union de quar­tier Mal­herbe. Une péti­tion est lan­cée le 4 novembre. « Nous avons récol­té 250 signa­tures le pre­mier soir. » C’est que la fer­me­ture de ce bureau est de consé­quence. Les usa­gers – les clients, comme dit la poste aujourd’hui – devaient se rendre au Vil­lage olym­pique, à Sta­lin­grad ou à Eybens. Le VO et la Capuche… « aisé­ment acces­sibles en bus », esti­mait le direc­teur exé­cu­tif Auvergne-Rhône-Alpes, dans un cour­rier adres­sé à l’union de quar­tier… Dans ce quar­tier popu­laire, l’indisponibilité du dis­tri­bu­teur de billets impacte aus­si les com­mer­çants. « Ils connaissent une baisse de leur chiffre d’affaires », explique Georges Duclot, tré­so­rier de l’union de quar­tier. Quand on a peu de moyens, on retire des billets pour avoir la cer­ti­tude de ne pas dépen­ser davan­tage que pos­sible.

Cette péti­tion a donc été lar­ge­ment signée. « Des habi­tants sont venus nous deman­der des feuilles pour les faire cir­cu­ler ; des com­mer­çants les ont mises à dis­po­si­tion dans leur maga­sin… » Au total, 1 720 signa­tures recueillies à la clô­ture de la cam­pagne, en avril. L’union de quar­tier a cal­cu­lé que 38 % de la popu­la­tion concer­née avait signé. Une péti­tion trans­mise aux élus locaux, aux par­le­men­taires, au pré­fet, à la CCI, à la région…

Paral­lè­le­ment, l’union de quar­tier a pris des contacts avec la muni­ci­pa­li­té, les syn­di­cats, le col­lec­tif J’aime ma poste, col­lec­tif qu’elle a déci­dé de rejoindre. Dès novembre 2023, un cour­rier avait été adres­sé à la direc­tion régio­nale de la poste. Res­té sans réponse. Une nou­velle lettre était donc envoyée le 16 jan­vier. Laquelle a reçu une réponse le… 2 avril.

Le 15 juin, pour dire « J’aime ma poste à Grenoble »

Entre temps, des réunions avaient eu lieu en mai­rie en pré­sence d’Isabelle Peters, pre­mière adjointe, et d’Alan Confes­son, pour prendre connais­sance avec le col­lec­tif et les syn­di­cats du plan d’ensemble de réduc­tion du ser­vice public pos­tal à Gre­noble et orga­ni­ser la mobi­li­sa­tion. Le maire, Eric Piolle, avait indi­qué le refus de la muni­ci­pa­li­té d’une fer­me­ture du bureau de Mal­herbe-Teis­seire, quar­tier clas­sé « Poli­tique de la ville ». La poste a donc recu­lé. « Les ser­vices com­pé­tents sont sol­li­ci­tés pour pré­pa­rer et conduire les tra­vaux néces­saires à la réou­ver­ture de ce site ; ils inter­vien­dront au cours du second semestre 2024 », écrit le direc­teur exé­cu­tif régio­nal.

Ce que les membres du bureau de l’union de quar­tier consi­dèrent comme une avan­cée sans pour autant bais­ser la garde. « Nous res­tons vigi­lants. » Un rôle d’organisation col­lec­tive que l’union de quar­tier assume. « Dès nos ori­gines, en 1958, dans un quar­tier à l’époque en cours de créa­tion, l’union de quar­tier a por­té la voix des habi­tants pour faire remon­ter les besoins col­lec­tifs ; c’est ce que nous conti­nuons à faire aujourd’hui en défen­dant le ser­vice public », sou­ligne Georges Duclot.

Ils n’oublient pas non plus les menaces qui pèsent ailleurs dans la ville : Sta­lin­grad et Baja­tière mena­cés, fer­me­ture d’Alsace-Lorraine annon­cée… « Nous allons par­ti­ci­per à la mobi­li­sa­tion du 15 juin et nous allons faire part de notre expé­rience dans les réunions des unions de quar­tier qui nous invitent, c’est le cas pour celle de Baja­tière. »

En ville aus­si, l’action s’organise. Une péti­tion a recueilli plus de 2000 signa­tures contre la fer­me­ture d’Alsace-Lorraine. La CGT mon­te­ra un stand rue Félix Pou­lat le 13 juin pour invi­ter à la mani­fes­ta­tion du 15. Soli­daires s’est asso­cié à cette ini­tia­tive. Les com­mu­nistes gre­no­blois ont dif­fu­sé un numé­ro de leur jour­nal consa­cré à cette mobi­li­sa­tion. Le col­lec­tif J’aime ma poste fait cir­cu­ler l’information et tra­vaille de concert avec les unions de quar­tier et les syn­di­cats.

Le suc­cès de Mal­herbe-Teis­seire a ouvert une brèche.

Du bureau au relais, puis à l’agence

Le 12 juin, l’agence pos­tale com­mu­nale des Ave­nières sera offi­ciel­le­ment inau­gu­rée. Comme le dit sans rire, mais avec un cer­tain cynisme, le Dau­phi­né libé­ré du 30 mars 2024, « la maire, Myriam Boi­teux, sou­haite ain­si offrir à ses admi­nis­trés des ser­vices de proxi­mi­té indis­pen­sables en milieu rural »
Après avoir vali­dé la fer­me­ture du bureau de poste et son trans­fert au com­merce de proxi­mi­té Vival, et ce mal­gré l’opposition de la popu­la­tion (près de 900 péti­tion­naires en mai 2023…), voi­là que la maire est contrainte de dépen­ser de l’argent public pour réta­blir un ser­vice pos­tal a mini­ma, effec­ti­ve­ment indis­pen­sable en milieu rural, compte-tenu du fait que ledit com­mer­çant a jeté l’éponge… Eh oui, pos­tier, gui­che­tier, c’est aus­si un métier… et un ser­vice public assez peu com­pa­tible, a prio­ri, avec l’activité d’un com­merce ali­men­taire…

La fer­me­ture du bureau pos­tal n’ayant entraî­né aucune contes­ta­tion au sein du conseil muni­ci­pal, ni même au niveau de la com­mu­nau­té de com­munes, les 7 740 habi­tants des Ave­nières-Vey­rins-Thuel­lin devront donc désor­mais se conten­ter d’un ser­vice public réduit : un agent com­mu­nal recru­té qu’il va fal­loir for­mer, une sup­pres­sion du dis­tri­bu­teur auto­ma­tique de billets (et donc péna­li­té pour les usa­gers de la Banque pos­tale, car il fau­dra se ser­vir d’un autre dis­tri­bu­teur ban­caire…), des retraits et ver­se­ments limi­tés… Sans comp­ter le fait que l’indemnité men­suelle for­fai­taire de la Poste (entre 1 185 euros et 1 335 euros selon les cas), ne cou­vri­ra pas les frais enga­gés et ceux de ges­tion qui revien­dront donc à la com­mune…

Bref, un choix de poli­tique locale qui va à l’encontre des inté­rêts des habi­tants et qui s’inscrit dans la logique euro­péenne d’austérité bud­gé­taire et de mar­chan­di­sa­tion des ser­vices publics conduite par le gou­ver­ne­ment Macron.

Didier Gos­se­lin

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Le 30 avril devant le bureau Alsace-Lor­raine, Isa­belle Peters, pre­mière adjointe à Gre­noble ; Fran­çois Auguste, col­lec­tif J’aime ma poste ; et Arnaud Vos­sier, délé­gué syn­di­cal Sud Soli­daires.

La souffrance des postiers

L’annonce de la fermeture du bureau Alsace-Lorraine, c’est aussi le signal envoyé aux postiers que leur engagement pour la qualité du service est inutile.

« Il faut mesu­rer la vio­lence que ça repré­sente pour des col­lègues qui se battent pour amé­lio­rer le ser­vice aux usa­gers, qui par­viennent à aug­men­ter la fré­quen­ta­tion de leur bureau et aux­quels on annonce que non, ça n’a ser­vi à rien, leur bureau va fer­mer. » Arnaud Vos­sier, délé­gué syn­di­cal Soli­daires, évoque la fer­me­ture annon­cée du 24 août du bureau Alsace-Lor­raine, dans le centre ville de Gre­noble. Bureau dont l’activité est en hausse, ce qui n’est pas si fré­quent.

Pour­quoi ce choix de la direc­tion régio­nale de la poste ? « Ils veulent faire 1,102 mil­lion d’économie sur les coûts de fonc­tion­ne­ment annuels dans la région Aura ; le plus effi­cace, main­te­nant qu’on a fer­mé les bureaux ruraux, c’est de taper sur les bureaux aux coûts fixes les plus impor­tants, en dehors de toute prise en compte de l’activité. » D’où la « logique » de s’attaquer aux centres ville ; place des Ter­reaux à Lyon, par exemple.

« Cette poli­tique stric­te­ment comp­table induit une totale perte de sens pour nos métiers : la preuve est faite que, quel que soit l’engagement des col­lègues, leur acti­vi­té peut être sup­pri­mée », sou­ligne Arnaud Vos­sier.

Écœu­re­ment, d’autant que la poste est lar­ge­ment béné­fi­ciaire : près d’un mil­liard en 2023. Sachant de plus que l’Etat ne paie pas toutes ses dettes à la poste, laquelle est sub­ven­tion­née pour des mis­sions de ser­vice public qu’elle est sen­sée assu­mer.

Une dégra­da­tion du ser­vice aux usa­gers mal­gré de l’argent dis­po­nible, une perte de sens des métiers… ou com­ment tuer un ser­vice public.

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Le 16 avril, près de deux cents per­sonnes avaient par­ti­ci­pé à un ras­sem­ble­ment devant le bureau de poste.

A Fontaine, la poste ne fermera pas

A Fontaine, la mobilisation a débouché sur une promesse de réouverture. Il a fallu attendre neuf mois et une campagne de pétition.

« Vous avez des nou­velles du bureau de poste ? » La ques­tion revient régu­liè­re­ment auprès des mili­tants com­mu­nistes sur les mar­chés, au porte à porte, dans le local de leur sec­tion. C’est que le bureau de poste de Fon­taine est fer­mé depuis qu’il a brû­lé, lors des vio­lences urbaines de juin 2023.

D’où la cam­pagne de péti­tions ini­tiée par la sec­tion du PCF — plus de huit cents signa­tures — et l’organisation d’un ras­sem­ble­ment devant la poste, le 16 avril der­nier, à l’appel du PCF — voir le site du TA. Avec une reven­di­ca­tion : la réou­ver­ture immé­diate, pos­sible dans le local de l’ancienne annexe, place Mai­son­nat, aujourd’hui inoc­cu­pé.

Rassemblement à l’appel du PCF

La direc­tion régio­nale de la poste n’est pas res­tée insen­sible à ce mou­ve­ment. Par cour­rier adres­sé à la sec­tion com­mu­niste, elle a garan­ti tra­vaux et réou­ver­ture du bureau pour la fin de l’année.

Aucune expli­ca­tion n’a cepen­dant été don­née pour jus­ti­fier le démar­rage des tra­vaux qua­torze mois après l’incendie, en sep­tembre. Le rap­port séna­to­rial d’enquête sur « les émeutes sur­ve­nues à comp­ter du 27 juin 2023 » a recen­sé 16 400 sinistres décla­rés aux assu­reurs. Ce rap­port affirme que « les assu­reurs ont été réac­tifs lors des vio­lences urbaines de l’été 2023 ».

Les maga­sins gre­no­blois vic­times de pillages ont ouvert il y a bien long­temps. Depuis le temps que ça traîne, on peut en revanche s’interroger sur la volon­té d’engager les tra­vaux de réfec­tion du bureau de Fon­taine. La poste, il a fal­lu lui for­cer la main.

Ce qui déter­mine les Fon­tai­nois à res­ter vigi­lants jusqu’au démar­rage des tra­vaux et à la réou­ver­ture du bureau de poste de la ville.

Com­ment détruire un ser­vice public ? En éner­vant ses usa­gers

Inter­ro­gez votre fac­teur et il vous expli­que­ra (s’il peut prendre deux minutes pour un échange de paroles) la dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail et du ser­vice de dis­tri­bu­tion. A Fon­taine, nombre de quar­tiers sont pri­vés, régu­liè­re­ment, de dis­tri­bu­tion le same­di, nombre d’habitants observent avec aga­ce­ment les retards de dis­tri­bu­tion des cour­riers, dont la presse quo­ti­dienne. Un habi­tant de Fon­taine nous a indi­qué ne pas pou­voir obte­nir de ren­dez-vous aux ser­vices de la banque pos­tale et avoir sai­si le média­teur de la Poste.

Renaud Lugli, co secré­taire du PCF à Fon­taine, a dénon­cé, lors de sa prise de parole le 16 avril, l’approbation par le maire de Fon­taine du retard de la réou­ver­ture du bureau à la fin de l’année. « Cela fera tout de même 18 mois que notre poste aura été fer­mée et que nous galé­rons, cha­cune et cha­cun d’entre nous, pour nos opé­ra­tions cou­rantes (retrait de recom­man­dé, de colis, opé­ra­tions ban­caires, entre autres) », consta­tait-il. Tan­dis que la poste conseillait aux Fon­tai­nois de se rendre à Gre­noble pour réa­li­ser leurs opé­ra­tions. Car tout cela fait par­tie d’une visée plus glo­bale, l’éloignement du ser­vice public, pré­lude à sa dis­pa­ri­tion.

« Com­ment détruire un ser­vice public ? D’abord cou­per le finan­ce­ment, dimi­nuer les horaires, son acces­si­bi­li­té. Le ser­vice ne mar­che­ra plus. Il ne sera plus uti­li­sé. Les gens s’énerveront. Ils vou­dront autre chose. C’est une belle tech­nique pour pri­va­ti­ser un ser­vice public ! Nous sommes pour la recon­quête du mono­pole public pos­tal qui serait gage de l’égalité des usa­gers et des ter­ri­toires », pré­ci­sait-il.

Car la poste n’est pas seule concer­née : finances publiques, CPAM, éner­gie, ensei­gne­ment… Et Renaud Lugli de conclure : «  La poste veut sup­pri­mer nombre de bureaux. Rien n’est acquis mal­gré les pro­messes, conti­nuons à mobi­li­ser pour la réou­ver­ture du bureau de poste ».

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