Réforme des retraites, songes et mensonges de Macron

Par Jean-Claude Lamarche

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Le 7 mars, 53000 personnes manifestaient dans les rues de Grenoble.

Pour faire avaler l’amère pilule de la « réforme » des retraites, Macron et ses serviteurs, ministres et vedettes des médias, essaient de lancer, à travers les différents moyens de communication, un certain nombre d’arguments mielleux destinés à faire entrer dans les têtes des récalcitrants l’idée que certaines catégories de population y trouveraient leur avantage.

Mal­heu­reu­se­ment pour lui, ses conseillers en pro­pa­gande, ain­si que ses ministres (en par­ti­cu­lier deux ex du Par­ti socia­liste, Borne, Dus­sopt) sont de piètres men­teurs, ou, au mieux, incom­pé­tents. D’où il résulte qu’ils affirment sans savoir ou uti­lisent sciem­ment de faux argu­ments gros­siers pour trom­per les Fran­çais. Par­mi ceux-ci, la pen­sion mini­mum à 1200 euros qui devait, dans le dis­cours ini­tial, concer­ner l’ensemble des retrai­tés du bas de l’échelle (plu­sieurs mil­lions), et qui ne concer­ne­rait plus qu’environ 10 000 à 20 000 d’entre eux, 10 000 nou­veaux et 10 000 par l’évolution nor­male des reva­lo­ri­sa­tions du mon­tant de leur pen­sion. Il est très ins­truc­tif de faire le tour, autant que pos­sible, d’un cer­tain nombre d’éléments du dis­cours ser­vant à jus­ti­fier l’injustifiable et qui sont, par consé­quent, retors er trom­peurs. Allons‑y !

L’argument du défi­cit futur

A par­tir du moment où le pou­voir poli­tique a déci­dé de blo­quer, voire de réduire la part des richesses pro­duites consa­crée aux retraites, alors que le nombre de retrai­tés aug­mente, il y a de bonnes chances que, sans baisse des pen­sions de cha­cun, ou, au moins sans baisse des pen­sions en pour­cen­tage du salaire moyen, les dif­fé­rents régimes soient en dif­fi­cul­té. C’est exac­te­ment ce que constate le Conseil d’orientation des retraites (COR). Les réponses appor­tées à ce pro­blème dans le pas­sé ont été l’augmentation en pour­cen­tage de la retraite de base, la mise en place des retraites com­plé­men­taires, l’augmentation des taux des coti­sa­tions, l’augmentation des salaires qui aug­mente auto­ma­ti­que­ment les coti­sa­tions, l’arrivée sur le mar­ché du tra­vail de nou­velles per­sonnes, des femmes en par­ti­cu­lier mais aus­si des migrants… Il ne peut y avoir de défi­cit du sys­tème que si l’on refuse d’augmenter les salaires, de don­ner du tra­vail à tous ceux qui en demandent, si l’on dis­pense les entre­prises de coti­sa­tions (c’est-à-dire si l’on baisse les salaires dans leur par­tie socia­li­sée), si l’on fait sem­blant, pour des rai­sons de clien­té­lisme élec­to­ral, de consi­dé­rer l’immigration comme un dan­ger et non pas comme un apport ines­pé­ré pour nos éco­no­mies… En résu­mé, il ne peut y avoir de défi­cit que si nos gou­ver­nants l’organisent : le défi­cit résulte de déci­sions poli­tiques. Si néces­saire, il est pos­sible de démon­trer qu’une aug­men­ta­tion de la part des richesses pro­duites consa­crée aux retraites n’entraine pas obli­ga­toi­re­ment (car c’est un choix) une dimi­nu­tion pour les sala­riés actifs. L’augmentation des salaires et l’augmentation des retraites (qui sont du salaire conti­nué) sont une seule et même pro­blé­ma­tique, celle du par­tage des richesses pro­duites entre le sala­riat et le capi­tal, les sala­riés et les action­naires.

Les actifs

D’après ce que l’on nous assène, les actifs sont ceux qui financent les retraites, et comme le pour­cen­tage d’actifs par rap­port aux retrai­tés dimi­nue, cette charge devient insup­por­table pour eux. Si l’on s’en tient aux défi­ni­tions des dic­tion­naires et des éco­no­mistes, les actifs sont les per­sonnes en âge de tra­vailler, qui ont un tra­vail ou qui en recherchent un. Ain­si, il y a dans la caté­go­rie des actifs, ceux qui exercent un tra­vail rému­né­ré, mais aus­si le chô­meurs en recherche d’emploi, les appren­tis, les jeunes en ser­vice natio­nal, mais aus­si les sala­riés pour les­quels les employeurs sont exo­né­rés de coti­sa­tions sociales, ceux qui tra­vaillent « au noir »… Le seul rap­port qui concerne le finan­ce­ment des retraites devrait donc être le rap­port entre le nombre de retrai­tés et celui des per­sonnes ayant un emploi (occu­pées) et payant des coti­sa­tions. On conçoit faci­le­ment que ce constat affai­blit beau­coup l’argumentaire libé­ral. La ques­tion du finan­ce­ment des retraites n’est pas une ques­tion de rap­port entre actifs et retrai­tés ou occu­pés et retrai­tés, mais une ques­tion de par­tage de la richesse créée par le tra­vail, y com­pris le tra­vail sou­vent béné­vole des retrai­tés et des mili­tants asso­cia­tifs

Sys­tème par répar­ti­tion

Pour sol­der son pro­jet de réforme, Macron affirme qu’il s’impose pour « sau­ver notre sys­tème de retraite par répar­ti­tion » avec l’idée que l’utilisation du mot magique « répar­ti­tion » est de nature à enle­ver le mor­ceau, d’autant que « les Fran­çais sont très atta­chés à leur sys­tème de retraite par répar­ti­tion ». Il y a deux arnaques dans cette façon de pré­sen­ter les choses. D’une part, tous les sys­tèmes de retraite, même les sys­tèmes par capi­ta­li­sa­tion sont des sys­tèmes par répar­ti­tion : soit ils répar­tissent des coti­sa­tions, soit ils répar­tissent du capi­tal ou des inté­rêts pro­duits par des pla­ce­ments… Dans tous les cas, les retraites ver­sées résultent d’une répar­ti­tion, selon des règles pré­dé­fi­nies, de tout ou par­tie de l’argent pré­sent dans les caisses du sys­tème au moment où s’effectue cette répar­ti­tion. D’autre part, ce qui carac­té­rise le sys­tème de retraites mis en place en France après la seconde guerre mon­diale, c’est la soli­da­ri­té inter­gé­né­ra­tion­nelle : une part des salaires de ceux qui ont un emploi rému­né­ré et paient des coti­sa­tions, est socia­li­sée pour finan­cer les retraites de ceux qui sont en retraite au même moment, et ce fai­sant, ceux qui ont coti­sé acquièrent ain­si le droit de béné­fi­cier du même sys­tème quand vient leur tour.

Le coût

Ce mot est l’un des pré­fé­rés des tenants du capi­ta­lisme finan­cier qui le mettent à toutes les sauces. Ain­si, les salaires sont un coût, les retraites sont un coût (logique puisqu’elles sont du salaire), la san­té c’est un coût, la for­ma­tion c’est un coût … Mais les divi­dendes ver­sés aux action­naires, le dou­ble­ment récent de la for­tune de Ber­nard Arnault (de 90 à 180 mil­liards d’euros) ne sont pas un coût. Mais même si l’on argu­mente sur la base d’un point de vue comp­table de la ques­tion du finan­ce­ment des retraites, la moindre des hon­nê­te­tés serait de déduire du « coût » des retraites, le mon­tant des indem­ni­tés de chô­mage ver­sées aux plus de 60 ans, ou des allo­ca­tions diverses ver­sées par l’Etat ou les col­lec­ti­vi­tés aux chô­meurs sans droits du même âge afin qu’ils ne meurent pas de faim tout de suite.

On vit plus long­temps donc…

Ici la pre­mière trom­pe­rie réside dans la façon d’utiliser le concept d’ « espé­rance de vie » sans pré­ci­ser de quelle espé­rance de vie il s’agit, mais cha­cun doit com­prendre que si l’on ne pré­cise pas, il s’agit de l’espérance de vie à la nais­sance. Or la seule espé­rance de vie qui pour­rait ser­vir d’argument pour recu­ler l’âge de départ en retraite est l’espérance de vie au-delà de l’âge actuel moyen de départ, c’est-à-dire l’espérance de vie à 62 ou 63 ans. Si l’on parle d’augmentation de l’espérance de vie, ce n’est pas la même chose à la nais­sance et à 63 ans. Ain­si, selon l’Insee, et ses don­nées dis­po­nibles, l’espérance de vie à la nais­sance était, en 2020, de 85 ans pour les femmes et de 79 ans pour les hommes (toutes les deux en baisse), et l’espérance de vie en bonne san­té de 68 ans pour les femmes et de 64,5 ans pour les hommes (espé­rance de vie qui stagne et reste infé­rieure à celle de 2019). Par rap­port à ces don­nées, on voit tout de suite la dif­fé­rence et ce que signi­fie­rait le report de l’âge de départ en retraite à 64 ans. Mais si l’on consi­dère l’espérance de vie à 60 ans, elle était en 2012, de 27,2 ans pour les femmes et 22,6 ans pour les hommes, et, en 2022, de 27,5 ans et de 23,1 ans res­pec­ti­ve­ment. Autre­ment dit, l’espérance de vie à 60 ans a aug­men­té entre 2012 et 2022, soit sur 10 ans, de 0,3 ans pour les femmes et de 0,5 ans pour les hommes, soit encore de moins de quatre mois pour les femmes et de six mois pour les hommes. Et la réforme de Macron, sur la base de l’argument de l’augmentation de l’espérance de vie se tra­dui­rait par une aug­men­ta­tion de la durée du tra­vail (pour ceux qui en ont un) de deux années en atten­dant trois. Rien à ajou­ter !

Tra­vailler plus

Quelques don­nées éclairent cette pré­ten­due néces­si­té. Selon l’Insee, depuis 1975, le temps de tra­vail annuel en France a bais­sé de 350 heures. En 1950 le temps de tra­vail annuel moyen en France était de 2230h, en 2007 il était de 1559h. Depuis 60 ans, dans les pays déve­lop­pés, la durée annuelle de tra­vail a bais­sé d’environ 25%. Si l’on se penche sur la durée heb­do­ma­daire, voyons, en quelques dates, l’évolution de la loi : 1900, semaine de 70h, 1906, semaine de 60h, 1919, semaine de 48h, 1936, semaine de 40h, 1982, semaine de 39h, 1997, semaine de 35h. Et cette évo­lu­tion s’est faite en pro­dui­sant tou­jours plus de richesses, mal­gré un chô­mage volon­tai­re­ment main­te­nu à un haut niveau. Ceci s’explique parce que des gains de pro­duc­ti­vi­té consi­dé­rables ont été réa­li­sés, liés à la fois à l’élévation des qua­li­fi­ca­tions et à l’évolution des moyens de pro­duc­tion. Le vou­drait-il vrai­ment, Macron ne pour­rait pas aug­men­ter le temps de tra­vail car nous serions confron­tés à une crise de sur­pro­duc­tion. Les quelques don­nées rap­pe­lées ci-des­sus ne font que confir­mer une évi­dence : puisqu’il faut beau­coup moins de temps pour pro­duire ce qui est néces­saire aux êtres humains, ceux-ci passent moins de temps glo­ba­le­ment et indi­vi­duel­le­ment au tra­vail. Le « temps libre » aug­mente que cha­cun peut occu­per comme il veut, même en tra­vaillant pour soi, pour sa famille, pour des asso­cia­tions, un syn­di­cat, un par­ti politique…La seule vraie ques­tion qui se pose aujourd’hui est celle d’une dimi­nu­tion du temps de tra­vail pour tous, par exemple en pas­sant à 32h heb­do­ma­daires, 6 semaines de congés payés. Pour n’importe qui de nor­ma­le­ment intel­li­gent, faire « tra­vailler davan­tage » ceux qui ont un tra­vail alors qu’il y a 5 à 6 mil­lions de chô­meurs (totaux ou par­tiels) est une aber­ra­tion. D’ailleurs, une des consé­quences des pré­cé­dentes réformes des retraites, qui ont obli­gé des sala­riés à repor­ter leur départ, est l’augmentation consta­tée du chô­mage des jeunes. C’est pour­quoi Macron a impo­sé une dimi­nu­tion des droits aux indem­ni­tés de chô­mage, sur la base de l’argument mas­sue selon lequel, pour trou­ver du tra­vail, il suf­fit « de tra­ver­ser la rue ». Ain­si a‑t-il réglé la ques­tion du chô­mage des plus de 55 ans aux­quels il faut juste dire d’être pru­dents en tra­ver­sant, un acci­dent étant si vite arri­vé.

Selon les son­dages les retrai­tés seraient moins contre la réforme

On a déjà enten­du ce dis­cours, com­plai­sam­ment relayé par les médias, qui n’a de sens que par rap­port au but qu’il vise : oppo­ser entre elles les géné­ra­tions, remettre une louche sur le rap­port retraités/actifs (voir ci-des­sus), mais qui n’a pas plus de sens que celui-ci. En effet, « les retrai­tés » ne consti­tuent pas une classe sociale. En pre­mier lieu, à 62 ans, un quart des 75% les plus pauvres sont déjà morts. En second lieu, cha­cun sait que les hommes vivent moins long­temps que les femmes, d’où il résulte que la popu­la­tion des retrai­tés est majo­ri­tai­re­ment fémi­nine. Ces deux constats sta­tis­tiques per­mettent d’affirmer que la popu­la­tion des retrai­tés est plu­tôt fémi­nine avec des retraites dont le mon­tant est écré­mé par le bas. Autre­ment dit, ce que trouvent les son­dages, c’est qu’une par­tie de la popu­la­tion majo­ri­tai­re­ment de femmes pas trop pauvres est moins défa­vo­rable à la réforme que la popu­la­tion dans son ensemble. On trou­ve­rait cer­tai­ne­ment le même résul­tat si on fai­sait un son­dage auprès des femmes non retrai­tées pas trop pauvres. Un son­dage d’opinion sur la popu­la­tion des retrai­tés est, au départ, biai­sé. Mais si ça peut ser­vir une pro­pa­gande pré­si­den­tielle, pour­quoi Jupi­ter s’en pri­ve­rait-il ?

Réforme favo­rable aux femmes

C’est ce que l’on a pu entendre de la bouche de celles et ceux qui veulent à tout prix impo­ser cette réforme, mais comme les Fran­çais dans leur ensemble ne sont pas idiots et qu’ils ont pu juger sur pièce, cet argu­ment a lui aus­si fait long feu. Est-ce jus­te­ment parce que les femmes vivent plus long­temps que les hommes que toutes les réformes suc­ces­sives des retraites depuis Rocard-Bal­la­dur ont été par­ti­cu­liè­re­ment défa­vo­rables aux femmes ? Je réponds oui à la ques­tion. Les femmes sont les pre­mières vic­times de l’allongement de la durée de coti­sa­tion, de l’augmentation du nombre d’années de réfé­rence (de 10 à 25 dans le pri­vé), des pertes de boni­fi­ca­tions ou de majo­ra­tions pour enfants (spé­cia­le­ment dans le public) … Les femmes sont plus vic­times de la décote dans le cal­cul de leur pen­sion, etc. Si la réforme Macron était appli­quée, l’accélération de l’accroissement de la durée de coti­sa­tion obli­ge­rait nombre de celles qui ont un tra­vail rému­né­ré à tra­vailler encore plus long­temps sans béné­fice pour leur retraite.

Voi­là pour le moment, il y a cer­tai­ne­ment encore beau­coup à dire sur les men­songes d’Etat qui sont deve­nus une méthode de gou­ver­ne­ment. Nous devrons y reve­nir sans aucun doute.

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