Le 7 mars, 53000 personnes manifestaient dans les rues de Grenoble.
Pour faire avaler l’amère pilule de la « réforme » des retraites, Macron et ses serviteurs, ministres et vedettes des médias, essaient de lancer, à travers les différents moyens de communication, un certain nombre d’arguments mielleux destinés à faire entrer dans les têtes des récalcitrants l’idée que certaines catégories de population y trouveraient leur avantage.
Malheureusement pour lui, ses conseillers en propagande, ainsi que ses ministres (en particulier deux ex du Parti socialiste, Borne, Dussopt) sont de piètres menteurs, ou, au mieux, incompétents. D’où il résulte qu’ils affirment sans savoir ou utilisent sciemment de faux arguments grossiers pour tromper les Français. Parmi ceux-ci, la pension minimum à 1200 euros qui devait, dans le discours initial, concerner l’ensemble des retraités du bas de l’échelle (plusieurs millions), et qui ne concernerait plus qu’environ 10 000 à 20 000 d’entre eux, 10 000 nouveaux et 10 000 par l’évolution normale des revalorisations du montant de leur pension. Il est très instructif de faire le tour, autant que possible, d’un certain nombre d’éléments du discours servant à justifier l’injustifiable et qui sont, par conséquent, retors er trompeurs. Allons-y !
L’argument du déficit futur
A partir du moment où le pouvoir politique a décidé de bloquer, voire de réduire la part des richesses produites consacrée aux retraites, alors que le nombre de retraités augmente, il y a de bonnes chances que, sans baisse des pensions de chacun, ou, au moins sans baisse des pensions en pourcentage du salaire moyen, les différents régimes soient en difficulté. C’est exactement ce que constate le Conseil d’orientation des retraites (COR). Les réponses apportées à ce problème dans le passé ont été l’augmentation en pourcentage de la retraite de base, la mise en place des retraites complémentaires, l’augmentation des taux des cotisations, l’augmentation des salaires qui augmente automatiquement les cotisations, l’arrivée sur le marché du travail de nouvelles personnes, des femmes en particulier mais aussi des migrants… Il ne peut y avoir de déficit du système que si l’on refuse d’augmenter les salaires, de donner du travail à tous ceux qui en demandent, si l’on dispense les entreprises de cotisations (c’est-à-dire si l’on baisse les salaires dans leur partie socialisée), si l’on fait semblant, pour des raisons de clientélisme électoral, de considérer l’immigration comme un danger et non pas comme un apport inespéré pour nos économies… En résumé, il ne peut y avoir de déficit que si nos gouvernants l’organisent : le déficit résulte de décisions politiques. Si nécessaire, il est possible de démontrer qu’une augmentation de la part des richesses produites consacrée aux retraites n’entraine pas obligatoirement (car c’est un choix) une diminution pour les salariés actifs. L’augmentation des salaires et l’augmentation des retraites (qui sont du salaire continué) sont une seule et même problématique, celle du partage des richesses produites entre le salariat et le capital, les salariés et les actionnaires.
Les actifs
D’après ce que l’on nous assène, les actifs sont ceux qui financent les retraites, et comme le pourcentage d’actifs par rapport aux retraités diminue, cette charge devient insupportable pour eux. Si l’on s’en tient aux définitions des dictionnaires et des économistes, les actifs sont les personnes en âge de travailler, qui ont un travail ou qui en recherchent un. Ainsi, il y a dans la catégorie des actifs, ceux qui exercent un travail rémunéré, mais aussi le chômeurs en recherche d’emploi, les apprentis, les jeunes en service national, mais aussi les salariés pour lesquels les employeurs sont exonérés de cotisations sociales, ceux qui travaillent « au noir »… Le seul rapport qui concerne le financement des retraites devrait donc être le rapport entre le nombre de retraités et celui des personnes ayant un emploi (occupées) et payant des cotisations. On conçoit facilement que ce constat affaiblit beaucoup l’argumentaire libéral. La question du financement des retraites n’est pas une question de rapport entre actifs et retraités ou occupés et retraités, mais une question de partage de la richesse créée par le travail, y compris le travail souvent bénévole des retraités et des militants associatifs
Système par répartition
Pour solder son projet de réforme, Macron affirme qu’il s’impose pour « sauver notre système de retraite par répartition » avec l’idée que l’utilisation du mot magique « répartition » est de nature à enlever le morceau, d’autant que « les Français sont très attachés à leur système de retraite par répartition ». Il y a deux arnaques dans cette façon de présenter les choses. D’une part, tous les systèmes de retraite, même les systèmes par capitalisation sont des systèmes par répartition : soit ils répartissent des cotisations, soit ils répartissent du capital ou des intérêts produits par des placements… Dans tous les cas, les retraites versées résultent d’une répartition, selon des règles prédéfinies, de tout ou partie de l’argent présent dans les caisses du système au moment où s’effectue cette répartition. D’autre part, ce qui caractérise le système de retraites mis en place en France après la seconde guerre mondiale, c’est la solidarité intergénérationnelle : une part des salaires de ceux qui ont un emploi rémunéré et paient des cotisations, est socialisée pour financer les retraites de ceux qui sont en retraite au même moment, et ce faisant, ceux qui ont cotisé acquièrent ainsi le droit de bénéficier du même système quand vient leur tour.
Le coût
Ce mot est l’un des préférés des tenants du capitalisme financier qui le mettent à toutes les sauces. Ainsi, les salaires sont un coût, les retraites sont un coût (logique puisqu’elles sont du salaire), la santé c’est un coût, la formation c’est un coût … Mais les dividendes versés aux actionnaires, le doublement récent de la fortune de Bernard Arnault (de 90 à 180 milliards d’euros) ne sont pas un coût. Mais même si l’on argumente sur la base d’un point de vue comptable de la question du financement des retraites, la moindre des honnêtetés serait de déduire du « coût » des retraites, le montant des indemnités de chômage versées aux plus de 60 ans, ou des allocations diverses versées par l’Etat ou les collectivités aux chômeurs sans droits du même âge afin qu’ils ne meurent pas de faim tout de suite.
On vit plus longtemps donc…
Ici la première tromperie réside dans la façon d’utiliser le concept d’ « espérance de vie » sans préciser de quelle espérance de vie il s’agit, mais chacun doit comprendre que si l’on ne précise pas, il s’agit de l’espérance de vie à la naissance. Or la seule espérance de vie qui pourrait servir d’argument pour reculer l’âge de départ en retraite est l’espérance de vie au-delà de l’âge actuel moyen de départ, c’est-à-dire l’espérance de vie à 62 ou 63 ans. Si l’on parle d’augmentation de l’espérance de vie, ce n’est pas la même chose à la naissance et à 63 ans. Ainsi, selon l’Insee, et ses données disponibles, l’espérance de vie à la naissance était, en 2020, de 85 ans pour les femmes et de 79 ans pour les hommes (toutes les deux en baisse), et l’espérance de vie en bonne santé de 68 ans pour les femmes et de 64,5 ans pour les hommes (espérance de vie qui stagne et reste inférieure à celle de 2019). Par rapport à ces données, on voit tout de suite la différence et ce que signifierait le report de l’âge de départ en retraite à 64 ans. Mais si l’on considère l’espérance de vie à 60 ans, elle était en 2012, de 27,2 ans pour les femmes et 22,6 ans pour les hommes, et, en 2022, de 27,5 ans et de 23,1 ans respectivement. Autrement dit, l’espérance de vie à 60 ans a augmenté entre 2012 et 2022, soit sur 10 ans, de 0,3 ans pour les femmes et de 0,5 ans pour les hommes, soit encore de moins de quatre mois pour les femmes et de six mois pour les hommes. Et la réforme de Macron, sur la base de l’argument de l’augmentation de l’espérance de vie se traduirait par une augmentation de la durée du travail (pour ceux qui en ont un) de deux années en attendant trois. Rien à ajouter !
Travailler plus
Quelques données éclairent cette prétendue nécessité. Selon l’Insee, depuis 1975, le temps de travail annuel en France a baissé de 350 heures. En 1950 le temps de travail annuel moyen en France était de 2230h, en 2007 il était de 1559h. Depuis 60 ans, dans les pays développés, la durée annuelle de travail a baissé d’environ 25%. Si l’on se penche sur la durée hebdomadaire, voyons, en quelques dates, l’évolution de la loi : 1900, semaine de 70h, 1906, semaine de 60h, 1919, semaine de 48h, 1936, semaine de 40h, 1982, semaine de 39h, 1997, semaine de 35h. Et cette évolution s’est faite en produisant toujours plus de richesses, malgré un chômage volontairement maintenu à un haut niveau. Ceci s’explique parce que des gains de productivité considérables ont été réalisés, liés à la fois à l’élévation des qualifications et à l’évolution des moyens de production. Le voudrait-il vraiment, Macron ne pourrait pas augmenter le temps de travail car nous serions confrontés à une crise de surproduction. Les quelques données rappelées ci-dessus ne font que confirmer une évidence : puisqu’il faut beaucoup moins de temps pour produire ce qui est nécessaire aux êtres humains, ceux-ci passent moins de temps globalement et individuellement au travail. Le « temps libre » augmente que chacun peut occuper comme il veut, même en travaillant pour soi, pour sa famille, pour des associations, un syndicat, un parti politique…La seule vraie question qui se pose aujourd’hui est celle d’une diminution du temps de travail pour tous, par exemple en passant à 32h hebdomadaires, 6 semaines de congés payés. Pour n’importe qui de normalement intelligent, faire « travailler davantage » ceux qui ont un travail alors qu’il y a 5 à 6 millions de chômeurs (totaux ou partiels) est une aberration. D’ailleurs, une des conséquences des précédentes réformes des retraites, qui ont obligé des salariés à reporter leur départ, est l’augmentation constatée du chômage des jeunes. C’est pourquoi Macron a imposé une diminution des droits aux indemnités de chômage, sur la base de l’argument massue selon lequel, pour trouver du travail, il suffit « de traverser la rue ». Ainsi a-t-il réglé la question du chômage des plus de 55 ans auxquels il faut juste dire d’être prudents en traversant, un accident étant si vite arrivé.
Selon les sondages les retraités seraient moins contre la réforme
On a déjà entendu ce discours, complaisamment relayé par les médias, qui n’a de sens que par rapport au but qu’il vise : opposer entre elles les générations, remettre une louche sur le rapport retraités/actifs (voir ci-dessus), mais qui n’a pas plus de sens que celui-ci. En effet, « les retraités » ne constituent pas une classe sociale. En premier lieu, à 62 ans, un quart des 75% les plus pauvres sont déjà morts. En second lieu, chacun sait que les hommes vivent moins longtemps que les femmes, d’où il résulte que la population des retraités est majoritairement féminine. Ces deux constats statistiques permettent d’affirmer que la population des retraités est plutôt féminine avec des retraites dont le montant est écrémé par le bas. Autrement dit, ce que trouvent les sondages, c’est qu’une partie de la population majoritairement de femmes pas trop pauvres est moins défavorable à la réforme que la population dans son ensemble. On trouverait certainement le même résultat si on faisait un sondage auprès des femmes non retraitées pas trop pauvres. Un sondage d’opinion sur la population des retraités est, au départ, biaisé. Mais si ça peut servir une propagande présidentielle, pourquoi Jupiter s’en priverait-il ?
Réforme favorable aux femmes
C’est ce que l’on a pu entendre de la bouche de celles et ceux qui veulent à tout prix imposer cette réforme, mais comme les Français dans leur ensemble ne sont pas idiots et qu’ils ont pu juger sur pièce, cet argument a lui aussi fait long feu. Est-ce justement parce que les femmes vivent plus longtemps que les hommes que toutes les réformes successives des retraites depuis Rocard-Balladur ont été particulièrement défavorables aux femmes ? Je réponds oui à la question. Les femmes sont les premières victimes de l’allongement de la durée de cotisation, de l’augmentation du nombre d’années de référence (de 10 à 25 dans le privé), des pertes de bonifications ou de majorations pour enfants (spécialement dans le public) … Les femmes sont plus victimes de la décote dans le calcul de leur pension, etc. Si la réforme Macron était appliquée, l’accélération de l’accroissement de la durée de cotisation obligerait nombre de celles qui ont un travail rémunéré à travailler encore plus longtemps sans bénéfice pour leur retraite.
Voilà pour le moment, il y a certainement encore beaucoup à dire sur les mensonges d’Etat qui sont devenus une méthode de gouvernement. Nous devrons y revenir sans aucun doute.
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