A Bourgoin-Jallieu, près de quatre-vingt personnes à l’invitation du PCF pour un débat sur l’agriculture de demain.
Jeudi 2 novembre, le débat organisé par les sections du PCF de Bourgoin-Jallieu et du Nord-Isère a donné lieu à des échanges de haute tenue sur la nécessité de repenser un modèle agricole français permettant de produire une alimentation saine et accessible, et de garantir une juste rémunération du travail agricole tout en préservant l’environnement et les ressources naturelles.
La maîtrise économique et démocratique de cette « révolution agro écologique » a été au cœur des débats, tant entre les intervenant(e)s qu’avec la salle constituée d’un public averti. Cette maîtrise passera-t-elle par une sécurité sociale de l’alimentation, inspirée par le modèle de sécurité sociale, avec une allocation universelle financée par la cotisation sociale, comme l’ont préconisé les représentant(e)s de la Confédération paysanne et de l’Atelier paysan ?
Ou par des conférences permanentes associant les professionnels, élargies aux populations et élu(e)s, adossées à une politique d’intervention publique, et dotées de pouvoirs nouveaux et nécessaires pour renverser les logiques du marché capitaliste, comme l’a développé Jonathan Dubrulle, membre du Conseil national du PCF ?
Le débat reste ouvert et n’a bien sûr pas été tranché, y compris à l’occasion du pot de l’amitié, avec des produits locaux, au cours duquel les échanges se sont poursuivis… L’essentiel ayant été de pouvoir confronter des points de vue, d’identifier des convergences, de réfléchir ensemble et d’envisager des perspectives communes de luttes, tout cela dans un esprit convivial et respectueux. C’était l’objectif des communistes de la section de Bourgoin-Jallieu et on peut dire que l’événement a été réussi.
Les intervenants, réprésentants du PCF, de la Confédération paysanne et de l’Atelier paysan.
Pour le PCF, Jonathan Dubrulle a resitué les enjeux permettant de tendre vers une révolution agro écologique, conçue comme un ensemble de pratiques circulaires en lien avec la polyculture, ne portant pas atteinte aux ressources naturelles et visant à une juste rémunération des producteurs, et basée sur l’offre et la demande. Pour Jonathan Dubrulle il y a des conditions nécessaires à cette révolution agro écologique et des moyens politiques à mettre en œuvre : sécurisation des revenus, formation des prix, intervention publique, régime public d’assurance… « Il faut sortir de la négociation commerciale », déclare Jonathan Dubrulle, au sein de laquelle le rapport de forces est défavorable aux producteurs et tendre vers ce que les communistes appellent des Conférences permanentes, instances démocratiques (un homme ou une femme/une voix) de fixation des prix, renforçant la logique d’intervention publique. Conférences composées d’organismes publics, d’acteurs commerciaux et de la distribution, tout en associant des représentants des travailleurs et des employeurs des filières concernées, de l’Etat et des collectivités, ou encore de la société civile. Objectif, précise Jonathan Dubrulle, « tendre vers une répartition plus équitable de la valeur ajoutée entre les différents agents concernés ».
Jonathan Dubrulle a également insisté sur la nécessité de sauvegarder les exploitations familiales à taille humaine, taille déterminée par les conditions objectives d’exploitations qui peuvent varier d’un endroit à un autre ou d’une activité à une autre. Pour conclure sur l’offre, il a rappelé que le PCF rejette le système dual consistant à envisager la coexistence de toutes petites exploitations familiales à côté d’immenses exploitations agro-industrielles.
Concernant la demande, elle passe, selon Jonathan Dubrulle par trois conditions : une augmentation des salaires, traitements et pensions ; un vaste investissement dans la restauration collective comme moyen d’aider économiquement les producteurs agro-écologiques locaux (le PCF propose 10 milliards d’investissement) ; une autre répartition de la valeur via les Conférences permanentes, car les profits de l’agroalimentaire sont des moyens en moins pour mieux rémunérer les producteurs et avoir des prix de produits accessibles.
Pour conclure, Jonathan Dubrulle souligne que la révolution agro écologique nécessite une forte incorporation de travail humain dans le processus de production, une gestion raisonnée et durable des ressources naturelles, une demande maîtrisée, soutenue, et construite de façon à favoriser les classes populaires.
Une sécurité sociale de l’alimentation
Marie Alagnat et Laurence Ferrini, agricultrices et membres de la Confédération paysanne ont d’abord rappelé qu’il s’agissait là d’un syndicat d’agriculteurs et pas de salariés agricoles. Créée en 1987, la Confédération paysanne a mené de nombreuses luttes, contre la malbouffe, les OGM… et obtenu des victoires significatives, notamment la reconquête du droit aux semences.
Marie Alagnat a indiqué que la Confédération paysanne soutenait, avec d’autres, le projet de sécurité sociale de l’alimentation. Elle a souligné, en s’appuyant sur le droit à l’alimentation inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme, le problème justement d’accessibilité à l’alimentation, notamment pour les huit millions de bénéficiaires de l’aide alimentaire. Elle a rappelé qu’un quart des agriculteurs vit en dessous du seuil de pauvreté et fait appel à l’aide alimentaire. Laurence Ferrini a indiqué que la seule aide alimentaire s’élevait à 500 millions d’euros et à près d’un milliard si on intègre tout l’environnement structurel porté par le bénévolat, et qu’il y avait là bataille à mener pour socialiser cette aide alimentaire dans le cadre d’une sécurité sociale de l’alimentation conventionnant des entreprises répondant à des critères économiques et environnementaux. Il pourrait s’agir là de la sixième branche de la sécurité sociale telle qu’on la connaît.
En dix ans, la moitié des arboriculteurs ont jeté l’éponge
Hugo Persillet (coopérative d’éducation populaire l’Atelier paysan) pose la question de l’organisation de cette production alimentaire issue de la nécessaire révolution agro écologique. Considérant qu’il convient de sortir du système agro-industriel, il plaide pour l’installation à minima d’un million d’agriculteurs dans les années à venir. Il rappelle qu’actuellement il y a 392 000 exploitations (100 000 de moins qu’en 2010), que l’objectif du syndicat majoritaire FNSEA et d’amener ce chiffre à 250 000, et « qu’on a perdu 50% des arboriculteurs ces dix dernières années »…
Hugo Persillet insiste sur la nécessité d’une réelle autonomie technique du monde agricole, aspect assez peu développé par les syndicats agricoles, en opposition aux trois axes de l’agro-industrie et des start-ups (robotique, numérique, biotechnologie) qui déshumanisent l’agriculture. Constatant l’échec social et environnemental du modèle industriel agricole, et son incapacité à nourrir tout le monde, malgré sa croissance continue en s’appuyant toujours plus sur le libre-échange, Hugo Persillet souligne qu’il y a urgence à sortir de l’aide alimentaire et de la « croyance » selon laquelle « on allait supprimer le système actuel en proposant des alternatives » uniquement locales et de type AMAP. Pour Hugo Persillet il faut voir les choses en grand et la solution, face à une logique de marché, c’est la démocratie. « On ne changera pas le système sans les salariés de l’agroalimentaire et leurs syndicats CGT. »
Le projet politique alternatif soutenu par l’Atelier paysan passe notamment par la socialisation de l’alimentation via la mise en place de la sécurité de l’alimentation, a déclaré Hugo Persillet, en accord avec la Confédération paysanne.
Terre de liens agit pour le foncier agricole
L’échange avec la salle et des représentants de l’association Terre de liens (achat et gestion en commun du foncier) a permis par ailleurs de mettre en évidence la nécessité d’outils de régulation du foncier autres que les SAFER, qui ne fonctionnent pas comme elles devraient, tout comme les critères des subventions de la PAC, et d’envisager un projet de socialisation des outils de travail, pas seulement le foncier, mais les outils et matériels d’exploitation, les bâtiments etc.
Pour Hugo Persillet (l’Atelier paysan) « le changement ne se fera pas par tâche d’huile mais par un mouvement social qui va accompagner cette révolution ». Il précise que des caisses alimentaires de sécurisation de l’alimentation sont en train de se mettre en place et qu’il conviendra de suivre attentivement ce qu’il en est concernant le dépassement de l’aide alimentaire et l’accès de tous et toutes à une alimentation choisie.
Faire obstacle à la marche du capitalisme
Si Jonathan Dubrulle a émis, à titre personnel, des réserves sur le projet de SSA et notamment le risque que les classes à haut capital social et culturel soient surreprésentées parmi celles et ceux qui élaboreront les critères de conventionnement, avec donc une exclusion des classes populaires, il a souligné que la place des biens industriels dans le régime alimentaire des classes populaires découlait de rapports sociaux capitalistes, et qu’il convenait de dépasser ces derniers plutôt que d’en aménager les conséquences. Il a également apporté des précisions, en réponse à une question de la salle sur la volonté du PCF de combattre le capitalisme. Il a rappelé qu’il ne suffisait pas en la matière de parler d’un objectif sans y adosser, comme le propose concrètement le PCF, des moyens et des pouvoirs. « Il faut construire » a insisté Jonathan Dubrulle. « Intervenir sur les prix, ne pas laisser le marché décider seul du prix d’une marchandise, c’est déjà aller à l’encontre de rapports sociaux de type capitaliste. Planifier démocratiquement des besoins, ça aussi ça va à l’encontre de lois de l’offre et de la demande. Essayer de refuser ou du moins de ralentir un rythme de substitution capital/travail et de diminuer le stock de capital qui est immobilisé sur les exploitations agricoles, ça aussi ça va à l’encontre de la marche du capitalisme. Essayer le plus possible d’imbriquer le centre de décision et le centre d’exécution, ça va à l’encontre de la division sociale du travail qui est notamment le moteur du capitalisme… » Autant de moyens, selon Jonathan Dubrulle, de tendre vers l’objectif politique de dépasser le capitalisme.
En conclusion, ce débat a non seulement fait la démonstration de la capacité des communistes à réfléchir collectivement, à organiser même cette réflexion collective, mais a aussi ouvert des pistes de travail et de luttes.
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