Grenoble. Face à la crise climatique, comment produire de l’électricité

Par Luc Renaud

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Philippe Page le Mérour, Rudy Prepoleski et Gwenaël Plagne.
Le Conseil national de l’énergie organisait le 8 juin une rencontre débat à Grenoble. Autour d’une idée centrale : l’impératif d’une augmentation de la production d’électricité impose la constitution d’un pôle public de l’énergie et le développement de filières industrielles.

« Avec la déré­gu­la­tion du sys­tème de pro­duc­tion, on a ren­du l’énergie rare pour la rendre chère. » Et l’objectif est atteint : Phi­lippe Page le Mérour, secré­taire du comi­té éco­no­mique et social cen­tral d’EDF n’a guère de peine à rele­ver l’envolée des fac­tures pour les par­ti­cu­liers, les col­lec­ti­vi­tés locales et les indus­triels.

Ce constat, c’est la moti­va­tion de la créa­tion du Comi­té natio­nal de l’énergie. « Dans la lutte vic­to­rieuse que nous avons menée contre le déman­tè­le­ment d’EDF, le pro­jet Her­cule, nous avons tra­vaillé avec des asso­cia­tions de consom­ma­teurs, des éco­no­mistes, des élus locaux, des asso­cia­tions comme The Shift Pro­ject… et nous avons vou­lu pro­lon­ger ce dia­logue. » Le CNE – un clin d’oeil du Conseil natio­nal de la résis­tance, puisque « EDF est fille du CNR » – est ain­si deve­nu un lieu d’échanges pour l’élaboration d’une poli­tique éner­gé­tique alter­na­tive. « Nous avons vou­lu dépas­ser le seul cadre de la défense des per­son­nels d’EDF et de leur entre­prise. »

D’où les ren­contres en région. A Gre­noble, la troi­sième d’entre se dérou­lait le 8 juin à la MC2, en pré­sence de repré­sen­tants des entre­prises concer­nées par la filière (EDF, Fer­ro­pem, Pho­to­watt, Neyr­pic-Gene­ral Elec­tric…), d’élus locaux, de repré­sen­tants d’associations…

De l’hydroélectrique au nucléaire

Gre­noble comme centre névral­gique de la pro­duc­tion hydro­élec­trique alpine, mais aus­si proche des cen­trales nucléaires de la val­lée du Rhône ou encore ter­ri­toire acteur de la filière solaire qui pour­rait gran­dir autour de Fer­ro­pem et Pho­to­watt.

Car si les tra­vaux du CNE démontrent quelque chose, c’est bien la néces­si­té de déve­lop­per la pro­duc­tion élec­trique en France pour faire face aux besoins non seule­ment actuels mais aus­si à venir. Car décar­bo­ner la socié­té est un impé­ra­tif. Une néces­saire aug­men­ta­tion dont RTE vient de sou­li­gner l’impératif : « RTE rejoint les posi­tions que nous avions expri­mées, c’est nou­veau et c’est une avan­cée », se réjouit Gwe­naël Plagne, secré­taire adjoint du CSEC. Or, depuis 2012, la puis­sance de pro­duc­tion élec­trique ins­tal­lée en France a été réduite de douze giga­watts.

Pour le CNE, cette mon­tée en puis­sance est pos­sible dans le cadre d’une maî­trise publique des équi­pe­ments de pro­duc­tion et de la dis­tri­bu­tion de l’électricité. Incom­pa­tible en revanche avec l’éclatement et la pri­va­ti­sa­tion de la filière éner­gé­tique de l’électricité.

Les factures n’ont rien à voir avec les coûts de production

Reste la ques­tion des fac­tures. Phi­lippe Page le Mérour se pro­nonce pour un retour au « juste prix » pour l’utilisateur final. « Avec la déré­gu­la­tion, le prix du mar­ché n’a plus rien à voir avec les coûts de pro­duc­tion ; il résulte du com­por­te­ment spé­cu­la­tif d’opérateurs pri­vés. » Le tout accom­pa­gné d’une poli­tique d’étrangement finan­cier d’EDF, contrainte de vendre à des prix déri­soires une part de l’électricité d’origine nucléaire à des socié­tés pri­vées que les diri­geants du CNE qua­li­fient de « tra­fi­quants d’électricité » : les opé­ra­teurs alter­na­tifs n’investissent pas dans l’outil de pro­duc­tion et se limitent à des tran­sac­tions finan­cières sur le mar­ché euro­péen de l’électricité.

8 GW de production perdus faute d’investissement

Rudy Pre­po­les­ki, secré­taire du syn­di­cat CGT EDF prend l’exemple de la pro­duc­tion hydro­élec­trique. Du renou­ve­lable décar­bo­né, s’il en est. « Depuis quinze ans plane la menace d’une pri­va­ti­sa­tion des conces­sions d’exploitation des bar­rages ; cela a eu une consé­quence simple : un entre­tien au mini­mum et l’absence d’investissements signi­fi­ca­tifs sur les ouvrages concer­nés. » Or les syn­di­ca­listes d’EDF estiment à 8 GW les pos­si­bi­li­tés de pro­duc­tion sup­plé­men­taires dans l’hydroélectrique, avec notam­ment la tech­nique des STEP qui per­met de sto­cker l’eau en période de faible consom­ma­tion et de pro­duire quand le réseau est deman­deur. Car l’électricité ne se stocke que très dif­fi­ci­le­ment. « La ges­tion publique des bar­rages, ce n’est pas seule­ment une ques­tion de capa­ci­tés de pro­duc­tion, mais aus­si de ges­tion des usages pour ali­men­ter les réseaux d’eau potable et répondre aux besoins de l’agriculture ce qui devient une ques­tion majeure avec le chan­ge­ment cli­ma­tique », note Gwe­naël Plagne. Inté­rêt géné­ral incom­pa­tible avec une ges­tion pri­vée dont la logique est de raré­fier la res­source pour vendre au plus cher.

Le dépeçage de Neyrpic

Au bout de quinze ans et de mul­tiples mobi­li­sa­tions, des dis­cus­sions aujourd’hui sont ouvertes avec la Com­mis­sion euro­péenne pour obte­nir un sta­tut déro­ga­toire conser­vant la ges­tion publique des bar­rages par EDF, comme cela est déjà en vigueur en Espagne et au Por­tu­gal.

L’hydroélectrique, c’est aus­si toute une filière indus­trielle. « Le dépe­çage de Neyr­pic par Gene­ral elec­tric, la fer­me­ture de la pro­duc­tion de tur­bines à Gre­noble en 2018 accom­pa­gnée de 345 licen­cie­ments a entraî­né la fabri­ca­tion en Inde de la tur­bine de l’installation hydro­élec­trique qui équipe la basse val­lée de la Romanche : ce n’a pas été pos­sible ni en Espagne ni en Ita­lie. »

Pertes de savoir faire

Filières indus­trielles déman­te­lées et pertes de savoir faire, pas seule­ment dans la branche hydro­élec­trique. C’est le cas bien sûr dans l’industrie nucléaire. « Construire de nou­velles cen­trales nucléaires, de nou­veaux équi­pe­ments, cela implique la mobi­li­sa­tion de com­pé­tence et de savoir faire aujourd’hui lar­ge­ment dis­pa­rus ; les écoles de métiers d’EDF, par exemple, ont été fer­mées dans les années 2000 et les filières de for­ma­tion dans dif­fé­rents métiers font défaut pour relan­cer les inves­tis­se­ments. » Il a fal­lu faire venir des sou­deurs des Etats-Unis pour reprendre des sou­dures sur le pro­to­type de Fla­man­ville, par exemple.

Le Conseil natio­nal de l’énergie, c’est donc aus­si l’ambition d’une recon­quête des filières de for­ma­tion pour rebâ­tir des filières indus­trielles. Car l’électricité est l’un des gise­ments d’emploi de la tran­si­tion éner­gé­tique.

A condi­tion de recons­ti­tuer un pôle public autour d’EDF – natio­na­li­sé et non pas seule­ment éta­ti­sé –, des équi­pe­ments de pro­duc­tion jusqu’au comp­teur de l’entreprise, de la col­lec­ti­vi­té locale et de l’habitation des par­ti­cu­liers.

Photowatt, le grand oublié des pouvoirs publics

« Nous sommes aban­don­nés par le groupe EDF. » Bar­ba­ra Bazarl-Bachi est élue CFE-CGC au comi­té éco­no­mique et social de Pho­to­watt. Elle en veut pour preuve l’exemple emblé­ma­tique de la créa­tion par EDF d’une cen­trale solaire de pro­duc­tion élec­trique à Creys-Mal­ville, sur le site du sur­gé­né­ra­teur déman­te­lé. Les pan­neaux pho­to­vol­taïques qui l’équipent ont été fabri­qués en Chine et trans­por­tés depuis l’autre bout de la pla­nète. Creys-Mal­ville est à trente kilo­mètres de Pho­to­watt, à Bour­goin.

« On a beau­coup par­lé de la construc­tion d’une usine de pan­neaux en Lor­raine, par le consor­tium Holo­so­lis, finan­ce­ments publics à la clé, tan­dis que Pho­to­watt reste sur le bord du che­min. »

Pho­to­watt est une filiale d’EDF depuis 2012, la chaîne de pro­duc­tion a été déman­te­lée en 2018 et son acti­vi­té se concentre désor­mais sur l’amont de la pro­duc­tion de pan­neaux solaires, le reste étant sous-trai­té. Signe du dés­in­té­rêt d’EDF et de l’État, les pro­po­sions d’EDF aux par­ti­cu­liers pour équi­per leurs loge­ments en pan­neaux solaires ne com­prennent aucune offre de maté­riels issus de Pho­to­watt. Pour­tant, une filière indus­trielle est à bâtir, à par­tir du sili­cium pro­duit par Fer­ro­pem dans la val­lée de la Romanche jusqu’au pro­duit fini que Pho­to­watt peut construire.

Le renou­ve­lable et la décar­bo­na­tion, ce n’est pas que dans les dis­cours.

Photowatt/
Bar­ba­ra Bazarl-Bachi, élue CFE-CGC au CSE de Pho­to­watt.

 

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