France insoumise. Comment ça marche en Isère

Par Luc Renaud

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Comment fonctionne la France insoumise ? Pas comme d’autres partis, assurément. Entre centralisme de fer et état gazeux d’un réseau social, entre décisions parisiennes opaques et multiplication des échanges horizontaux... Etat des lieux, avec des militants qui font vivre le mouvement en Isère, au cœur d’une nébuleuse qui se cherche une architecture.

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Jérôme S., animateur d'un groupe d'action dans le centre ville de Grenoble.

Jérôme S., ingé­nieur et syn­di­ca­liste à Schnei­der elec­trics, est res­pon­sable, avec Lau­ra Pfis­ter, du groupe d’action de la France insou­mise à Saint-Bru­no, quar­tier gre­no­blois. « Nous sommes là pour défendre le pro­gramme Un ave­nir en com­mun », dit-il.

L’organisation du groupe d’action en découle. Elle se struc­ture autour d’une pla­te­forme numé­rique natio­nale, L’action popu­laire. Là, on adhère. Une adhé­sion sur clic spé­ci­fique à la France insou­mise : pas de coti­sa­tions, pas de droits par­ti­cu­liers si ce n’est la pos­si­bi­li­té de dis­po­ser d’un compte sur Action popu­laire pour envoyer des contri­bu­tions. « Il peut arri­ver, très rare­ment, qu’un compte de quelqu’un qui serait là pour empê­cher l’activité, soit sup­pri­mé », indique Jérôme.

De fait, la pla­te­forme sert aux groupes d’action pour pro­po­ser des ren­dez-vous : col­lages, trac­tages, porte à porte, mani­fes­ta­tions… Et des actions : « Il nous arrive sou­vent de nous gref­fer sur des ini­tia­tives prises par des col­lec­tifs, comme celui pour la gra­tui­té des trans­ports à Gre­noble, ou pour l’action contre les pré­lè­ve­ments d’eau de St Micro en Gré­si­vau­dan, pré­cise Jérôme, c’est là aus­si, dans ces col­lec­tifs, que nous pou­vons faire vivre les pro­po­si­tions de l’Avenir en com­mun ».

Cette pla­te­forme infor­ma­tique per­met à cha­cun de par­ti­ci­per à la carte aux ini­tia­tives prises ou relayées par la France insou­mise. Le groupe d’action de Saint-Bru­no compte 67 « adhé­rents cli­qués ». « Nous sommes une ving­taine de mili­tants, explique Jérôme, et nous essayons de tenir une dif­fu­sion de tracts heb­do­ma­daire, et un porte à porte men­suel hors vacances ». Lors de la réunion de ren­trée, « nous étions qua­torze ». Des chiffres en hausse depuis 2017 – sachant qu’il est dif­fi­cile de « rendre sa carte », il n’y en a pas –, date de la créa­tion du groupe d’action, lors de l’élection pré­si­den­tielle. Son groupe d’action par­ti­cipe avec d’autres à l’organisation de for­ma­tions, de « cara­vanes popu­laires » – un point fixe un peu déco­ré… La métro­pole gre­no­bloise compte dix groupes d’action et de l’ordre de 400 per­sonnes enre­gis­trées sur la pla­te­forme (14 à Échi­rolles, 35 à Mey­lan, 11 à Fon­taine, 191 pour le groupe des jeunes insou­mis…)

Quand la politique s’organise par Internet

La pla­te­forme per­met éga­le­ment de mettre à la dis­po­si­tion des groupes d’action les cam­pagnes natio­nales de la France insou­mise – chaque groupe demeu­rant libre de conduire ses propres ini­tia­tives –, ses thèmes et les maté­riels à dif­fu­ser. « Nous rece­vons affiches et tracts envoyés par le natio­nal pour nous per­mettre de déve­lop­per notre acti­vi­té , rendre visibles ces cam­pagnes natio­nales. »

Pour cela, le groupe d’action doit être cer­ti­fié. Ce qui impose d’être au moins trois et de jus­ti­fier de trois ini­tia­tives publiées sur la pla­te­forme dans les deux der­niers mois. Moyen­nant quoi le groupe reçoit une dota­tion de cin­quante à soixante euros men­suels qui lui per­met de finan­cer par exemple le trans­port de tract et d’affiches qui sont mis à dis­po­si­tion par la struc­ture natio­nale de la France insou­mise. Laquelle a déci­dé d’acheter des locaux dans les dépar­te­ments qui ne dis­posent pas de dépu­tés FI : « ici, nous pou­vons uti­li­ser la per­ma­nence par­le­men­taire d’Élisa Mar­tin », note Jérôme. Si un groupe d’action sou­haite publier un tract, il envoie la fac­ture à Paris.

Ce qui reste rare. « Il s’agit sur­tout d’informer sur une date de réunion publique », indique Jérôme. Car l’intervention dans le débat poli­tique locale concerne davan­tage les élus de la France insou­mise que ses groupes d’action. Les choix poli­tiques locaux, « nous en dis­cu­tons au moment des élec­tions », note Jérôme, périodes au cours des­quelles sont mises en place des assem­blées sur les ter­ri­toires concer­nés. De fait, « il n’y a pas de repré­sen­tant ou de porte-parole à l’échelle muni­ci­pale, dépar­te­men­tale ou régio­nale », pré­cise le Livret de l’animateur édi­té par la direc­tion natio­nale de la FI.

Les périodes élec­to­rales et notam­ment l’élection pré­si­den­tielle, res­tent les moments forts de l’activité. « C’est là que nous ren­con­trons le plus de gens. » En ce qui concerne les élec­tions locales, la dési­gna­tion des can­di­dats s’effectue par « consen­sus large ». « Tout le monde peut être can­di­dat, explique Jérôme, lorsqu’il y a plu­sieurs can­di­dats, cha­cun pré­sente ses argu­ments et si le consen­sus ne se dégage pas, les can­di­dats se voient entre eux pour trou­ver un com­pro­mis qui nous est ensuite pré­sen­té pour abou­tir à ce consen­sus ». Le consen­sus large étant com­pris comme l’unanimité moins d’éventuelles abs­ten­tions de faible inten­si­té.

Jérôme voit l’avenir sous les meilleurs aus­pices. Avec l’envie, comme il l’a fait depuis 2017 à Orléans, Mont­pel­lier puis Gre­noble, de déve­lop­per l’activité mili­tante et le débat avec chaque citoyen pour élar­gir l’influence de la France insou­mise jusqu’au pou­voir.

L’assemblée représentative

Réunie deux fois par an, l’assemblée repré­sen­ta­tive est un peu le par­le­ment de la France insou­mise. Elle est com­po­sée de membres per­ma­nents et de mili­tants tirés au sort. Les per­ma­nents sont les diri­geants natio­naux : repré­sen­tants des par­tis qui com­posent le mou­ve­ment la France insou­mise (Par­ti de gauche, POI, Insou­mis com­mu­nistes, REV, Gauche éco­so­cia­liste, Picar­die Debout) et res­pon­sables des pôles et espaces. Les mili­tants tirés au sort – jamais les mêmes, par défi­ni­tion – sont là pour « remon­ter les obser­va­tions des insou­mis de leur dépar­te­ment », selon le Livret de l’animateur d’un groupe d’action. Les réunions des assem­blées repré­sen­ta­tives sont pré­pa­rées par des contri­bu­tions des mili­tants. « Elles sont triées par le natio­nal avant d’être publiées ; nous ne connais­sons pas le conte­nu de toutes les contri­bu­tions », nous indique Émi­lie Marche. Et puis « que les déci­sions soient prises par les diri­geants et les élus, c’est mieux que si c’était par un seul homme », nous confie­ra une mili­tante dans un clin d’œil d’humour.

Consensus large

Pas de vote à la France insou­mise ; les déci­sions sont prises par « consen­sus large ». Ce qui veut dire ? « Bonne ques­tion », répond Émi­lie Marche. Une sorte d’unanimité, ou plus exac­te­ment d’unanimité sans oppo­si­tion trop vio­lente. Un désac­cord qui laisse faire, pour­rait-on dire. Ou qui n’a pas les moyens de ne pas lais­ser faire. C’est sur cette base que des per­son­na­li­tés du mou­ve­ment (Raquel Gar­ri­do, Clé­men­tine Autain, Alexis Cor­bière, Fran­çois Ruf­fin…) se disent écar­tés de la direc­tion du mou­ve­ment.

Direction nationale

A la FI, on l’appelle « coor­di­na­tion des espaces ». « Elle com­prend aujourd’hui 21 per­sonnes et se réunit chaque semaine. Elle est ani­mée par Manuel Bom­pard », nous apprend le Livret de l’animateur. Le conseil poli­tique est com­po­sé des diri­geants des espaces et des repré­sen­tants des par­tis com­po­sant la France insou­mise.

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Émi­lie Marche, conseillère régio­nale, res­pon­sable des luttes dans la boucle dépar­te­men­tale de la France insou­mise.

Du gaz à la boucle, la transition énergétique

La France insoumise se définit comme un mouvement gazeux. Pas d’adhérent, pas de vote, pas de congrès… Pourtant, il faut bien s’organiser. Les impedimenta du terrain.

Com­ment maî­tri­ser les facé­ties du gaz ? C’était l’ordre du jour de l’assemblée repré­sen­ta­tive de la France insou­mise, réunie en décembre der­nier.

Laquelle a pris des déci­sions. Au pre­mier rang des­quelles – si l’on fait abs­trac­tion de l’adoubement de Manuel Bom­pard – la créa­tion des « boucles dépar­te­men­tales ». Un embryon de fédé­ra­tion dépar­te­men­tale, si l’on veut.

La boucle dépar­te­men­tale regroupe les ani­ma­teurs des groupes d’actions et les élus — régio­naux, dépar­te­men­taux, dépu­tés. Elle désigne des res­pon­sables par thème : tré­so­re­rie, maté­riels de pro­pa­gande, luttes, rela­tions avec d’autres par­tis, ani­ma­tion des réseaux sociaux et presse…

Financements et affiches proviennent de Paris

« Tout est très déci­dé à Paris, les thèmes de cam­pagne, le maté­riel… c’est très cen­tra­li­sé », rela­ti­vise tou­te­fois Émi­lie Marche. De fait, le pôle tré­so­re­rie de la boucle dépar­te­men­tale a pour fonc­tion de répar­tir les fonds alloués par Paris – les res­sources pro­viennent majo­ri­tai­re­ment de la sub­ven­tion de l’Etat et d’un pour­cen­tage sur les indem­ni­tés d’élus.

De même que le pôle dépar­te­men­tal maté­riels a en charge la répar­ti­tion des tracts et affiches livrés par Paris. Quant à la réflexion sur des pro­po­si­tions et choix poli­tiques au niveau d’un ter­ri­toire, « elle peut se déve­lop­per par le biais de contri­bu­tions ». Les prises de posi­tion locales relèvent ain­si davan­tage des dépu­tés et des quelques élus locaux de la France insou­mise que de la boucle dépar­te­men­tale.

« Jean-Luc Mélen­chon a une aura », résume Émi­lie Marche.

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Patrice Brun à l’université d’été de la France insou­mise, les AmFis.

Groupes d’action, mais pas que

Rencontre avec deux militants qui retracent leur propre cheminement au sein de la France insoumise. Entre espaces et livrets… explications.

Le par­cours clas­sique d’un nou­vel adhé­rent est celui de l’intégration à un groupe d’action, avec ses réunions et ses actions locales. Il peut choi­sir une affi­lia­tion sup­plé­men­taire en fonc­tion de ses goûts et de ses com­pé­tences.

Patrice Brun, syn­di­ca­liste dans le com­merce, ancien can­di­dat aux élec­tions légis­la­tives, est membre de l’espace natio­nal des luttes. Cet espace naît en 2017 autour d’une dis­cus­sion infor­melle réunis­sant trois ou quatre mili­tants en marge d’une réunion natio­nale du Par­ti de gauche. Phi­lippe Jura­ver, syn­di­ca­liste à la RATP, émet alors l’idée de créer une pla­te­forme des luttes regrou­pant des syn­di­ca­listes de dif­fé­rentes orga­ni­sa­tions et des lan­ceurs d’alerte qui sou­haitent tra­vailler ensemble et trou­ver des relais poli­tiques.

Échanges numériques à tous les étages

Ain­si créent-ils un grand réseau via des canaux numé­riques à tra­vers toute la France pour échan­ger des infor­ma­tions, sou­te­nir et impul­ser des évé­ne­ments. Ils ont notam­ment contri­bué à média­ti­ser la lutte des Vert­bau­det ou encore la tenue de l’assemblée géné­rale des action­naires de Car­re­four.
Autre par­cours, celui de Julien Ailloud membre du groupe d’action « Pont­char­ra insou­mise, sans peur et sans reproche ». Il est co-ani­ma­teur du livret « fémi­niste insou­mise ». Dans le voca­bu­laire de la France insou­mise, un « livret » est un sec­teur de tra­vail, un espace col­la­bo­ra­tif sur un thème don­né, qui éla­bore ce qui devien­dra après vali­da­tion l’un des élé­ments du pro­gramme. Le « livret » est éga­le­ment char­gé de l’organisation de temps forts sur le sujet. Co-ani­ma­teur depuis cinq ans, Julien explique que le tra­vail de son groupe consiste notam­ment à audi­tion­ner des cher­cheurs, des asso­cia­tions et des membres de la socié­té civile.

Les échanges entre les dif­fé­rents membres du livret, très dis­tants les uns des autres, s’effectuent là aus­si à l’aide d’outils numé­riques.
Julien est par­ti­cu­liè­re­ment fier de nous rela­ter que les tra­vaux des livrets sont, de façon géné­rale, recon­nus pour leur qua­li­té par de grandes ONG.

Marion Bot­tard

Un « livret », à quoi ça sert

Créé en 2017, les acti­vi­tés du livret « fémi­niste insou­mise » sont diverses. Cela va de l’élaboration pro­gram­ma­tique, à l’organisation de mani­fes­ta­tions, de cam­pagnes numé­riques, de jour­nées de for­ma­tion jusqu’à la rédac­tion d’articles publiés sur le site de la France insou­mise. Ces der­nières années, les prin­ci­paux thèmes défen­dus ont été les luttes contre les vio­lences sexistes et sexuelles, la défense de l’IVG et des tech­niques contra­cep­tives, la sen­si­bi­li­sa­tion à la pré­ca­ri­té mens­truelle. Le livret a aus­si beau­coup aler­té sur les manques de sage-femmes, en par­te­na­riat avec le livret san­té. Une de ses réus­sites, qui rend ses membres très satis­faits, est d’avoir créé en interne une cel­lule de vigi­lance contre les vio­lences sexistes et sexuelles.

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