Le souvenir de Marie-Françoise Pagneux

Par Régine Hausermann

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Depuis plus de six mois, Marie-Françoise luttait contre une récidive d’un cancer du poumon. De retour chez elle en septembre, elle allait mieux mais ne sortait plus de son appartement. En décembre, son état s’est détérioré. Le jeudi 28 décembre, son cœur a lâché.

Nous per­dons une fidèle amie, à la per­son­na­li­té affir­mée, culti­vée, enga­gée, pleine d’hu­mour. Elle aimait par­ta­ger des moments ami­caux en dégus­tant de bons plats et de bons vins. Par­ler des der­niers livres lus, des der­niers films et des spec­tacles vus. Elle lisait quo­ti­dien­ne­ment les jour­naux et les maga­zines, L’Humanité, Télé­ra­ma… Elle sui­vait les émis­sions de débats, sur LCP notam­ment. Elle appré­ciait ce miracle de la tech­no­lo­gie, la tablette, qui lui per­met­tait de suivre l’actualité, où qu’elle se trou­vât. Elle conti­nuait à s’indigner contre les injus­tices et les souf­frances infli­gées aux êtres humains : le sort réser­vé aux Pales­ti­niens à Gaza et en Cis­jor­da­nie, aux étran­gers via la der­nière loi immi­gra­tion.

Fidèle à ses enga­ge­ments de jeu­nesse au Par­ti com­mu­niste, elle était de toutes les réunions de sec­tion à Gre­noble, elle aimait retrou­ver les copains et copines à la fête du Tra­vailleur alpin, elle appré­ciait les ini­tia­tives de la socié­té des Amis de l’Humanité.

J’imagine ses com­men­taires à la suite de l’annonce de la com­po­si­tion du gou­ver­ne­ment Attal, de la nomi­na­tion de Rachi­da Dati à la culture notam­ment !

Elle était aus­si une super-Mamie pour Chloé, César et Joa. Avec Chloé elle était allée à Cuba. Elle fai­sait de fré­quents allers-retours à Mar­seille pour voir les jumeaux lorsqu’ils étaient petits. Avec Marie-Fran­çoise les sujets de conver­sa­tion ne man­quaient pas.

Nous avions fait connais­sance au début des années 1990, lors de mon arri­vée à Gre­noble. Elle, une fille du Nord, moi, de l’Est. Toutes deux grandes lec­trices et gour­mandes de spec­tacles cultu­rels. Toutes deux enga­gées dans les luttes. Nous nous ren­con­trions dans les mani­fes­ta­tions qui se ter­mi­naient sou­vent par un déjeu­ner impro­vi­sé chez Marie-Fran­çoise et Jean, au-des­sus de la Fnac, avec Framb, Eric, Marie-France, Fan­nette…

Le couple avait de nom­breux ami·es dans le monde du théâtre gre­no­blois et fré­quen­tait assi­dû­ment les salles de spec­tacle, petites et grandes, de l’agglomération gre­no­bloise. Le Car­go, l’Hexagone, le Théâtre 145, Sainte-Marie‑d’en-bas…

Avec Framb, sa belle-fille et amie, avec Marie-France Mone­ry, elle aimait aller à Avi­gnon. Elle ado­rait aus­si le fes­ti­val de Briare dans le Loi­ret.

Elle était une assi­due du fes­ti­val Regards Croi­sés, du Prin­temps du Livre à Gre­noble. Elle fré­quen­tait les biblio­thèques et la librai­rie Le Square — sa pré­fé­rée — où elle a sui­vi de nom­breuses ren­contres avec les écrivain·es. Elle aimait Louis Ara­gon, Elsa Trio­let, Pablo Neru­da. Mais aus­si Modia­no, Pes­soa, Sara­ma­go, Lidia Jorge, Leo­nar­do Padu­ra. Elle était membre de l’ASALAET (Asso­cia­tion des amis de Louis Ara­gon et Elsa Trio­let) où elle a ren­con­tré de nou­veaux ami·es.

Lorsqu’il a été dif­fi­cile pour Jean de sor­tir et après son décès en 2016, elle voyait davan­tage ses « copines », qu’elle connais­sait pour cer­taines depuis 1975 lorsqu’elles tra­vaillaient au centre social des Eaux Claires : Cathe­rine, Nicole, Nono, Syl­vette. Plus tard, sont entrées dans le cercle Andrée, Marie-France, Nun­zia, Cocotte. Quels mau­vais esprits ont-ils pré­ten­du que l’amitié entre femmes était un sen­ti­ment rare ?

Est-ce cet amour immo­dé­ré de l’art sous toutes ses formes qui avait conduit Marie-Fran­çoise à se tenir à dis­tance de toute acti­vi­té spor­tive, fût-ce la pro­me­nade ? Elle s’en amu­sait.

Pour faire vivre sa mémoire, son fils Antoine sug­gé­rait, le matin de sa cré­ma­tion, « un pro­gramme simple et vache­ment attrayant ». « Allez au théâtre et au ciné­ma tant que vos jambes vous portent, lisez des livres et des jour­naux, ache­tez des tableaux tant que vous avez de la place sur vos murs, rece­vez ceux que vous aimez et pre­nez des nou­velles d’eux, aidez-les s’ils en ont besoin et si vous en avez les moyens, bat­tez-vous pour les causes aux­quelles vous croyez. »

Il citait aus­si la der­nière lettre du poète russe Vla­di­mir Maïa­kovs­ki, qui selon lui, reflète le point de vue de Marie-Fran­çoise sur la vie.

« La barque de l’amour s’est bri­sée contre la vie cou­rante.
Comme on dit, l’incident est clos.
Et pas de can­cans, le défunt avait hor­reur de ça.
Je suis quitte avec la vie.
Inutile de pas­ser en revue les dou­leurs,
Les mal­heurs
Et les torts réci­proques.
Soyez heu­reux ! »

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