Aimeric Mougeaud, ingénieur réseaux, responsable du collectif jeune de l’union départementale CGT.

L’engagement au sein d’une organisation politique, d’un syndicat, d’une association, quand on a moins de trente ans ? Ca existe. Dans des formes d’aujourd’hui. Et un contexte difficile. Tour d’horizon avec quatre militants. Tous décrivent le sentiment d’urgence qui habite la jeunesse. Au moment où le mouvement social témoigne de sa vitalité.

«Vouloir changer la société, c’est pas nouveau comme motif d’engagement; ce qui est peut-être différent, c’est que nous sommes au pied du mur : soit nous sortons du capitalisme, soit l’espèce humaine est menacée ; aujourd’hui quand on a vingt ans, si on ne change pas les choses, on sera mort avant la retraite. » Tom Brangier, 20 ans, est secrétaire de la jeunesse communiste. Un sentiment d’urgence partagé par l’ensemble de nos interlocuteurs. Amélie Claudepierre, 26 ans, coordinatrice départementale des mouvements de jeunes de la Nupes ne dit pas autre chose : « le sentiment d’urgence face à la situation est pour partie ce qui explique le découragement des jeunes vis-à-vis de la politique institutionnelle, il y a vraiment l’idée qu’on a besoin d’autre chose, il faut aller plus vite ».

Cet autre chose, chacun l’imagine différemment, dans les organisations de jeunesse. Amélie Claudepierre milite pour un assouplissement des formes d’engagement. « Il n’y a pas besoin de cartes », résume-t-elle. « Nous devons faire avec une forme d’intermittence de l’engagement, de la participation à l’action ; des jeunes se sont fortement mobilisés lors des élections législatives, certains seront moins présents ensuite. » D’où une structuration de l’organisation en cercles concentriques avec un noyau de militants systématiquement présents et d’autres qui participeront à des initiatives « à la carte ». Le tout en contact par le biais d’une plateforme numérique. Pour Amélie, il faut inventer autre chose que l’organisation des partis traditionnels, les tendances, les congrès où l’on se chipote : « les jeunes n’ont pas envie de ça, il faut aller vite, maintenant ».

Avec une volonté de travailler à l’éducation populaire. « Nous organisons, avec les différentes organisations de jeunesse, des réunions tous les quinze jours et des apéro Nupes pour traiter d’un thème. » Le dernier a eu lieu à l’automne sur le dossier de l’énergie avec la participation du sénateur Gontard, d’un représentant de Sud énergie et d’Alan Confesson, en sa qualité de président de la compagnie de chauffage de Grenoble.

Le biberon de la solution individuelle

A la JC, on met plutôt l’accent sur des campagnes de terrain. Parcoursup, le droit à la retraite, la gratuité des transports dans l’agglomération grenobloise… autant de thèmes de mobilisation. « Notre objectif, poursuit Tom Brangier, c’est aussi de donner du sens à tout ça, une grille de lecture marxiste qui explique mais aussi montre que cela résulte de choix et non pas d’une fatalité : il n’y a pas de fatalité à ce que les problèmes n’aient pas de solutions, il y a des choix politiques qui déterminent la réalité. » La question du sens. Tom le constate, « lorsque nous avançons nos idées, ça n’est pas si compliqué, l’écoute est là ».

Organiser les jeunes, c’est aussi la quête du collectif jeunes de l’union départementale CGT dont s’occupe Aimeric Mougeaud, 30 ans, en plus de ses responsabilités entre autres de membre du comité social européen du groupe ST Microelectonics. « A l’entreprise, les jeunes, les ingénieurs notamment ont appris à l’école que lorsque ça ne va pas, il suffit de changer de boîte ; si on n’y arrive pas, c’est qu’on est mauvais ; c’est toujours la solution individuelle qui prime, l’idée d’un contrôle des moyens de production pour respecter l’environnement et les salariés, ça ne parle pas tout de suite. » Dans une grande entreprise comme ST Micro, le débat se mène. Et, chez les cadres, c’est d’ailleurs plutôt plus facile avec les jeunes qu’avec les plus anciens.

Mais tout le monde ne travaille pas dans une grande usine. « Notre collectif jeunes s’adresse à tous, par l’intermédiaire des syndicats ou directement, quand les syndiqués sont isolés, souvent dans de petites boîtes, il y a un aspect formation syndicale, lien avec les adhérents. » Une journée de travail a ainsi été organisée sur le thème de la lutte antifasciste. Des initiatives sont prises aussi en direction des jeunes, là où ils sont. « Que ce soit à la marche des fiertés ou dans les marches climat, nous faisons connaître les propositions de la CGT, parce que, et c’est trop méconnu, le syndicat a aussi des choses à dire sur les discriminations LGBT, ou sur l’écologie. » Action aussi prévue en direction des saisonniers.

Des thèmes qui parlent à Flora François, militante de Sud éducation et engagée pour le droit au logement. « J’ai toujours été portée par les questions sociales mais je pense que l’on ne peut pas les dissocier des combats féministes, antiracistes… »

« Notre rôle, c’est de proposer une vision de l’avenir », souligne Aimeric. Ce que revendiquent à leur manière Amélie, Flora et Tom. Un point commun à toutes les organisations de jeunes qui ne se résignent pas à l’état du monde existant.

Vivre un monde nouveau

Flora François a commencé à militer au lycée. Avec une perspective : « Montrer qu’il y avait d’autres façons de voir la société : égalitaire, plurielle, tolérante… ça nous faisait honte que des gens votent le Pen ».

Ce qui a guidé son engagement depuis, c’est « l’action pour un modèle de société plus égalitaire, plus démocratique ; le combat contre le racisme, le sexisme. Une société qui permette l’émancipation de chacun. » Toutes les formes sont bienvenues. « Par exemple, aller vivre à la campagne et construire une nouvelle forme de vie cohérente avec nos valeurs : autogestion en produisant de la nourriture, en sortant des circuits de distribution ; je n’oppose pas cela aux luttes syndicales. »

L’engagement, c’est aussi pour elle un choix du quotidien. « Militer, c’est s’investir à 100% sur tout : vie de couple, vivre en cohérence avec ses idées, se nourrir de nos diversités, imaginer d’autres façons de vivre, d’être… » Ce qui implique un engagement local. « On a besoin de reprendre racines. Installée à Fontaine, je veux connaître mes voisins, agir avec eux. Dans le syndicalisme il y a difficulté à militer sur le plan local. Or cela m’importe. » Et puis dans le syndicat, « ce n’est pas toujours facile, il faut pouvoir prendre sa place, être écouté ; il faut avoir confiance en soi. »

Flora François résume ses ambitions et ses engagements d’une phrase : « Envie de construire un nouveau monde et de le vivre dès maintenant. »

Jeunes politique Grenoble
Grenoble Isère Nupes jeunes
Amélie Claudepierre, coordinatrice départementale des organisations de jeunesse de la Nupes.
Militer sur les réseaux, une première marche ?

Militer derrière son écran ? S’isoler derrière son écran ? S’éloigner de l’action collective par le numérique ? Réalités d’aujourd’hui ?

« Ce n’est pas parce qu’on est jeune qu’on passe son temps sur les réseaux. On sort aussi, on se parle », sourit Tom Brangier. « Les réseaux sociaux, c’est clairement un handicap à l’action collective », note Amélie Claudepierre. « Dans ce domaine, nous sommes en retard à la CGT », regrette Aimeric Mougeaud.

Reste que le numérique ne peut être ignoré. « C’est un des changements dans les modalités de l’action, estime Amélie, militer derrière son écran est peut-être la forme d’un premier engagement. »

Un outil que sa puissance rend incontournable. « Imaginer ignorer les réseaux fait aujourd’hui sourire », souligne Aimeric qui note l’efficacité de leur utilisation par des collectifs d’action informels.

Une longueur d’avance pour l’extrême droite

Risque d’enfermement sans débouché collectif ? Étiolement de la réflexion collective à coup d’images vidéo dont l’école n’apprend pas encore la grammaire ? Probablement.

« On peut toujours se lamenter, rétorque Aimeric, mais déserter ce terrain serait une erreur. » Il en veut pour preuve l’empreinte numérique de l’extrême droite. « Dans les années 2010, quand j’étais à la fac, l’extrême-droite n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, n’empêche que le youtubeur en pointe à l’époque était Alain Soral ; ceux qui répandent la haine ont une longueur d’avance, une pratique que nous n’avons pas. »

Ce qui concerne directement les jeunes, et notamment les plus en difficulté. « Les paris en ligne pour faire miroiter des solutions individuelles, c’est incroyable comme ça peut accrocher. »

Alors, militer – aussi – sur les réseaux sociaux ? Pas si absurde, finalement.

Jeunes Communistes Grenoble Isère
Tom Brangier, secrétaire fédéral des Jeunes communistes.
C’est quoi, au fait, la politique

Une jeunesse moins « politisée » ? Les mots n’ont que le sens qu’on leur donne. Une jeunesse qui vit la contradiction entre ses aspirations et la réalité du monde.

« Depuis des années, on vote et rien ne se passe, la pollution continue à réchauffer le climat et on apprend tout petit que les problèmes posés, la retraite ou l’université, n’auront pas de solution », relève Aimeric Mougeaud. Tom Brangier ajoute : « quand on a grandi avec des parents qui ont fait mai 68, c’est différent d’avoir eu des parents qui ont appris le renoncement avec Mitterrand et Hollande ».

Ce que décrit aussi Amélie Claudepierre. « Nous sommes passés de l’époque « un pied dans la rue, un pied dans les urnes », à celle du « deux pieds dans la rue, une main dans les urnes ». » Une abstention massive, et pas uniquement chez les jeunes. « Si le vote ne produit rien, alors pourquoi voter », constate Tom Brangier.

Les urnes et la rue

Reste la nécessité, l’impératif, l’urgence de changer la société. « Il y a contradiction entre la réalité qui impose une rupture dans l’organisation du monde et la résignation construite par des décennies de désillusions », souligne-t-il. Raison pour laquelle « à la JC, nous militons terre à terre, là et maintenant, en faisant le lien entre la décision politique et le vécu ; avec la vision d’une société plus juste qui consacre ses ressources à ce qui est nécessaire pour une planète habitable où l’on vive bien et comme on l’entend ; pas des richesses siphonnées par les fortunes ». Ce qui passe aussi par une identité d’engagement : « nous voulons vivre avec nos idées, notre idéal, aller vers les autres ; c’est très différent des professionnels des élections : ce n’est pas ça, la politique ».

Aimeric Mougeaud, qui a rencontré la CGT dans la lutte à General electric Neyrpic, note aussi que « les jeunes se mobilisent pour des causes concrètes, palpables, tangibles, ce qui est différent de la prise de position contre un système ; à nous de faire le lien en dépassant la fatalité ».

Militer aujourd’hui, parce que l’urgence est là.

Extrême droite

41 % des jeunes de 18 à 24 ans se sont abstenus au premier tour de la présidentielle – 26,31 % en moyenne globale. Mélenchon arrive en tête chez les jeunes (31 %) devant Le Pen (26 %). Sans compter Zemmour. Autant dire que la lutte contre l’extrême droite est une préoccupation à gauche. D’où l’importance accordée à l’antiracisme, aux libertés, à l’action collective et à la solidarité contre l’isolement…

Vérités alternatives

70 % des jeunes s’informent au moins une fois par mois sur les réseaux sociaux, 23 % en regardant un journal télévisé et 17 % les sites internet ou applications des chaînes de télévision ou de radio. 19 % des jeunes estiment que les pyramides égyptiennes ont été bâties par des extraterrestres ; 31 % que le résultat de l’élection américaine a été faussé aux dépens de Donald Trump. 41 % des TikTokeurs croient qu’un influenceur très suivi est une source fiable.

Étude Ifop réalisé du 28 octobre au 7 novembre 2022 auprès d’un échantillon de 2 003 personnes, représentatif de la population âgée de 11 à 24 ans vivant en France métropolitaine.

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