Les Italiens à la recherche d’une vie meilleure. Alain Ughetto à la recherche de ses origines. Un film d’animation qui donne à voir ce que fut la vie de Luigi et Cesira, sur les chemins de l’exil.

Sorti le 25 janvier, le film continue à attirer le public grenoblois. Nous étions nombreux au Méliès, mercredi après-midi – des grands et des petits – à suivre les aventures de Cesira et Luigi, les grands parents d’Alain Ughetto entre les années 1900 et 1950.

Nés dans la montagne piémontaise, de l’autre côté de la frontière franco-italienne, Luigi et ses frères partent chercher du travail en France. Lors d’un retour au pays, ils sont enrôlés dans l’armée du roi d’Italie qui vise à coloniser la Libye. Nous sommes entre septembre 1911 et octobre 1912. Mais le réalisateur ne s’embarrasse pas de dates. Il enchaîne, sur un rythme soutenu, les événements politiques qui vont déterminer la vie du jeune couple et de leurs familles.

Car Luigi est tombé amoureux de Cesira qui le suit sur les chemins escarpés de l’exil. Luigi est dur au travail, il devient contremaître. La France manque de main d’œuvre pour construire les routes, les voies ferrées, les barrages et les tunnels alpins. Luigi est envoyé par son chef en Italie pour y recruter des ouvriers. Il manque d’être arrêté par les fascistes qui ont pris le pouvoir, même dans les villages les plus reculés.

La famille s’agrandit, le couple réussit à construire sa maison en pleine nature, mais proche d’une route où passe le tour de France chaque été. C’est le Paradis ! Enfin, faut-il supporter les insultes contre les macaronis et se heurter à un panneau « Interdit aux chiens et aux Italiens ». Mais les chantiers sont dangereux et les accidents du travail endeuillent la famille. Puis la seconde guerre mondiale – dans laquelle l’Italie est alliée de l’Allemagne hitlérienne – se rapproche d’eux, détruisant partiellement leur maison.

Des mains d’ouvrier surdimensionnées

Des mains gonflées par le travail, souvent présentées en gros plan. Celles de Luigi, et des hommes de la famille, soumis aux rudes travaux des champs puis à ceux de terrassement. Celles d’Alain Ughetto qui façonnent ses créatures et apparaissent aussi à l’écran. Hommage au travail manuel. Le réalisateur se veut artisan, fabriquant ses marionnettes à la main. Et choisit le stop motion, technique qui consiste à prendre des photos, ou des images, et les assembler, les unes après les autres, jusqu’à les animer pour en faire un film en mouvement.

Le résultat est celui d’images « fait-main » qui restent dans la mémoire des gens.

La simplicité prévaut pour le choix du décor également : les brocolis deviennent des arbres, le charbon de bois des rochers et des montagnes, les morceaux de sucre des murs en brique.

Alain Ughetto a choisi les matériaux après être retourné au village d’Ughettera où il s’est imprégné de leur quotidien

Attention ! Rien n’est jamais acquis et l’environnement naturel comme les abris que l’on se fabrique sont fragiles et soumis à la folie guerrière : violence des guerres d’expansion coloniale et des conflits mondiaux.

Iterdit aux chiens et aux Italiens

Alain Ughetto, le 10 décembre 2022, aux European Film Awards, à Reykjavik (Islande).

Dialogue entre Alain et sa grand-mère Cesira

C’est le réalisateur lui-même qui donne – en voix off – la réplique à sa grand-mère, alias Ariane Ascaride. Les voix sont douces, ne se plaignent pas, assument l’adversité, attendant des jours meilleurs. Le fil du temps ne semble pas tarir l’amour que se vouent Luigi et Cesira. On se plaît à y croire.
Alain Ughetto, né en 1950, part en quête de ses origines et de celles de centaines d’autres familles de migrants italiens. Grenoble est bien placée pour le savoir comme ma Lorraine natale. Et nombreux· ses sont nos ami·es aux noms chantant : Micheletti, Detti, Garlaschelli, Cerva, Montebello et même… Ughetto.

Il n’a pas connu son grand-père Luigi. Quant à sa grand-mère qui est morte lorsqu’il avait douze ans, elle ne lui a rien raconté de son passé italien tant son désir d’assimilation était fort. Durant ses études, il s’est intéressé au cinéma italien. Et récemment, il y a une dizaine d’années, il s’est mis à interroger cousins et cousines pour retracer l’histoire familiale.

Sa grand-mère a de gros yeux – fabriqués en résine – comme tous les personnages. « J’ai tout de suite décidé qu’ils auraient des yeux un peu exorbités pour suggérer l’idée que tout ce qu’ils découvrent, à leur arrivée en France, les étonne, les émerveille, même s’ils sont mal reçus, même si leur vie est très difficile. Et puis les grands yeux, comme des enfants, les rendaient attachants. Tous les personnages ont ainsi un peu la même tête, les Italiens ont des moustaches et des casquettes, les Français pas de moustaches et des bérets. »

Alain Ughetto assume complètement l’humour de son film : « C’était essentiel. Je voulais témoigner sans prendre parti et sans être plombant. Et ce qu’ils avaient vécu étaient suffisamment difficile pour ne pas en rajouter. Ma référence était Affreux, sales et méchants, d’Ettore Scola. Je trouve plus élégant de faire rire avec des choses terribles. »

On s’étonne du titre qui laisse penser à une charge contre le racisme dont les Italiens ont été victimes alors que le sujet n’est abordé que fugitivement.

Après neuf ans de travail, ce film a reçu deux prix : celui du jury du Festival d’Annecy et celui du meilleur film d’animation des European Film Awards.

On regrette qu’il n’ait pas été sélectionné pour le meilleur film d’animation aux Césars 2023.

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